La journée, les chouettes dormaient pour la plupart, mais la nuit, le Grand Arbre était empli de l'agitation de tous les habitants. Beaucoup volaient par-ci par-là, certains se dirigeaient vers la bibliothèque pour lire, d'autres... Par-ci par-là. Gorol n'était pas inquiet pour chercher à savoir où allait tout le monde. Le ciel s'assombrissait, et avec ça, tout le monde se remettait au travail. D'ailleurs, lui aussi il devrait y aller. Étant un apprenti comme les autres jeunes, il se devait de participer aux cours donnés par les rybs. Et celui qui lui apprenait à forger, c'était Bubo. Jusqu'à maintenant, la jeune chouette était plutôt fière d'elle même, même si pour l'instant, ce qu'il avait appris -ou parfois supposé- se résumait à connaître les outils, les précautions à prendre avec le feu, comment battre le fer, ... Et d'autres choses. Pendant qu'il planait jusqu'à la forge, il se faisait une idée de ce qui l'attendait, mais c'était assez dur de faire gaffe où il allait et aux autres en même temps qu'il réfléchissait à ce qu'il fera une fois sur place. Peut-être touchera-t-il un nouvel aspect de cette discipline.

On en lui avait pas qu'une fois conseillé d'aller à la bibliothèque pour piocher quelques livres sur l'art de travailler le fer et les différents métaux. Tiens, en parlant de métaux, il avait un peu de mal à savoir ce qu'ils avaient de particulier chacun. L'acier était un élément... Et euh... Gorol n'eut pas le temps de commencer à réfléchir sur l'argent que déjà il dû se préparer à atterrir, ayant atteint la forge où il entendait du bruit à l'intérieur. Il devrait y être habitué et savoir qu'il s'agissait sans aucun doute de Bubo, mais pourtant, à chaque fois il avalait sa salive avant de rentrer, comme terrifié à l'idée d'y trouver une autre chouette. Comme toujours, une fois à l'intérieur, on ressentait la grande différence de chaleur entre le feu de la forge et la fraîcheur de la nuit. Ne s'en plaignant pas, l'apprenti se contenta de regarder un peu partout quant subitement il sursauta en sentant son aile bousculer un bidule en fer. Le bruit qu'il fit avait peut-être réveillé le ryb qui prit tout de suite la parole.

« Salut Gorol, tu es là ! Approche, le fer a fondu. Tu sais ce que ça signifie ? »

Sur le coup, la jeune chouette se raidit, dressée comme un i, et bafouilla une même onomatopée comme s'il hésitait sans cesse si sa phrase devrait commencer ainsi.

-Que-que-que-que-que-que-que-que...

En réalité, c'était pour gagner un petit peu de temps.
Le fer a fondu. Ça veut dire que c'est l'heure de lui donner une forme ? Ça doit être ça la réponse... Ou alors c'est une question piège, et la réponse serait... Qu'est-ce que ça pourrait être, sinon "le travailler !" ? L'interrogation était si soudaine, inattendue et en même temps simple comme "bonjour" que Gorol hésitait comment répondre.

-Euh... Que c'est l'heure d'inven-... De forger de nouvea-... De nouvelles serres de combat, ou des récipients ou des cuillères ?

Le mot "inventer" failli lui sortir à plusieurs reprises du bec. Depuis qu'il avait "inventé" son tireur à corde de projectiles, il enchaînait beaucoup plus souvent les échecs, surtout dans le domaine qu'il croyait maîtrisé, qu'il croyait sien. En même temps, il savait qu'il n'atteindra jamais les limites, et qu'il y aura toujours quelque chose de en plus à imaginer, mais son fameux arc semblait le bloquer, comme s'il était coincé dans un cul de sac et qu'il ne parvenait pas à reculer d'une manière ou d'une autre.
De plus, l'intonation de sa phrase semblait quelque peu manquer d'engouement. Il n'y faisait pas attention, son invention se situant au centre de son attention ces derniers temps. Peut-être devrait-il abandonner cette idée désuète et insensée. Plus il y pensait, plus il songeait à passer à autre chose. Cependant, maintenant, il devait se concentrer sur ses cours, alors tant bien que mal, il... Oh, il releva la tête et fit des yeux ronds lorsqu'il aperçut une marmite trembloter. Que contenait-elle ? Oh, sûrement le fer qui fondait.

C'est bien plus encore ? Alors qu'est-ce que ça pourrait être ? Il faut l'avouer, Bubo a réussi à piquer à vif la curiosité du jeune apprenti forgeron. S'étant vivement redresser pour écouter la suite des instructions de son ryb, la chouette des terriers était toute ouïe. Gorol est rarement autant concentré, la dernière fois qu'il oublia tout pour ne s'occuper que d'une chose, c'était pour tendre la corde de son tireur à corde. À plusieurs reprises il failli se prendre la ficelle en plein dans le bec, ce qui, d'ailleurs, était arrivé plus d'une fois. Au moment où il y parvint, il ne put s'empêcher de... Crier quand le bout de bois se brisa d'un coup sous ses yeux. C'était un vilain souvenir qu'il aurait préféré oublier, mais c'est bien parce que c'est un vilain souvenir qu'il ne cessait de lui revenir en pleine face. Au fond, cela ne le blessait pas dans son estime personnelle, mais ça l'avait quand même bien surpris sur le coup.

Bref... Bubo lui apprit que le fer servait de base à tous les alliages, notamment l'acier et la fonte. Et lui qui croyait que tout métaux se minait avant de se faire fondre pour ensuite être forgés... Il en apprenait tous les jours grâce à son ryb, et c'est super, pensait-il. Quand le hibou grand duc évoqua le terme de "moule spécial" dans le but de donner une forme et un usage au fer, Gorol ne put s'empêcher de repenser à la cuillère qu'il avait juste avant proposé de façonner. C'était une idée comme une autre, pas de quoi en cracher une pelote. Lorsque son maître lui désigna de l'aile tous les moules accrochés au mur ou posés par-ci par-là, la jeune chouette tenta d'imaginer pour chacun l'outil qui en ressortirait. Pour certains, c'était facile, pour d'autres... Disons qu'il remettait leur utilité en question. Entre tous, il remarqua celui pour donner la forme aux serres de combat, celui pour des ustensiles qu'il connaissait, certains semblaient servir de bijoux, mais la chouette des terriers avait du mal à voir à quoi ça servirait.

Quand Bubo lui demanda s'il serait capable de soulever un marteau, Gorol prit cette question pour un défi. À vrai dire, même s'il ne l'avouera pas, il n'a jamais porter de marteau jusqu'à maintenant. Ça ne devrait pas être trop dur, c'est juste un gros bout de métal qui sert à frapper d'autres bouts de métal. Le marteau qu'on lui demanda de soulever se trouvait un peu plus loin, posé contre le mur.

-Mh ! Tout de suite !

Sans hésitation, il s'avança jusqu'à l'outil de travail et serra la poignée entre ses serres. Il semblait être à sa taille, reste à voir s'il n'était pas trop lourd. Au début, il fut surpris d'avoir autant de mal à le soulever, ne s'attendait pas à ce qu'il pèse autant. À la deuxième tentative, il y mit plus de hargne et parvint à le lever presque au dessus de sa tête. Heureux, Gorol fut... Vite rattrapé par la réalité, et le marteau le fit basculer avec lui en arrière. Pendant sa courte chute, il eut le temps de battre des ailes, de faire des yeux ronds de stupeur et de hululer de frayeur. Enfin, hululer... C'était vite dit, on avait plutôt l'impression qu'il parlait tellement vite que ça ressemblait à pas grand chose de sensé... Au final, le marteau était par terre, ses serres tenaient toujours le manche Glaucis sait comment il a fait pour ne pas le lâcher, quant à la chouette... Elle s'était retrouvé sans dessus-dessous, la tête à l'envers face à Bubo.

-Je vais bien ! Ce n'est... C'est juste le marteau qui... Gnnnnnh !

Malgré sa drôle de posture, il tenta à nouveau de le soulever. Peine perdue, même s'il, sans le demander, il avait bien besoin d'aide.

Si l'humilité était une qualité, elle n'était pas présente dans le caractère de Gorol. Plus fatiguée qu'autre chose par le marteau, la jeune chouette laissa volontairement son ryb le reprendre et l'aider à se relever. Une fois sur ses pattes, son premier réflexe était de secouer ses plumes pour dégager la poussière qu'il avait ramassé sur le sol, ensuite, d'un air de défi, de chercher le marteau du regard, convaincu qu'il y parviendrait s'il insistait. Jusqu'à présent, le meilleur moyen qu'il a trouvé pour accrocher la corde sur son invention, c'était de ne pas abandonner et surtout de ne pas lâcher les bouts. Bien que le nombre de tentatives aurait pu être décourageant, c'était à force de tenter et retenter qu'il y parvenait. Cependant, son ryb ne semblait pas du même avis et lui tendit un nouveau marteau à bout de serre. Rien qu'en le regardant, cet outil de travail semblait plus léger que ses semblables, Bubo expliqua qu'il s'agissait d'un marteau en titane, un alliage rare qui partageait les qualités de la légèreté et de la rigidité. En d'autres mots, un marteau qui convenait à la jeune chouette des terriers.

Quand Gorol agrippa le manche, il sentit malgré tout le poids du marteau, mais il était beaucoup moins pesant que celui en fer. C'est là qu'une étincelle embrasa le gésier du jeune apprenti. Entre ses serres, il détenait l'arme qui servait à frapper le métal pour lui donner taille et forme selon la volonté du forgeron. L'outil qui avait servi à fabriquer maintes babioles, beaucoup d'ustensiles et énormément d'armes. À cet instant, Gorol prit conscience du poids considérable qui pèsera sur ses ailes pour avoir créé des objets utiles, beaux ou mortels. Être forgeron, ce n'était vraiment pas que du savoir-faire... Cependant, cela ne brisa aucunement le moral de la petite chouette car ses yeux brillaient d'une vive lueur, n'exprimant qu'une seule envie : forger. Brandissant le cadeau de Bubo, l'apprenti ne pouvait s'empêcher de se sentir fier et puissant.

-Tout de suite !

S'avançant sans hésiter de la tige de fer chauffée à blanc désignée par son ryb, Gorol se rapprocha et se posa à en face de l'enclume. La chaleur qui émanait de la forge était grandiose, mais surtout étouffante. La jeune chouette devra s'y habituer rapidement s'il ne voulait pas se roussir les plumes dès le début. Il leva son marteau et l'abattit sur le métal qui n'attendait que ça. Au début, les coups n'étaient pas vraiment maîtrisés, on aurait dit qu'il laissa le marteau tomber bêtement et sans réfléchir sur l'enclume, mais au fil des coups, les tintements se faisaient de plus en plus ressentir autant dans son gésier que dans la salle. Le marteau était déjà un peu cabossé, donner une forme bien lisse n'était pas aisé, mais l'apprenti se contentait de se dire que pour l'instant, il n'avait qu'un objectif, et c'était de donner une forme à ce métal. Mais n'étant qu'un néophyte, il dû se contenter de lui donner une forme plane pour l'instant, s'assurant du mieux qu'il pouvait que ça conservait de l'épaisseur.

Après un énième coup de marteau, Gorol fut interrompu par son ryb qui lui expliqua que martelé plus le fer finira par le briser. L'élève trouvait le métal encore assez épais pour résister, mais préféra écouter le hibou grand-duc. Il se sentit un peu ridiculisé quand il entendit la remarque de Bubo, comme quoi il n'y parviendrait de toute manière pas. S'il le pouvait, il aurait abattu fur-le-champ son marteau sur le fer chauffé de toute ses forces pour tenter ce qu'il croyait impossible pour lui prouver le contraire, mais il se contenta de s'exécuter, attrapant du bout de se serres le bout pas très froid et... Ne trouva pas de récipient dans lequel le plonger. Quand la chouette des terriers vit son ryb grommeler et retourner sa forge pour chercher ce fameux tonneau rempli d'eau, il comprit ce qu'il se passait. La situation le fit sourire, presque rire silencieusement, mais à part regarder et attendre, il ne fit rien d'autre que tenir son "oeuvre" le plus loin de son plumage pour ne pas le brûler par inadvertance. Les dangers pouvaient venir de partout dans une forge, et Gorol ne voulait pas terminer la leçon sur un accident tout bête. Quand Bubo revint avec le tonneau, la petite chouette n'attendit pas qu'on le lui demande une deuxième fois pour plonger le morceau de métal dans l'eau fraîche. L'apprenti fut surpris sur le coup par les bulles et surtout le bruit, mais finit par trouver cela aussi marrant que fascinant.

En regardant le fer perdre sa couleur rougeoyante, son attention fut attirée par une question posée par le hibou grand-duc. S'il voulait garder ce morceau de ferraille ? Eh bien... que pouvait-il en faire ? Après l'avoir ressortit de là, Gorol le contempla un instant. De toute évidence, ce bidule n'avait pas fière allure, s'il devait éviter de le tordre à force d'attendre de le plonger dans le liquide, c'était raté. La jeune chouette observait le résultat de son labeur, réfléchissant à d'éventuelles idées plausibles. À part pour de l'"art", ça ne servirait pas à grand chose. Peut-être comme assiette, même si c'était pas beau à voir, ça avait tout de même un léger creux situé au centre. Une pensée traversait son esprit. Et s'il pouvait s'en servir comme chapeau ? Joignant le geste à la réflexion, la chouette des terriers le posa sur sa tête, s'appliquant pour caler le creux avec l'arrondi de son crâne. Ça collait plus ou moins avec la forme. Ce n'était pas très confortable, mais il y avait tout de même de l'idée. Levant la tête pour croiser le regard de son ryb, Gorol voulait voir sa réaction.

-Ça fait "chouette", vous trouvez ?

Tout à coup, il se sentit pousser plus que des ailes. Bombant le torse, il se pavanait dans la forge, exultant son chef d'oeuvre et prenant une voix aussi virile qu'il le pouvait.

-Ah. Ah. Ah. Je suis forgeron désormais, je fabrique des chapeaux pas mous qui feront tomber les plumes de n'importe qui si on me voyait. Et j'adore ça !

Lui, s'amuser peu importe la méthode employée, ça lui donnera toujours cette agréable sensation dans le gésier. C'était tellement... Bon, d'agir de cette manière, certes un peu idiote, mais c'était comme ça qu'il aimait jouer. Il se tourna vers son ryb, le visage rayonnant de bonheur.

Ce que Gorol a retenu d'aujourd'hui ? Et bien... Frappé le fer ? Ne pas se brûler ? Faire gaffe à tous les outils qui nous entourent ? Ah et, sans oublier de jeter le fer chauffé à blanc dans de l'eau fraîche pour justement le refroidir, le solidifier et lui donner sa forme final dans un grand bruit qui fait "pshhh". Ce fut amusant en tous cas, car l'apprenti forgeron eut autant le temps d'apprendre que de garder le sourire à tout moment. Même si parfois il n'en avait pas l'air, cette petite chouette des terriers qui apprenait les ficelles du métiers n'avaient pas perdu sa bonne humeur durant cette séance malgré la difficulté du travail à exercer et les quelques autres soucis rencontré par-ci par-là sur le chemin de l'apprentissage. Quand Bubo lui expliquait quelque chose, il était captivé par ses paroles, concentré comme quand il battait le bout de fer avec son marteau personnel, et même dans ces instants là, bien que son regard ne ressemblait qu'à deux gros yeux ronds qui vous fixait intensément, au fond de lui, une étincelle de joie continuait de pétiller vivement.

Donc, si Gorol a retenu quelque chose... Il s'agit plus de pratique que de théories, les mots ne venaient pas dans son bec pour s'exprimer. Il avait appris ceci, il avait appris à faire cela... C'était beaucoup, en une fois, beaucoup de détails et de gestes à connaître et à répéter. Il avait du mal à les décrire ainsi qu'à s'étaler sur le sujet, il se contenta donc de joindre le mouvement aux paroles. D'abord, il imita le forgeron abattant son outil de travail sur l'enclume en racontant qu'il savait frapper le fer, puis il fit semblant de prendre le métal encore chaud entre ses serres et de le jeter dans un récipient imaginaire rempli d'eau sans cesser de couvrir ses gestes par un petit résumé. Après cela, il continua dans sa lancée en étayant l'intérêt de ne pas trop donner de coups de marteau au risque de briser sa création. Qu'y avait-il d'autres également... Oh oui, bien sûr. Il rajouté dès que l'idée lui traversa l'esprit qu'il avait trouvé cela marrant.

-Oh ! J'y pense ! Et les charbons ?

S'il y avait quelque chose de très important pour la forge, c'était le foyer où vivait le feu et où brûlaient les charbons qu'il mentionna. Si la chouette des terriers en connait un sur le bout des rémiges, c'était bien les flagadants, ces charbons extraordinaires et d'une beauté flamboyante qui brillaient d'une éclatante lumière. Enfin, Il s'agissait de beaucoup de mots, mais c'était l'image que se faisait l'apprenti forgeron à chaque fois qu'il y pensait. Cependant, en tant que futur forgeron, au plus profond de son être, il désirait en voir un de ses propre yeux. Et c'est avec un grand sourire au bec qu'il regardait son ryb favoris, espérant qu'il lui en montrera un.