♣ CHAPITRE 5 - UNE ALLIANCE IMPROBABLE © Design par Blue |
| | Le Folklore des Royaumes-Renards: Les Prophéties Légendaires ~ La Légende du Destin ~ Livre I: Les Liens du Destin | |
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Tyna
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| Sujet: Le Folklore des Royaumes-Renards: Les Prophéties Légendaires ~ La Légende du Destin ~ Livre I: Les Liens du Destin Dim 23 Juin - 17:10 | |
| *** Prologue *** n éclair déchira le ciel, illuminant les prairies et forêts en contrebas. Enul, la Sphère-d’Argent, l’astre scintillant de la nuit, semblait devenir pâle fantôme face à la lumière violente. La froide lueur des étoiles était éclipsée par de gros nuages d’orage s’amoncelant à l’horizon ; la faible clarté qu’elles émettaient nimbait chaque feuille, chaque brindille et chaque brin d’herbe d’un halo blafard. Le tonnerre gronda, faisant trembler jusqu’aux fondations même du sol. Malgré la tempête, une forme sombre s’échinait à se glisser entre les arbres d’un vaste bois, luttant contre les bourrasques pour rester debout. Sgarr, une jeune renarde grise, marchait avec obstination, les yeux mi-clos et la fourrure aplatie par les rafales. Des ronces et des massifs de fougères fouettaient ses flancs, la pluie glaciale la gelait jusqu’à l’os, et pourtant, elle continuait son chemin, ignorant le vent et l’eau. Sgarr était une renarde grise ; son pelage avait donc une belle couleur argenté, presque noir par endroit. Des yeux noisette chauds qui mettaient tout de suite à l’aise, mais une lueur mystérieuse brillait toujours au fin fond de ses pupilles. Elle avait en outre, des séries de plumes plus ou moins grandes et colorées sur son oreille, des bracelets et des colliers de métaux rares et de pierres précieuses gravés de scènes rappelant sa charge dans son Clan : Maitresse des Esprits. Les Maitres et Maitresses des Esprits étaient des animaux à part ; reliés par un lien étrange avec les âmes des autres créatures mortes, ils recevaient des signes, des prophéties ou des visions de ces derniers. Ils devaient aussi accomplir certains rituels pour leur Clan ou pour eux-mêmes. Comme celui qui poussait Sgarr à sortir par un temps pareil aujourd’hui. Tous les jours d’ouragans, elle se rendait à la Falaise aux Éclairs pour lire la ‘‘Danse de l’Eau et du Feu’’ comme les renards surnommaient l’orage. Ainsi, elle saurait quels dangers ou bienfaits potentiels allaient survenir. Sgarr leva ses prunelles marron vers le firmament. Un nouveau tentacule luminescent l’enflamma un bref instant, se déployant tel une bannière flamboyante. Une grosse goutte de pluie s’écrasa dans son œil. Elle se secoua, s’ébroua, mouillant un peu plus les buissons qui l’entouraient, puis reprit sa progression. Bientôt, la Falaise aux Éclairs jaillit de la canopée tel un croc aiguisé. Sgarr gravit une colline naturelle et se jucha sur une souche dont les racines tortueuses étaient couvertes de mousse pour pouvoir la contempler. Rêveuse, elle laissa son esprit divaguer un moment avant de se reprendre.— Je dois continuer à avancer, dit-elle tout haut pour se donner du courage. Elle admira encore un instant le paysage fantastique offert par les éléments, puis ôta ses pattes emmêlées dans le lierre de la souche et descendit la pente douce parsemée de rochers.Elle atteignit ensuite le sentier de terre battue et boueuse menant au pied de la Falaise. Elle s’engagea dans les buissons d’aubépines le bordant pour s’accorder une petite pause et chasser un peu. Si tant est qu’il y ait des souris assez stupides pour sortir par un temps pareil, songea-t-elle.Néanmoins, elle repéra presque aussitôt un mulot grignotant une graine, à l’abri sous des rochers. Elle lui sauta dessus et l’acheva d’un coup de patte bien placé. L’avalant plus rapidement qu’il n’en fallait pour le dire, elle se pourlécha les babines pour apprécier les dernières bribes de viande. Elle se mit ensuite à courir sur la sente, revigorée par son bon repas.- Allez, Sgarr ! haleta-t-elle pour se donner de l’entrain. Tu y es presque ! Encore quelques longueurs de queue…Enfin, la masse sombre et minérale de la Falaise aux Éclairs surgit dans son champ de vision. Elle soupira de soulagement. Elle pourrait bientôt s’abriter sous les cavernes de l’à-pic.La Falaise était unique en son genre. D’un beau gris ardoise foncé, elle était couverte de toutes sortes de mousses, lichens, de champignons et de lierres qui masquaient presque entièrement sa surface. Des filets d’eau jaillissaient en mini-cascades de fissures entre les pierres de la paroi rocheuse. Ces petites chutes rejoignaient de plus gros ruisseaux, qui eux-mêmes se jetaient dans diverses flaques des creux de roche avant de s’écraser dans un bassin de fougères en contrebas, en une unique cascade. L’eau humidifiait l’air et les plantes, formant une légère brume autour de la Falaise – et rajoutant ainsi du mystère à son air déjà étrange. Sgarr se dirigea vers le bassin entouré de plantes. Des buissons fruitiers plongeaient leurs racines tordues dans l’onde fraîche. Des nénuphars fleuris remuaient doucement lorsqu’un poisson ou une grenouille venait frôler l’air libre. Des paquets de roseaux et de joncs frémissant cacher mille et une variétés d’insectes aquatiques et aviateurs, telles les libellules dansant au-dessus de la végétation ou des lucioles éclairant l’endroit d’une lumière glauque et légèrement inquiétante. Un petit ruisseau quittait le bassin pour s’enfoncer profondément dans la forêt sombre.Les arbres immenses au tronc épais étaient si denses qu’ils empêchaient les averses diluviennes d’atteindre ce lieu à part. Le vent violent et froid devenait à peine une brise ici. Même le grondement du tonnerre et l’éclat des éclairs semblaient s’étouffer.Sgarr but un peu de l’eau cristalline. Les moustaches brillantes de perles liquides, elle ferma les yeux pour mieux savourer cette eau si spéciale. Elle avait un goût de givre, de feu et d’étoiles. C’était la messagère des rêves, porteuse de l’espoir. *** *** *** La renarde grise fit sa toilette en quelques coups de langue. Ses poils, à peine séchés, formaient des pics et des bourres peu gracieux. Serpentant entre les massifs de fougères et de chardons, Sgarr s’engagea dans une grotte où un petit ruisselet disparaissait dans les entrailles de la pierre.Des plantes et des animaux tout à fait différents de ceux qu’elle avait quitté dans la forêt survivaient à l’intérieur de la caverne. Des grappes de chauves-souris pendaient au plafond, des bouquets de champignons luisants poussaient au pied des murs, de la mousse phosphorescente recouvrait les parois, des insectes et des araignées énormes rampaient ou marchaient un peu partout. Il y avait même quelques pousses de lierre, mais celles-ci se raréfiait à mesure que la Maitresse des Esprits avançait dans le boyau.Des racines sortaient des crevasses de la roche. Leurs fleurs ressemblaient à de grosses boules rondes, orangés et de tailles variables, émettant une faible lumière. Celle-ci, en plus de celle des champignons et de la mousse, suffisait à peu près à éclairer le tunnel infini qu’empruntait Sgarr.Elle marcha longtemps. Par moment, le sentier de sable qu’elle suivait descendait loin sous la terre, par d’autre il remonter assez haut. Malgré les caprices du relief, elle continuait sa progression, une expression déterminée plaquée sur son visage.Enfin, elle atterrit dans une splendide caverne très grande. Ses parois étaient veinées de quartz de différentes couleurs. En son cœur, des roches pointues formaient une étrange contorsion surgissant du sol. Des plantes y poussaient - il y avait même un petit arbuste rabougri qui peinait à pousser – et un petit ru jaillissait d’un creux de pierre en une gerbe d’éclaboussures. Une fissure dans le plafond illuminait cette statue naturelle, faisant luire les cristaux de roche qui s’y trouvaient. Un anneau d’eau claire et pure et un autre de sable l’entourait telle une barrière symbolique. La sente sablonneuse qu’utilisait Sgarr rejoignait ce dernier anneau. Elle se plaça juste devant la formation rocheuse et s’inclina devant elle, en signe de respect. Cette création magnifique de la nature était appelée ‘‘le Signe des Astres’’ par les renards, ou Solfaa’yss. Yss voulant dire ‘‘Signe’’ et Solfaa ‘‘Astres’’ ou ‘‘Étoiles’’.Sgarr se releva et contourna le Signe et traversa le reste de la grotte. Elle s’engouffra dans un autre tunnel qui débouchait sur une caverne plus petite que la première et qui donnait un accès direct à l’air libre.La pluie et le vent cueillit à nouveau la Maitresse des Esprits quand elle déboula sur la corniche de la petite grotte. Des fougères poussaient dessus. Elle se trouvait tout au sommet de la Falaise aux Éclairs, là où elle pourrait communiquer avec les esprits.Elle s’assit sur une pierre plate en cristal – l’endroit où elle lirait les éclairs. Elle fixa la Danse de l’Eau et du Feu sans sourciller face à la lueur violente qui brûlait ses yeux. La protection de la Falaise et des âmes de ses ancêtres empêchaient la foudre de la blesser.Au sommet de la Falaise, la pluie et les bourrasques étaient bien plus puissantes, mais la Danse apparaissait en entier dans le ciel noir. Les yeux plissés, Sgarr se concentrait de toutes ses forces, mais rien. Pas le moindre petit bout de vision, pas le moindre fil. Que se passe-t-il ? pensa la Maitresse des Esprits, inquiète. Solfaanorr ? Esprits des Phénix ? Où êtes-vous ?Aucune réponse ne lui parvint. Nos ancêtres ne veulent plus me parler. Pourquoi ? Pourquoi ?Au moins, elle était sûre d’une chose : de sombres années attendaient les Royaumes-Renards. Si aucunes des âmes du Temple des Étoiles ne voulaient – ou ne pouvaient – lui parler, c’est qu’un terrible danger menaçait. Mais lequel ? Sans l’aide des ancêtres, impossible de le savoir. Sgarr s’apprêtait à abandonner et retourner dans le Clan de l’Est annoncer la mauvaise nouvelle lorsqu’un affreux mal de tête la fit vaciller. Elle s’écroula, prise de convulsions. Des visions se succédèrent devant elle : des combats sanglants, des loups horribles aux yeux rouge luisant et aux crocs si démesurés qu’ils sortaient en désordre de leur gueule, des animaux morts ou blessés, des forêts entières réduites en squelettes d’arbres sombres, des étoiles tourbillonnantes dont la lueur faiblissait de minute en minute. Et des voix. Un chœur de voix, toutes différentes, mais pourtant uniques, qui répétaient des mots incompréhensibles. Mais, peu à peu, les mots se firent plus distincts, et se séparèrent les uns des autres. Au final, Sgarr put discerner des phrases précises, et se qu’elles disaient n’augurait rien de bon.Elles psalmodiaient :Venus de l’ancienne Terre, Mais pourtant des Royaumes-Renards originaires, Unis par les Liens du Destin, Ils sauveront le monde des loups des Perfides et de leur sombre dessein. Les loups des Perfides ? pensa-t-elle, terrifiée. Mais ils ne sont qu’une légende ! Elle tendit à nouveau l’oreille, se concentrant pour entendre le reste de la prophétie.Destiné à régner, des Royaumes le Roi, Sage, bon, honnête et droit, Phénix parmi les Phénix, et pourtant Il s’illustrera du plus Grand. Née du giron de la haine, Avec des amis inconnus, sur une terre lointaine, Dotée d’un pouvoir sans égal, Elle combattra jour après jour le mal. Passé et futur se mêleront au présent, Ensemble depuis la nuit des temps, Et dans l’histoire, autrefois, Ils ont laissé l’empreinte de leur pas. Quoi ? Sgarr était perdue. Les mots, gravés mystérieusement dans sa mémoire, résonnaient encore dans son crâne. Elle n’en comprenait pas encore le sens, cela ne présageait pas de bons temps à venir. Elle entrevit alors des loups – les mêmes loups effrayants qu’elle avait vu dans sa précédente vision – se frayer un passage dans le cantonnement de l’Est et attaquer sauvagement ses camarades. Non ! Elle hurlait intérieurement, apeurée et enragée en même temps, mais ne pouvait rien faire pour empêcher le massacre qui se déroulait sous ses yeux. Puis elle découvrit une de ses connaissances – Falia, une jeune renarde devenue sa meilleure amie – se jeter à l’assaut d’un énorme loup noir comme une nuit sans Enul et lui entailler le flanc. Une giclée de sang devint affreuse rivière poisseuse qui vint lécher les pattes de Sgarr. Elle criait de dégoût, mais eut à peine le temps de voir une renarde grise guider deux petits renardeaux à l’abri hors du cantonnement. Stupéfaite, elle se reconnut elle-même, ainsi que les deux bébés : c’était ceux de Falia, Sharon et Croc des Neiges !Une partie de la prophétie retentit en écho dans sa tête : Venus de l’ancienne Terre, Mais pourtant des Royaumes-Renards originaires… Alors, se serait eux ? se questionna-t-elle, indécise. Et se serait moi qui les amènerais sur la Terre, pour les mettre à l’abri ? Pour les protéger ? Elle réfléchissait encore lorsqu’elle repensa au reste de la strophe : …Unis par les Liens du Destin, Ils sauveront le monde des loups des Perfides et de leur sombre dessein. Ainsi, les loups des Perfides ne sont pas une légende, et ils ont décidé de revenir se battre contre nous, va savoir pourquoi. Et, Sharon et Croc des Neiges seraient… Destinés ? Unis par les Liens du Destin ? Ce don est si rare… Le danger doit être immense ! Elle vit alors sa vision changer. Une étrange pierre d’argile, plate, aux bords cassés comme s’il s’agissait d’un fragment de poterie, avec une spirale blanche luisante gravée dessus, s’offrit à sa vue. Bizarre, je n’ai jamais vu cette pierre, et pourtant elle ne m’est pas inconnue… Qu’est-ce que cela peut bien être ?— C’est la Pierre-Spirale !Cette voix cristalline brisa la vision en mille morceaux. Sgarr ouvrit les yeux et vit qu’elle flottait dans l’espace. Les Royaumes-Renards étaient derrière elle, sur la planète ronde qui voguait majestueusement dans l’Univers, tournant autour de Leilos l’Astre-Roi, l’étoile solaire. Sous ses pattes, un sentier lumineux fait de poussière d’étoiles et d’étincelles dorées. Il se décomposait et se recomposait sans cesse, mais elle n’en chutait pas pour autant. Le sentier de Solfaa, pensa-t-elle. Je suis dans le royaume des esprits. Elle remarqua ses pattes dont les poils étaient devenus flammes pâles et le contour était pailleté. En levant les yeux, elle vit alors une splendide renarde, au pelage d’or et aux yeux flamboyants. Solfaanorr, Celle qui Guide les Âmes, s’avança vers Sgarr. Celle-ci s’inclina aussitôt.— Une ère sombre va bientôt arriver, déclama Solfaanorr de sa voix douce. Sois forte et courageuse. Garde l’espoir pour les Clans. Le Destin, l’Instinct et moi avons décrété cette nouvelle prophétie, avec l’accord des Esprits des Phénix. Les Prophéties Légendaires seront connues partout, elles seront désignées comme les plus grands évènement de notre Histoire, après la Première Légende. Les dangers terribles ne vont pas manquer, mais les Destinés seront y faire face. N’oublie pas que, même loin de chez eux, nous veilleront sur eux…Tout en prononçant ces mots, elle commença à se dissiper. La renarde grise paniqua.— Non… Non ! Solfaanorr, ne part pas ! J’ai besoin de toi ! cria Sgarr, même si elle savait que cela était inutile.Elle courrait pour rattraper l’esprit, mais elle se réveilla en sursaut à la Falaise aux Éclairs. L’orage était passé, et l’aube commençait à poindre derrière les arbres. Malgré son cœur battant et ses inquiétudes plus terrifiantes les unes que les autres, Sgarr reprit courage.— Je sais quoi faire, désormais, murmura-t-elle en regardant le Leilos levant. Les ancêtres ne nous ont pas abandonnés. Les Destinés sont arrivés. Une nouvelle Légende a été décrétée. L’ère de ténèbres va bientôt commencer. |
| | | Snowhite
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| Sujet: Re: Le Folklore des Royaumes-Renards: Les Prophéties Légendaires ~ La Légende du Destin ~ Livre I: Les Liens du Destin Ven 28 Juin - 23:44 | |
| Je rajoute un bout de mon chapitre 1...
Sharon pourchassait une gerbille. Au-dessus d’elle, la Lune voguait paresseusement parmi les astres, illuminant le désert d’une irréelle couleur argentée. La jeune fennec rampait lentement, son pelage brun clair et blond se fondant dans le sable. Nimbée de lumière lunaire, elle ressemblait à un esprit céleste. La gerbille, petite souris grignotant une graine, s’était mise à l’abri sous un bouquet d’épineux. Sharon pesta intérieurement. Les épines ralentiraient sa course lors du moment où elle se jetterait sur sa proie. Les étoiles auraient pu danser dans le ciel, Sharon ne s’en serait pas rendu compte tant elle était concentrée. L’animal fouisseur finit son repas et remua les moustaches. Il entreprit ensuite de faire sa toilette. La femelle se tapit un peu plus au sol. Le rongeur trottina vers son terrier, creusé entre deux arbustes couverts de piquants acérés. Ah non ! Tu ne m’échapperas pas comme ça ! songea la prédatrice. Elle bondit avec un glapissement triomphal. La gerbille sursauta, se retourna et eut à peine le temps de couiner que déjà, elle pendouillait entre les mâchoires ensanglantées de Sharon, morte. Heureuse, cette dernière allait se pencher pour déguster la chair tendre de sa première prise quand un bruit la fit faire volte-face. — Qui va là ? demanda-t-elle, mi-apeurée, mi-coléreuse. Rien. Pas de réponses. — Je vous préviens, si c’est une blague, elle n’est pas drôle ! continua la fennec en tentant désespérément de masquer les tremblements de sa voix. Toujours rien. — C’est… C’est toi, Deïlf ! Je t’ai reconnu ! Allez, arrêtes-ça maintenant ! clama-t-elle d’une voix mal assurée, l’échine hérissée et la queue gonflée. Puis, essayant en vain de maîtriser les battements de son cœur, Sharon revint à son dîner, préférant ignorer l’intrus plutôt que de le chercher. Mais elle ne retrouva pas sa proie. La Lune et les étoiles s’étaient éteintes. Le noir complet avait envahi le monde, tandis que sous ses pattes le sable chaud et granuleux du désert se changeait en un sol dur et froid. Un écho parvenait à ses oreilles. Un écho terrifiant, comme un léger ronflement qui n’attendait que grandir jusqu'à devenir rugissement impétueux. Sharon retint son souffle, de peur que la chose à l’origine de ce ronflement ne l’entende. Elle n’osait pas faire un geste. Le ronflement se mua bientôt en grondement, et le grondement, en terrible cri de guerre. Qui ne venait pas d’un fennec, ou même d’un renard en général. C’était là un hurlement caverneux, venant du plus profond de la poitrine géante de la chose. La terre trembla. Paniquée, tétanisée par la peur, Sharon tendit l’oreille pour savoir d’où venait le bruit. Puis le sifflement sourd d’une respiration lui parvint et une haleine chaude et fétide fit soulever sa fourrure. Deux petits yeux luisants et glaciaux étincelèrent dans l’obscurité. Le sifflement se fit entendre une nouvelle fois alors que la chose gonflait ses poumons d’air, prête à charger. — Noooon ! s’égosilla Sharon. Elle détala, dérapant sur la pierre qui lui écorchait les coussinets. Derrière elle, le souffle nauséabond, le sifflement et les grondements de la chose la poursuivait. Elle était si grosse, si lourde, si puissante, qu’elle ébranlait même la terre. — À l’aide ! Au secours ! Aidez-moi ! s’époumona Sharon. Du coin de l’œil, elle vit la chose gagner du terrain à chaque seconde. Son pelage épais et long, d’une couleur crème jaunâtre, était tout taché de sang. Et à l’odeur, ce n’était pas du sang de proie, mais du sang de renard à l’effluve légèrement différente de la sienne, mais c’était du renard, elle en était sûre. Sharon sentait autour d’elle une odeur inconnue, mais pourtant familière, présente comme si un autre animal l’accompagnait dans sa course folle pour sa survie. Elle hurla de peur lorsque la chose la frôla de ses griffes longues et droites. Puis, après un virage, elle vit de la lumière. La sortie ! Elle accéléra l’allure, et distança même la chose de quelques longueurs de queue. Mais celle-ci fit alors un bond impressionnant, et rattrapa Sharon juste avant qu’elle n’atteigne la source de la lumière. La chose plongea ses griffes dans l’épaule de Sharon et l’entailla jusqu’au poitrail. Le sang gicla. Sharon criait de douleur, se débattait et s’écroulait dans son propre liquide vital. L’hémoglobine coulait à flot, tachant son pelage de rouge. Des voix murmuraient à ses oreilles. Elles semblaient lui dirent des mises en gardes, lui annoncer des périls horribles. Puis une de ces voix, très familière, se fit plus forte que les autres. — Sharon ! Aidez-moi ! pensa-t-elle, trop faible pour appeler à voix haute. — Sharooooon ! Sharon se réveilla en sursaut. |
| | | Rune
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Qui es-tu ? Race: Chouette Effraie, Tyto Alba Santé: (100/100) Rang: Gardien du Grand Arbre, mais Sang-Pur dans le crâne
| Sujet: Re: Le Folklore des Royaumes-Renards: Les Prophéties Légendaires ~ La Légende du Destin ~ Livre I: Les Liens du Destin Jeu 25 Juil - 11:34 | |
| Le nouveau prologue; il est long je sais, mais c'est un roman que j'écris!
*** Prologue ***
Les étoiles brillaient, fragiles lueurs au sommet du firmament. Les frondaisons fournies des arbres caressaient les lucioles célestes avec leurs feuilles nimbées d’un halo blafard. Enul, la Sphère-d’Argent, l’astre scintillant de la nuit, luisait au-dessus de la forêt, telle une âme bienveillante. Dans les bois, au plus profond des buissons, au cœur même des branchages, des silhouettes sombres avançaient. Les lumières du soir se réfléchissaient sur leurs armures de métal noir et froid, glissaient le long d’étranges griffes de fer qui prolongeaient leurs pattes puissantes. L’éclat dur des lames perçait à travers le feuillage dense des taillis et des massifs de fougères. Soudain, une file de loups plus horribles les uns que les autres jaillit dans une clairière baignée de la nitescence d’Enul. Leurs muscles tendus saillaient sous leur fourrure rase et ébouriffée. D’un noir de jais, celle-ci semblait absorber la moindre particule de vie et de chaleur autour d’elle. Leurs crocs étaient si démesurés, si grands, qu’ils surgissaient en désordre de leur gueule. Mais surtout, leurs yeux étaient d’un rouge sanglant, étincelant de rage et de haine, de soif de vengeance et de pouvoir. Ils étaient là pour tuer. Leur chef, un loup gigantesque, tenait entre ses canines un étrange sceptre doré, gravé d’inscriptions, de runes et de symboles. Son pommeau était en forme de tête de loup tenant une boule rouge et luisante dans ses babines. Elle brillait de la même couleur écarlate des prunelles des loups. Les animaux trépignaient d’impatience. Ils attendaient ce moment depuis si longtemps ! Et maintenant qu’ils étaient sur le point de le réaliser, ils sentaient une adrénaline puissante courir dans leurs veines et leur hérisser le poil. — Patience, patience, mes loups des Perfides, gronda le Grand Maniloup, meneur de la meute. Bientôt nous nous vengerons de ces vermines. Mais avant, continuons de marcher, rejoignons ces quelques renards qui menacent notre revanche, juste à cause de deux malheureux Destinés ! Tuons-les, et ensuite, les Royaumes seront à nous. Je vous le promets, mes guerriers ! Les autres rugirent sourdement pour montrer leur approbation. Des fils de bave coulaient le long de leur langue. Pressés de voir le sang jaillir, de lire la peur dans les pupilles de leurs adversaires, de lacérer la chair et la fourrure des renards, ils forcèrent l’allure pour se rapprocher du champ de bataille où aller avoir lieu le premier combat d’une guerre sans fin.
*** *** ***
Sgarr luttait de toutes ses forces. Les loups des Perfides les surpassaient en nombre. Au-dessus de la renarde, le ciel semblait se maculer du sang des victimes, ruisselant d’une rivière écarlate entre Enul et les étoiles, trop lointaines pour atteindre les canidés qui se battaient pour leur survie. La femelle grise hurla et tenta de se débarrasser du loup qui lui entravait la patte arrière droite avec ses crocs. L’animal rugit de douleur, avant de balayer l’air de ses griffelames, le faisant siffler. Sgarr évita lestement son coup et le griffa sur la truffe à l’endroit où son casque ne le protégeait pas. Il glapit de nouveau, puis essaya de lui sauter sur le dos – sans doute, vu la différence de poids entre les deux batailleurs, pour le briser en deux. La renarde roula sur le côté et attaqua son flanc. Ses armes ripèrent dans un crissement strident sur le métal de son armure. Elle grimaça, les oreilles couchées en arrière. Puis, alors que les deux adversaires se relevaient, une mêlée furieuse de poils roux et noirs passa en trombe entre eux, avec force gouttes de sang et cris de souffrance. Le loup des Perfides profita de la surprise de Sgarr pour la lacérer vicieusement. Elle recula, secoua la tête pour se reprendre, et plongea sous son rival pour taillader son ventre. Ou plutôt, pour couper net les boucles qui retenaient son armure. Des bouts de fer se semèrent sur le passage du canidé, tel un sillage métallique. Une ouverture se forma sur la partie fragile du poitrail du loup, et Sgarr y planta ses crocs. Quelques secousses, et se fut terminé. La femelle cracha le sang qui lui coulait dans la gueule. Elle se releva, constatant avec désespoir la terrible bataille qui se déroulait autour d’elle, alors qu’il y a quelques minutes, tout était si paisible. Elle pouvait encore entendre le souffle doux des renards endormis, le bruissement léger des feuilles dans le vent, les « cri-cri-cri » réguliers des cigales dans la nuit. Puis les loups des Perfides étaient arrivés, attaquant par surprise, et le carnage avait commencé. De nombreux cadavres de renards jonchaient le sol, le liquide vital ne cessait de couler, abreuvant la terre d’une eau bourgogne. Tous avaient étaient ébahis de voir surgirent ces loups, qui n’apparaissaient plus que dans les contes et légendes pour renardeaux. On croyait d’eux qu’ils n’existaient pas, qu’ils n’étaient que des créatures merveilleuses, de la fantaisie ! Eh bien, leur ignorance les avait trompés. Et maintenant, ils en payaient le prix. Terrifiée, Sgarr voyait les touffes de fourrure voler un peu partout, accompagnée par des perles rougeoyantes. Derrière les arbres, une lueur grisée s’allumait peu à peu. L’aube était là, mais elle n’apportait avec elle que des promesses de mort et de tristesse. La renarde grise fronça les sourcils, prête à se relancer dans la bagarre, même si l’issue du combat n’avait aucun doute quant aux vainqueurs, lorsqu’un cri déchirant couvrit le brouhaha des guerriers. Aussitôt, Sgarr reconnut la plainte. Falia ! hurlait son esprit torturé et anéanti. Elle bondit à la rencontre de son amie, dont le gémissement faibli puis s’éteignit. De nombreux loups tentèrent de la détourner de son chemin, mais elle les repoussa sans mal. Comme si une force nouvelle s’était réveillée en elle et courait dans ses veines, elle exécuta un saut incroyable, passant au-dessus d’un canidé stupéfait, et se réceptionna gracieusement devant un buisson férocement défendu par des épines grosses comme des griffes d’ours. Un loup énorme essayait de se frayer un passage entre les branches piquantes pour atteindre ce qu’il y avait à l’intérieur – c’est-à-dire Falia. Qui continuait à crier, bien que ses hurlements ne soient plus suffisamment forts pour passer outre du bruit fait par les renards et loups qui bataillaient en faisant retentir les coups de métal. Sgarr poussa un cri de guerre retentissant et chargea le gros mâle. Celui-ci, surpris par l’assaut inattendu, reçu le choc de plein fouet. Sgarr tenta de trancher les boucles de son armure afin de l’achever de la même façon que son précédent adversaire, mais l’autre était fort. Plus fort que sa pauvre victime, qui valdingua dans les airs sans comprendre se qui venait de se passer. Elle atterrit lourdement à plusieurs longueurs, le souffle coupé. Le temps qu’elle se relève, et le loup des Perfides était déjà sur elle. Sgarr était dominée par le monstre, qui bavait sur elle tant il était impatient de la tuer. Mais elle était maligne. Elle se tortilla sous ses pattes, de plus en plus fort, si bien qu’il n’eut plus aucune prise. Il trébucha, permettant à la renarde grise de s’échapper. Elle le contourna à toute vitesse, profitant qu’il était encore déséquilibré, et mordit sauvagement sa queue. Elle s’égratigna les dents sur le métal froid du protège-queue, mais serra suffisamment pour qu’il rentre dans la peau du loup et lui arrache un grognement. Sgarr ne vit rien venir. Un instant, il grondait contre elle, l’instant d’après, il se dégageait avec violence et se retournait à toute allure, debout sur ses pattes arrières, prêt à frapper. Sgarr ferma les yeux, pour supporter le choc. Le mâle abattit ses pattes sur son crâne. Elle s’effondra. La dernière chose qu’elle vit, entre ses paupières mi-closes et ses yeux embrumés, ce fut un éclair roux filant à la rencontre du canidé et le percutant assez brusquement pour le faire rouler sur le côté. Les cris de douleur et de rage s’estompèrent peu à peu autour d’elle, puis ce fut le noir.
*** *** ***
Les hurlements de colère retentissaient dans la tanière. Tapie dans l’ombre, une forme sombre et tremblante écoutait d’une oreille inquiète les plaintes. Entourant de sa queue, deux petits renardeaux, tout aussi effrayés, qui la fixaient de leurs grands yeux ronds. — Maman ! gémi l’un d’eux, en se blottissant un peu plus dans l’épais pelage de sa mère. Un beuglement horrible le fit taire. — Chut, mes petits, chut, chuchote la renarde rousse, en lançant des regards angoissés aux quatre coins du gîte. Falia – car c’était elle – avait terriblement peur. Jamais de sa vie, une si brutale bataille s’était déroulée dans la forêt. Elle se ratatina un peu plus dans sa litière de mousse, son souffle chaud et caressant soulevant le duvet de ses deux rejetons. — Maman, qu’est-ce qui se passe ? demanda la femelle d’une voix aigue. Falia hésita. Devait-elle lui dire ? Mais son frère renchérit : — Maman, est-ce qu’on doit se battre ? Je te protégerais, je te le promets ! ajouta-t-il presque aussitôt. Falia sourit. — Ne vous inquiétez pas, les combattants se chargent de notre sécurité. Et je n’en doute pas, Croc des Neiges, mais tu es encore trop petit. Il te faudra attendre. — Il faut toujours attendre, avec toi, bougonna-t-il, mais se tut lorsqu’un bruissement se fit entendre à l‘entrée de l’antre. Aussitôt, leurs fourrures se hérissèrent. Falia avait entendu un loup essayer d’avancer à leur rencontre, puis des bruits de bataille avaient retenti et l’animal n’avait plus tenté quoi que se soit contre eux. Est-ce qu’il revenait ? Est-ce que finalement, il ne s’était pas enfuit comme l’avait pensé la femelle ? Les branches fournies vibrèrent de plus belles. La renarde planta ses griffes dans la terre meuble. Même si elle n’était pas armée, elle défendrait chèrement sa vie – et celle de ses petits. Puis une tache grise apparut entre les feuilles et, l’instant d’après, un canidé stupéfait en sortit. Le cœur de Falia débordait de joie, et elle soupira de soulagement. Sgarr ! Tout n’était pas perdu. Son amie de toujours était là pour l’aider en cas de besoin. La pauvre renarde était en bien piteux état. Son pelage argenté et noir était ébouriffé, arraché par endroit, son armure terriblement abîmée, et elle semblait épuisée. Du sang maculait ses poils et commençait tout juste à coaguler. — Sgarr ! s’écria la mère, atterrée par la vision de sa camarade semant des bouts de fourrure un peu partout. Que se passe-t-il ? Tu as été attaquée ? Nous avons gagné ? Un flot de questions sortait de sa gueule. On ne pouvait plus l’arrêter ! Sgarr mit fin à ces paroles ininterrompues d’un geste de la queue. — Non, nous n’avons pas gagné, répondit-elle. Et oui, j’ai été attaquée. On m’a même assommée. Falia ouvrit des yeux ronds. — Assommée ? Oh, ma pauvre Sgarr ! Elle fila soutenir la femelle qui vacillait. — Heureusement, mon casque me protégeait, continua Sgarr, d’une voix fatiguée, mais les mirettes grandes comme des galets. C’est d’ailleurs cela qui m’a sauvé la vie, sinon je serais morte à l’heure qu’il est. — Oooh ! Falia observait son amie sous toutes les coutures, détaillant au fur et à mesure chacune de ses blessures, et léchant les plus superficielles pour les faire cicatriser plus vite. Sgarr remercia la jeune femelle d’un regard, puis s’assit sur une litière inoccupée. Elle balança la tête en direction des deux renardeaux qui, curieux, s’étaient rapprochés. Croc des Neiges avait même osé renifler les armes ensanglantées de la guerrière. Falia compris tout de suite le message. Même si une lueur inquiète dansait dans son regard, elle parvint à articuler d’un ton à la fois doux et ferme : — Sharon, Croc des Neiges, nous devons parler en privé. Laissez-nous tranquilles un moment. Si vous voulez, vous pouvez vous poster à l’entrée, pour guetter le moindre ennemi. — Mais, maman… protestèrent-ils en chœur. Le regard de leur mère se durcit. — C’est un ordre. Elle n’haussa pas le ton, mais les deux petits obéirent docilement, la queue et les oreilles basses. — Qu’y a-t-il ? questionna doucement Falia à Sgarr, une fois les deux fripons occupés à surveiller l’entrée du gîte, comme elle le leur avait demandé. Sgarr considéra son amie d’un œil inquiet, puis ses yeux passèrent aux deux canailles qui se battaient gentiment devant le tunnel de végétations, inconscients du danger qui les guettaient. — Une vision. Falia se figea. Une vision, plus le ton grave de Sgarr, suffisait à la convaincre qu’un grave péril menaçait. Mais quoi ? — Une… une vision ? balbutia-t-elle. Où ? Quand ? — Quand j’étais assommée. J’ai vu les loups des Perfides, je te le jure, détruire tout sur leur passage, tuer sans compter, baignant dans le sang de leurs victimes. Et parmi eux, il y avait leur chef, avec son sceptre. Puis m’est apparue la vision de la bataille qui se déroule en ce moment dans la clairière. Et ensuite, je… je me suis vue, guidant tes petits à travers la forêt, les éloignant du combat. Falia sursauta. — Quoi ? Mes petits ? — Oui, mais attends, je n’aie pas fini. Pendant ce temps, une voix – ou plutôt un chœur de voix, si harmonieux qu’il était impossible de démêlé le moindre mot – répétait ceci : Venus de l’ancienne Terre, Mais pourtant des Royaumes-Renards originaires, Unis par les Liens du Destin, Ils sauveront le monde des loups des Perfides et de leur sombre dessein.
Destiné à régner, des Royaumes le Roi, Sage, bon, honnête et droit, Phénix parmi les Phénix, et pourtant Il s’illustrera du plus Grand.
Née du giron de la haine, Avec des amis inconnus, sur une terre lointaine, Dotée d’un pouvoir sans égal, Elle combattra, jour après jour, le mal.
Passé et futur se mêleront au présent, Ensemble depuis la nuit des temps, Et dans l’Histoire, autrefois, Ils ont laissés l’empreinte de leur pas.
Falia cligna des yeux. — Cela ressemble à une prophétie. — Parce que s’en est une. Après, la vision s’est évanouie et Solfaanorr est venue. Elle a murmuré, dans un soupir : « Des Destinés… Les Prophéties Légendaires… » et je me suis réveillée. Falia et Sgarr se regardèrent. Elles avaient toutes les deux la même idée. — Cela voudrait dire… — Oui. Des temps sombres se profilent devant nous, et cet attaque des loups nous le prouve. Mais tes petits… sont mêlés à ça. Falia en fut horrifiée. — Non… Non, ils ne sont pas méchants ! Juste turbulents ! — Ne t’inquiètes pas, la rassura son amie. Ce sont eux, les Destinés de la première Prophétie Légendaire ! Falia en resta interdite. — Non… murmura-t-elle. Non, ce n’est pas possible ! Pas mes renardeaux, pas mes cœurs, pas Sharon et Croc des Neiges ! Elle fixait ses deux petits insouciants tout en disant ces mots. — Quelle preuve as-tu pour cela ? — Voyons, Falia, dit Sgarr, voyant que la femelle refusait de voir la vérité en face des yeux. Ce sont les deux seuls petits que nous ayons lors de cette bataille. — Mais d’autre pourrais naître ! s’emporta Falia, niant toujours. Mais en elle, une fêlure s’ouvrit. Elle se mentait. Elle savait – et elle le savait depuis toujours, lors de la naissance de ses enfants – qu’ils n’étaient pas comme les autres. Qu’ils avaient quelque chose à accomplir. Qu’ils étaient des Destinés. Sgarr commençait à s’échauffer elle aussi. — Après cette bataille, nous serons peut-être tous morts ! C’est maintenant que commence leur aventure ! Et pourquoi les loups nous attaquent ? Parce qu’ils veulent tuer tes petits. Tu ne le vois donc pas ? Tu ne le ressens donc pas ? Toi, leur mère ? Falia secoua lentement la tête. Une larme perla de ses yeux. — Mais la charge de Destiné est si lourde à porter, et ils sont si jeunes… chuchota-t-elle, le cœur serré. Sgarr, prise par sa compassion, se détendit et entoura de sa queue les épaules de la jeune mère. — Allez, fit-elle d’un ton réconfortant. Ca va aller. Si les esprits les ont choisis, eux, c’est pour une bonne raison. Ils peuvent le faire. — Et où les emmèneras-tu ? demanda Falia pour gagner du temps, car elle connaissait déjà la réponse. — Comme le dit la prophétie, répondit Sgarr. « Venus de l’ancienne Terre, mais des Royaumes-Renards originaires ». Je vais les emmener au transportail le plus proche, pour qu’ils se rendent au plus vite sur Terre. — Sur Terre ! Par un transportail ! Oh, Sgarr, j’espère que nous ne nous trompons pas… — Je l’espère aussi, dit son amie, sentant tout le poids des responsabilités sur ses épaules. Falia était pleine de bon sens, aussi accepta-t-elle. Même si Sgarr sentait qu’une épreuve terrible l’attendait, une épreuve qu’elle allait devoir surmonter, mais seule. — Sharon, Croc des Neiges, venez. Sa voix se brisa sur le dernier mot. Il… il faut que je vous dise quelque chose, continua-t-elle avec un effort visible pour parler. Vous allez devoir suivre Sgarr, qui va vous mener en lieu sûr, le temps que la bataille cesse. Vous… vous devez lui faire confiance. Me faire confiance. Les deux petits étaient interloqués. Puis Croc des Neiges, le plus enhardi des deux, s’approcha de sa mère et lança d’un air féroce : — Je n’ai pas besoin d’être couver, maman. Je peux me battre pour toi. — Moi aussi ! Moi aussi ! s’écria sa sœur, Sharon, jamais en reste. Falia les regarda d’un air attendri. — Mes petits. Obéissez-moi, c’est pour votre bien. Les deux chenapans voulurent protester, mais elle les fit taire d’un battement de queue. Un froissement de feuilles et des grondements les firent se retourner. La menace se rapprochait, et ils l’avaient presque oublié à force de discuter. — Allez, fit Sgarr d’un ton pressant. On doit se dépêcher. On a plus beaucoup de temps. — Mais pour aller où ? gémi Sharon, blottie dans les pattes de sa mère. Le friselis des feuilles se fit plus bruyant. Les renards se figèrent. — Tu verras bien, répondit Sgarr en les poussant du bout du museau. Attendez-moi là. Je dois dire un mot à votre mère. Les deux obéirent en ronchonnant. Sgarr s’approcha de Falia. — Tu sais, tu peux venir avec eux… — Non, dit-elle d’un ton ferme et résolu. Ses yeux brillaient de détermination. Elle ne ressemblait plus à la femelle terrifiée à l’idée d’abandonner ses petits. À présent, elle ferait tout pour les sauver. Toi, vas les guider et reviens. Moi, je peux faire diversion pendant ce temps, les faire oublier leur tâche… — Mais c’est terriblement dangereux ! s’exclama Sgarr, et dut se reprendre car les renardeaux l’observaient avec curiosité. Tu crois que tu pourrais ? — Bien sûr. Pour mes petits, pour toi, pour le monde, je le ferai. Une flamme féroce illumina son regard, mais elle était chargée d’amour, non de haine. Sgarr soupira, sachant qu’il était inutile de lutter. Résignée, elle se désarma et tendit ses griffelames et son armure à Falia. — Tu… ? fit celle-ci, mais, sous le regard inquisiteur de Sgarr, enfila les armes. Une fois parée, elle lança une œillade discrète à Sgarr, qui lui répondit par un clignement d’œil. Rassurée, elle s’engouffra dans le tunnel de végétations pendant que l’autre et les petits empruntaient la sortie de secours. L’instant d’après, ils étaient partis.
*** *** ***
Sgarr avançait sans se retourner. Derrière elle, elle savait que Falia était peut-être en train de se faire déchiquetée par les loups des Perfides – à moins que ce ne soit l’inverse. Mieux valait ne pas y penser. Cela ne ferait que la déconcentrer. Les deux renardeaux, Croc des Neiges et Sharon, ne comprenaient plus rien. Et Sgarr n’avait pas le cœur à répondre à leurs questions pressantes et inquiètes. Ils marchèrent longtemps. L’aube dévoila ses couleurs d’or et de rouge, mêlées à l’orangé, le jaune et le rose tendre. Les petits, émerveillés par tant de beauté, regardaient le spectacle magnifique de l’aurore, les yeux écarquillés. Au bout d’une ou deux heures de marche, ils commencèrent à se plaindre. Après, ils furent insupportables. Sgarr se demandait encore comment elle avait fait pour tenir sans leur donner une bonne claque. Leurs « J’ai mal aux pattes », « Je veux rentrer » ou « On est bientôt arrivé ? » commençaient sérieusement à l’agacer. Enfin, ils débouchèrent dans une vaste clairière, une heure plus tard. Les herbes douces étaient caressées par le vent frais. Sous leurs pattes, elles étaient pleines de rosée. Au centre de la trouée, une étrange pierre bleue, de la taille de la tête d’un lynx, taillée de plusieurs facettes polies, luisait d’une lueur azur. — Le transportail… murmura Sgarr, émerveillée. Cette pierre peu commune avait le pouvoir de téléporter un renard à l’endroit où il voulait se rendre. Là, en l’occurrence, c’était sur la Terre – un voyage long et rigoureux, dont peu de jeunes renards avaient fait. D’où la peur de Falia, mais maintenant, plus possible de reculer. Les deux renardeaux allaient devoir affronter leur destin ensemble. Au moins, eux sont unis dans l’adversité, songea Sgarr, en pensant à Falia s’engouffrant seule dans le tunnel de végétation. Sharon et Croc des Neiges reniflèrent, curieux, le transportail et reculèrent en glapissant lorsqu’il s’alluma. Une douce luminosité bleutée inonda la clairière. — C’est quoi, le « transportail » ? demanda Sharon en plissant les yeux. — C’est ça, lui indiqua Sgarr, amusée. Cela sert à se déplacer. — Mais j’ai mes pattes pour me déplacer ! s’écria-t-elle. — Oui, mais tes pattes se fatiguent, n’est-ce pas ? Alors que le transportail te permet de te déplacer vite sans te fatiguer. — Ouaaah ! fit-elle, la gueule béate d’étonnement. Son frère, quant à lui, restait en arrière, fixant la pierre d’un air soupçonneux. — Ca me fait peur, ce truc, grogna-t-il. — Ouh ! Trouillard ! scandait sa sœur, malicieuse. Les deux partirent dans une dispute que Sgarr s’empressa de mettre fin. — Ce n’est pas le moment ! siffla-t-elle. Aussitôt, les deux fautifs se figèrent. — Bien. J’aime mieux ça, fit Sgarr, sévère. Maintenant, approchez-vous du transportail et poser la patte dessus. Croc des Neiges allait demander pourquoi, lorsqu’un regard de Sgarr le fit taire. Obéissant, ils posèrent leur patte avant droite sur la surface froide et lisse. Le transportail se mit alors à luire bien plus fort. Surpris, les deux renardeaux voulurent retirer leur patte de la pierre, mais impossible ! Elle était collée ! Terrifiés, ils hurlèrent et appelèrent à l’aide Sgarr, qui resta impassible. Elle ne leur dit même pas un mot d’encouragement, ne les rassura pas. Non, elle regardait le spectacle, fascinée. Des rayons de lumière bleue jaillirent du transportail et inondèrent la clairière. Puis deux d’entre eux frappèrent les petits. Horrifiés, ils criaient de plus belle, mais rien n’y faisait. Ils devinrent peu à peu translucides, et se fondirent en flaques immatérielles vite absorbées par les rayons, dans un tourbillon saphir gourmand. Puis les raies lumineuses regagnèrent le transportail, la clarté se tarit et s’éteignit, tandis que Sgarr murmurait, comme pour elle-même : — Ce n’est qu’un au revoir, Sharon et Croc des Neiges…
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Qui es-tu ? Race: Chouette Effraie, Tyto Alba Santé: (100/100) Rang: Gardien du Grand Arbre, mais Sang-Pur dans le crâne
| Sujet: Re: Le Folklore des Royaumes-Renards: Les Prophéties Légendaires ~ La Légende du Destin ~ Livre I: Les Liens du Destin Jeu 24 Oct - 20:47 | |
| Voici tout ce que j'ai écrit pendant les vacances. Je vais poster chapitre par chapitre, car il y a trop de pages pour le forum %DD
P.S.: TOUTES ces pages ne sont qu'un premier jet, ni revues ni corrigées. Elles seront sans doute modifiées plus tard.
*** Chapitre I ***
S haron pourchassait une gerbille. Au-dessus d’elle, la Lune voguait paresseusement parmi les astres, illuminant le désert d’une irréelle couleur argentée. La jeune fennec rampait lentement, son pelage brun clair et blond se fondant dans le sable. Nimbée de lumière lunaire, elle ressemblait à un esprit céleste. La gerbille, petite souris grignotant une graine, s’était mise à l’abri sous un bouquet d’épineux. Sharon pesta intérieurement. Les épines ralentiraient sa course lors du moment où elle se jetterait sur sa proie. Les étoiles auraient pu danser la farandole dans le ciel, Sharon ne s’en serait pas rendu compte tant elle était concentrée. L’animal fouisseur finit son repas et remua les moustaches. Il entreprit ensuite de faire sa toilette. La femelle se tapit un peu plus au sol. Le rongeur trottina vers son terrier, creusé entre deux arbustes couverts de piquants acérés. Ah non ! Tu ne m’échapperas pas comme ça ! songea la prédatrice. Elle bondit avec un glapissement triomphal. La gerbille sursauta, se retourna et eut à peine le temps de couiner que déjà, elle pendouillait entre les mâchoires ensanglantées de Sharon, morte. Heureuse, cette dernière allait se pencher pour déguster la chair tendre de sa première prise de la nuit quand un bruit la fit faire volte-face. — Qui va là ? demanda-t-elle, mi-apeurée, mi-coléreuse. Rien. Pas de réponses. — Je vous préviens, si c’est une blague, elle n’est pas drôle ! continua la fennec en tentant désespérément de masquer les tremblements de sa voix. Toujours rien. — C’est… C’est toi, Deïlf ! Je t’ai reconnu ! Allez, arrêtes-ça maintenant ! clama-t-elle d’une voix mal assurée, l’échine hérissée et la queue gonflée. Puis, essayant en vain de maîtriser les battements de son cœur, Sharon revint à son dîner, préférant ignorer l’intrus plutôt que de le chercher. Mais elle ne retrouva pas sa proie. La Lune et les étoiles s’étaient éteintes. Le noir complet avait envahi le monde, tandis que sous ses pattes le sable chaud et granuleux du désert se changeait en un sol dur et froid. Un écho parvenait à ses oreilles. Un écho terrifiant, comme un léger ronflement qui n’attendait que grandir jusqu'à devenir rugissement impétueux. Sharon retint son souffle, de peur que la chose à l’origine de ce ronflement ne l’entende. Elle n’osait pas faire un geste. Le ronflement se mua bientôt en grondement, et le grondement, en terrible cri de guerre. Qui ne venait pas d’un fennec, ou même d’un renard en général. C’était là un hurlement caverneux, venant du plus profond de la poitrine géante de la chose. La terre trembla. Paniquée, tétanisée par la peur, Sharon tendit l’oreille pour savoir d’où venait le bruit. Puis le sifflement sourd d’une respiration rauque lui parvint et une haleine chaude et fétide fit soulever sa fourrure. Deux petits yeux luisants et glaciaux étincelèrent dans l’obscurité. Le sifflement se fit entendre une nouvelle fois alors que la chose gonflait ses poumons d’air, prête à charger. — Noooon ! s’égosilla Sharon. Elle détala, dérapant sur la pierre qui lui écorchait les coussinets. Derrière elle, le souffle nauséabond, le sifflement et les grondements de la chose la poursuivait. Elle était si grosse, si lourde, si puissante, qu’elle ébranlait la terre et peut-être même, les étoiles. — À l’aide ! Au secours ! Aidez-moi ! s’époumona Sharon. Du coin de l’œil, elle vit la chose gagner du terrain à chaque seconde. Son pelage épais et long, d’une couleur crème jaunâtre, était tout taché de sang. Et à l’odeur, ce n’était pas du sang de proie, mais du sang de renard. L’effluve était légèrement différente de la sienne, mais c’était du renard, elle en était sûre. Sharon sentait autour d’elle une odeur inconnue, mais pourtant familière, présente comme si un autre animal l’accompagnait dans sa course folle pour sa survie. Elle hurla de peur lorsque la chose la frôla de ses griffes longues et droites. Puis, après un virage, elle vit de la lumière. La sortie ! Elle accéléra l’allure, et distança même la chose de quelques longueurs de queue. Mais celle-ci fit alors un bond impressionnant, et rattrapa Sharon juste avant qu’elle n’atteigne la source de la lumière. La chose plongea ses griffes dans l’épaule de Sharon et l’entailla jusqu’au poitrail. Le sang gicla. Sharon criait de douleur, se débattait et s’écroulait dans son propre liquide vital. L’hémoglobine coulait à flot, tachant son pelage de rouge. Des voix murmuraient à ses oreilles. Elles semblaient lui dirent des mises en gardes, lui annoncer des périls horribles. Puis une de ces voix, très familière, se fit plus forte que les autres. — Sharon ! Aidez-moi ! pensa-t-elle, trop faible pour appeler à voix haute. — Sharooooon ! Sharon se réveilla en sursaut. Deïlf, son insupportable frère, était penché sur elle, un éclat malicieux luisant au fin fond de ses prunelles émeraude. Une patte appuyée sur l’épaule de sa sœur, il la secouait dans tous les sens en lui criant dans l’oreille pour la réveiller. — Allez ! Debout, paresseuse ! Aujourd’hui, c’est notre premier cours de chasse, et il ne faut pas être en retard ! Sharon le regarda d’un air mauvais. C’était le comble ! Lui, le roi des fainéants, le chef incontesté et incontestable des égoïstes, surnommé ‘‘Celui-qui-ne-remue-jamais-sa-petite-griffe-pour-aider-les-autres’’, osait lui reprocher d’être trop en retard ! Elle peinait à y croire. Néanmoins, elle était encore trop sonnée par son rêve pour répliquer. Qu’est ce que cela signifie ? pensait-elle, inquiète. Était-ce un songe prémonitoire ? Oh ! J’espère que cela ne présage rien de grave… Deïlf nota l’air absent de sa sœur. Avec une œillade moqueuse, il lança : — Alors, l’endormie ? On peut plus se passer de son lit ? Cela la sortie instantanément de ses pensées. Elle le fixa et grogna : — Fiche-moi la paix, Deïlf ! Tu ferais mieux d’aller retrouver les autres, si tu y tiens tant ! Un mouvement à la périphérie de sa vision la fit tourner la tête. À côté de Sharon, Rosa, sa sœur, dormait encore. Elle s’était soudain mise à remuer, réveillée par son frère, et se tourna sur le dos. Elle ouvrit un œil bouffi de sommeil. — Deïlf ! fit-elle. Laisse-nous tranquilles et retourne dormir. — Non ! riposta celui-ci avec morgue. C’est aujourd’hui, notre premier cours de chasse ! Rosa se dressa aussitôt, parfaitement éveillée désormais. Sa fourrure était parsemée de grains de sable et toute emmêlée, mais elle semblait ne pas s’en soucier. — Quoi ? Je pensais que c’était demain ! — Nan ! Faut se grouiller ! Sharon renifla bruyamment. Sa sœur était très tête en l’air, il lui arrivait souvent d’oublier des choses – comme aujourd’hui même. Rien qu’à voir sa tête, on devinait que Rosa n’était pas du genre à se hérisser à chaque remarque désagréable. Son visage, d’un beau duvet beige clair délicatement tacheté de brun clair, était très doux au toucher, et respirait l’innocence. On aurait presque dit une peluche, avec ses petites pattes toutes mignonnes, ses grands yeux émeraude, ses longues oreilles toutes veloutées, et sa queue en panache flottant fièrement au vent, tel un drapeau libérateur. Plutôt discrète, réservée, s’effaçant presque à chaque conversation, elle ne se mêle jamais des affaires des autres, préférant s’occuper de leurs problèmes au lieu des siens. Ce qui, parfois, est agaçant. Sharon regardait donc sa sœur s’affoler, questionnant sans cesse Deïlf, l’assommant avec ses interjections inquiètes ; quant à celui-ci, il y répondait en la pressant du museau vers la sortie du terrier. Alors qu’ils atteignaient enfin l’autre bout du gîte, Rosa poussa un long gémissement : — Oh non ! Je vais me faire gronder, c’est sûr ! — Mais chut ! Tais-toi donc… murmura sèchement Deïlf, lançant un regard angoissé vers une forme immobile allongée sur une litière de plantes du désert. Mais Rosa n’avait pas l’intention de se taire. Elle enfouie sa truffe dans ses pattes et ferma les yeux, comme pour se protéger de la colère de ses parents. — Papa et Maman vont être furieux… Et Éléazar ! Oh non, non… Une nouvelle plainte s’échappa de sa gueule. La forme sombre que guettait Deïlf quelques instants à peine frémit, puis deux oreilles se dressèrent soudain. Un grognement caverneux accompagna le mouvement de la silhouette tandis qu’elle se levait péniblement de son nid, des saletés prises dans son pelage. Un grondement furibond troua le silence épais de la tanière. Aussitôt, les trois jeunes renardeaux se figèrent. Autour d’eux, des fennecs encore endormis se réveillaient peu à peu, mais avec moins de… d’irritation. Phylis, la tante de Sharon, qui attendait ses petits, leva une tête hébétée, les yeux à demi clos. Zéphyr, le cousin de Sharon, était déjà debout, la fourrure ébouriffée ; dès qu’il croisa les regards inquiets des jeunes, il les lorgna d’un air angoissé avant de filer à la sortie, sans même prendre le temps de se donner contenance. Soudain, un glapissement de rage se fit entendre et deux billes vertes brillantes de froideur percèrent l’obscurité. — QUI A OSE ME REVEILLER ? Le hurlement d’Éléazar, grand-père bougon et très irascible de Sharon, résonna dans tout le gîte. Éléazar était très connu par les membres de sa Famille – et des Familles avoisinantes – pour son caractère insupportable. Il s’énervait dès que quelque chose ne lui convenait pas ; il cherchait toujours la petite bête, exprès pour embêter les autres ; et pour finir, il était très à cheval sur les règles. Sur ses règles. Par exemple, il ne supportait pas qu’on le réveille avant l’heure – c’est-à-dire très tard –. Comme venait de le faire, involontairement certes, les trois fennecs. Éléazar s’approcha d’eux lentement, comme le chasseur s’approche d’une gerbille. Il les passa en revue d’une œillade sévère, et s’approche ensuite de Deïlf – sa cible privilégiée : le jeune mâle ne cessait de taquiner le vieux renard. Il s’avança si près qu’il touchait presque la truffe de son cadet. Celui-ci le fixait d’un visage effrayé, mais défiant. — Je parie que c’est toi, Deïlf, lâcha-t-il avec amertume. Le frère de Sharon retint son souffle, tandis que celui, chaud et malodorant, de l’aîné soulevait ses poils. Tu passes ton temps à me chercher noise. Il s’emporta soudain et se cabra, pattes bien tendues, prêt à les abattre sur le pauvre Deïlf. — Cette fois-ci, tu ne vas pas t’en sortir comme ça, petit chenapan. Je vais vite te corriger, et à l’ancienne ! Ta mère trop attentionnée n’est pas là maintenant pour me dire « Arrêtes-ça, Éléazar ! » ou « Ne fais pas ça, Papa ! Ce ne sont encore que des enfants ! Laisse-leur le temps de vivre, de grandir ! » ! Tu va comprendre ta douleur, mon cher ! Il allait mettre sa menace à exécution, Sharon fixant avec amusement le malheureux tapi au sol comme si il voulait s’y enfoncer, les yeux refermés prêts à subir la sentence, lorsque Rosa fit un pas en avant et déclara, d’un ton ferme et clair différent de son timbre de voix habituel, tout léger et timide : — Non, Éléazar, c’est moi qui t’ai réveillé. L’autre était si surpris qui en contint de justesse un hoquet de stupeur. Contrairement à Deïlf, Rosa avait toujours été sa petite préférée, obéissant à ses moindres caprices sans broncher. Il se retourna, les pattes toujours en l’air, avant de retomber sur ses quatre fers bien plantés dans la terre sablonneuse de l’antre : — Comment ? Toi, ma petite fille ? Rosa perdit d’un seul coup toute son assurance. Les oreilles rabattues, l’air gêné et attristé, elle gratta le sol de ses griffes en murmurant : — Je… euh… pas volontairement, bien sûr, mais… je me suis réveillée trop en retard pour le cours de chasse, et à cause de cela, je me suis lamenter… trop fort, cela t’as tiré de ton sommeil, Grand-Père ! Éléazar semblait hésiter à présent. — Heu… oui, le cours de chasse, euh… Bien, je ferme les yeux. Mais ne me refaite plus jamais ça, c’est clair ? Et, encore mal à l’aise, il s’en retourna à son nid de sable. Sharon regarda sa sœur avec émerveillement. Elle n’aurait jamais soupçonné Rosa de pouvoir tenir tête et se dénoncer à un adulte – et encore moins à Éléazar ! Comme quoi, elle a encore une partie d’elle-même qu’elle cache très bien, se dit la jeune fennec. Elle observa Rosa qui semblait elle aussi ne pas revenir de ce qu’elle avait fait. — Ouaouh ! s’écria Deïlf, plus éloquent et moins discret que ses deux sœurs. Comment t’as fais ça ? Tu m’as sauvé la fourrure, dis-donc ! Un peu plus, et j’étais sur le point d’être giflé et nommé pour passer la bruissière pendant tout le reste du cycle lunaire ! La bruissière, invention très ingénieuse d’Euryalée, était un ensemble de plantes du désert séchées qui servait à balayer la tanière de toutes les poussières qu’elle contenait. Euryalée en ayant assez de voir son gîte négligé, à cause du passage régulier des fennecs du désert à la maison, elle avait imaginé un instrument permettant de nettoyer après le sillage sale des animaux. La plupart des membres de la Famille détestait cet création – à part Euryalée et Éléazar, à qui il refilait des corvées comme punitions à ceux qu’il punissait. Ce qui était souvent le cas de Deïlf. Les petits étaient régulièrement désigné pour passer la bruissière dans l’antre, car les autres, pressés de finir leur tâche, finissais toujours par leur refiler la leur. Rosa regarda si méchamment le jeune mâle qu’il se tut. — Tu crois que ça m’as fait plaisir ? cracha-t-elle, à la grande stupeur de son frère et de sa sœur. Si tu penses que je vais te couvrir à chaque instant que tu perds à faire des âneries, tu m’oublies tout de suite ! Et elle se détourna, prenant à grandes enjambées le chemin menant à la sortie. Sharon et Deïlf se regardèrent, interloqués. Quel étrange personnage ! songea la femelle. Son rêve presque effacé de sa mémoire désormais, elle suivit le fennec qui emboîtait le pas à Rosa. Euryalée déboula justement. Elle faillit percuter Rosa qui, dans sa colère, ne l’avait pas vu. La mère, surprise, fixa sa fille avec étonnement, ouvrit la gueule comme pour dire quelque chose, mais le regard furieux de la renarde la fit se raviser. Elle se tourna vers le reste de sa portée, qui rejoignit immédiatement leur sœur. — Je vois que vous partez à votre cours. Bien. Suivez-moi, je vais vous montrez où se trouve le lieu d’entraînement. Et, sur ces mots, elle leur fit signe de la queue et s’engouffra dans le tunnel sombre. Dans un terrier de renard commun, ou renardière, on trouvait plusieurs types de ‘‘pièces’’ : d’abord, la ‘‘gueule’’, ou l’entrée de la tanière ; juste avant, on peut observer un ‘‘déblais’’, les déjections de l’animal restées en tas, où poussent généralement tout un tas de plantes variées du fait du… terreau, très nourrissant. Puis, traversant le boyau principal, on atterrit juste devant une réserve, ou ‘‘fosse’’, où sont entassées les proies ; et on arrive pour de bon dans la tanière à proprement parler : c’est l’‘‘accul’’ ou le ‘‘donjon’’, où dorment les renards. Un tunnel vertical sert de conduit d’aération : c’est la ‘‘cheminée’’. Un autre tunnel, usité rarement, la ‘‘sortie de secours’’, débouche sur l’extérieur, cachée derrière un buisson ou une grosse racine. Enfin, une ‘‘maire’’ ou ‘‘observatoire’’ est utilisée pour observer les faits et gestes de potentiels prédateurs. Selon les espèces, la taille et le nombre de ramifications de l’antre peut varier. Pour les fennecs, par exemple, du fait de la chaleur et du nombre des habitants, avait des tanières très profondes et dotées de nombreux tunnels. C’est ainsi qu’Euryalée, suivit de Sharon, Rosa et Deïlf, remontaient le laborieux labyrinthe de leur renardière, qu’ils connaissaient heureusement par cœur, rapidement, pour sortir respirer l’air frais. La nuit était déjà presque tombée, les fennecs étant des renards vivant dans le monde nocturne, plus supportable dans le chaud désert. Leurs poils épais les protégeaient de l’atmosphère glaciale qui régnait le soir dans l’étendue de sable, totalement différente à la lourdeur brûlante de la canicule diurne. Sharon observa, émerveillée, les magnifiques spectacles qu’offrait la nature. D’un côté, le ciel était pourpre et rose, parsemé d’or et d’orange. De fins nuages plongeaient en s’étirant dans cet océan de rubis. Les derniers rayons du Soleil percèrent l’ombre noctambule tels des griffes rougeoyantes. D’un autre, les étoiles tachetaient l’encre de la nuit, et se reflétaient sur les dunes de sable comme sur un miroir, leur prêtant ainsi leur habit argenté. La jeune fennec avait l’impression de flotter sur un lac de cristal lisse. Enfin, les ombres des dunes semblaient danser et virevolter, formant une étrange ronde sur le sol chaud, bondissant avec le vent, pareilles à des créatures imaginaires et fantastiques. Les étincelles les accompagnant glissaient de leur tapis de sable pour se jeter à l’assaut du ciel. Sharon était perdue dans ce monde fantaisiste. Elle se prit à imaginer qu’elle aussi faisait partie de cet univers à part, qu’elle valsait avec les dunes, qu’elle sautait vers les étoiles ou qu’elle suivait un sentier de Soleil. Une lueur étrange dans les yeux, elle fit un pas pour se joindre à cet endroit magnifique, oublier le temps et la réalité pour se fondre dans ce lieu magique. La voix de son frère brisa le sortilège qui s’était emparé d’elle : — C’est… incroyable ! Ça, il pouvait le dire ! Jamais Sharon ne s’était sentie aussi… aussi… En fait, elle n’arrivait pas à décrire ce sentiment, si fort, si impétueux, ce désir de filer et se mêler, fusionner avec la nuit. — Cela fait toujours ça au début. D’ici un moment, vous vous serez habitués. Euryalée était assise, la queue enroulée autour des pattes, et les regardait d’un air amusé. Lorsque, enfin, ils furent ‘‘habitués’’, elle se releva et fila dans l’ombre. Les quatre fennecs cheminèrent longtemps. À l’horizon, le Soleil crachotait ses dernières lueurs, vestiges du jour qui a eu lieu et qui reviendra le lendemain. Puis, alors que la nuit prenait pleinement ses droits dans le ciel, Euryalée disparut dans un tunnel de buissons épineux. Ses enfants la suivirent. Ils débouchèrent dans une cuvette de sable, où les attendaient quelques silhouettes impossible à identifier avec la distance. Les trois compères dévalèrent la pente avec empressement, tandis que leur mère la longeait pour s’installer confortablement sous un gros rocher qui saillait sur la descente. Ils atteignirent le centre de la combe. Une des formes immobiles se leva soudain et se glissa si silencieusement près des trois fennecs qu’aucun d’entre eux ne la vit. — Enfin, vous êtes là ! Je pensais que j’allais devoir vous tirer du lit par les poils de la queue ! Sharon cligna des prunelles, tournant la tête vers celui qui avait parlé. Un majestueux renard s’avança dans la lumière de la Lune. Marzel, le père de Sharon, Deïlf et Rosa. Son long pelage crème et beige le rendait plus pâle que la plupart des fennecs, mais il en prenait grand soin, le rendant bien lisse et bien propre. Ses larges oreilles restaient droites, sa queue en panache dans le prolongement de son échine. Ses pattes courtes se stoppèrent nettes lorsqu’il arriva à la hauteur des petits. Certains auraient été impressionnés par sa stature, par sa prestance. Mais toute sa Famille savait qu’il était d’un caractère juste, bon, assez noble et, oui, très gentil. L’animal fixa avec sévérité chacun des renardeaux. Mais Sharon savait que cette apparente dureté était feinte. Il cachait bien son jeu : un grand cœur, très tendre avec ses enfants. — Bonsoir, Sharon, Deïlf, Rosa. Aujourd’hui débute votre première leçon de chasse, et donc, votre premier pas dans la vraie vie. Un jour, vous aussi ou votre compagnon répètera ces mots, comme tradition orale de notre digne Famille des Dunes, l’une des premières Familles à s’être installée ici il y a des millénaires. Des millénaires… Des millénaires… Il en fait trop, tout de même, songea sa fille. En effet, les renards du désert vivaient en Familles depuis longtemps, mais pas tant que cela. Les Familles étaient des sortes de petits clans où tous étaient parents, noués par des liens familiaux ou du sang. Bien sûr, il y avait déjà eut des batailles de territoires par le passé, mais la plupart s’entendait assez bien. La Famille des Dunes était connue pour ses membres au bon caractère. Celle des Oasis était plus discrète. La Famille des Canyons avait le territoire le plus vaste, et a été beaucoup revendiquée par d’autres Familles, mais n’a jamais cédé. La Famille de Sharon, la Famille des Dunes, était en assez bons termes avec toutes les Familles avoisinantes, dont la Famille des Oasis, sauf une : la Famille des Cactus. Sharon avait vaguement entendu parler des luttes avec celle-ci qui avait eut lieu par le passé, à l’époque ou Éléazar, son grand-père, n’était pas encore un vieux croûton grognon mais un beau et fort mâle. Alors, lui était le chef de la Famille des Dunes et des bagarres de territoires l’avaient opposé à Régulian, le chef de la Famille des Cactus. Sharon n’en savait pas plus, à part que ces deux fennecs étaient maintenant pires ennemis et terriblement insupportables. — Mais avant cela, il vous faudra bien savoir chasser pour vous nourrir, car sinon vous risquez pas de la répéter, cette tradition orale ! Les trois petits et leur père tournèrent la tête vers le nouvel arrivant. Zéphyr, cousin de Sharon, s’avançait d’un pas nonchalant et se plaça à côté de son oncle. Sharon remarqua aussitôt qu’il s’était débarbouillé, sans doute sur l’ordre explicite d’un adulte. Il quitta son poste à côté d’autres spectateurs : Phylis, qui était encore un peu groggy, et Éléazar, bougon mais bien là. Euryalée les attira d’un bref glapissement. L’instant d’après, ils étaient tous bien installés sous le gros rocher, impatients de voir la prestation des fennecs. Sharon frémit d’excitation. Le regard de Marzel se durcit. — Zéphyr ! En voilà des façons, cher neveu, lâcha Marzel d’un ton de réprimande. Ce n’est pas vraiment un moyen de les encourager, voyons ! Le fennec coucha les oreilles. L’arrogance disparu de son visage aussi vite que l’eau dans un désert en plein soleil. — Excuse-moi, souffla-t-il, penaud. — Bien. J’espère que cela te serviras de leçon. Inutile d’effrayer ces renardeaux, cela ne t’apporteras rien. Autre qu’une punition, je veux dire. Zéphyr hocha le crâne, la tête toujours basse. Sharon ne put s’empêcher de le prendre en pitié. Marzel n’était pas méchant, juste rigoureux, mais elle n’était pas sûre que son cousin, qui avait eut une histoire… pas facile, disons, puisse faire la différence. D’après les premiers souvenirs de Sharon, Zéphyr avait été rapporté par Euryalée, la mère des renardeaux, au beau milieu de l’après-midi. Elle avait dit qu’elle l’avait retrouvé, seul et solitaire, en plein désert. Phylis avait accueilli le petit à pattes ouvertes, Marzel avait un peu de réticences et Éléazar, avec une franche antipathie. Depuis, Zéphyr est assez isolé. Éléazar était terriblement sévère avec lui, Marzel le traitait avec une froide réserve et seules Euryalée et Phylis semblaient l’apprécier. Quant à Sharon, Deïlf et Rosa, eh bien la première tentait d’aider le malheureux fennec, le second s’en fichait et la dernière avait peur de lui, trop timide pour oser l’approcher. Bref, la vie de Zéphyr n’est pas simple toutes les nuits, comme venait de le prouver cette scène si banale quoique révélatrice des souffrances de l’animal. Sharon plissa les yeux, avant de secouer la tête. Elle se reprit. Ce n’était pas le moment de s’apitoyer sur le sort, bien que terrible, de Zéphyr ! Aujourd’hui était son premier cours de chasse, et donc, son premier pas vers sa vraie vie, sa nouvelle vie, sa vie d’adulte. — Bien. Donc, passons aux choses sérieuses. Les bases, d’abord. Pour traquer une proie dans le désert, et surtout dans le désert de sable, il faut une certaine adresse et quelques consignes précises. Démonstration. Et, ce faisant, il inclina la tête vers Zéphyr. — J’ai fait venir votre cousin pour qu’il m’assiste dans ma tâche de vous apprendre les rudiments de la chasse. Il va vous montrez la marche à suivre pour espérer rentrer chez soi la gueule pleine qu’avoir le ventre vide. Zéphyr, encore perdu après la sèche critique de Marzel, ne se rendit pas tout de suite compte que toute l’attention de la petite famille était fixée sur lui. Quand il leva les yeux vers Sharon et croisa les regards surpris de Rosa, moqueur de Deïlf et sévère de Marzel, il émit un petit hoquet à moitié étouffé, s’avança mais trébucha et s’étala de tout son long dans le sable. Sharon ferma les yeux, ne voulant pas voir ce spectacle affligeant. Deïlf ricana en lâchant une remarque cinglante du genre : ‘‘Alors, le chasseur, il a la flemme d’attraper sa gerbille ? Remarquez, avec les grains qu’il gobe dès qu’il s’écroule, celui-là, il doit plus avoir faim ! » et Rosa regarda son frère d’un air consterné. Marzel soupira, mi-agacé, mi-résigné. — Bon. C’est moi qui vais vous montrer comment chasser, je pense… — Non ! Zéphyr s’était relevé et répliqua vivement : — Si je suis ici, ce n’est pas pour rien tout de même ! Laisse-moi leur montrer ! Marzel hésita un moment, mais le regard déterminé de son neveu le fit céder. Il soupira à nouveau. — Bon, bon ! Pas la peine de prendre ton air de scorpion meurtri ! Montre-leur, si c’est ce que tu désires… — Mon air de scorpion meurtri ? Comment ça ? s’offusqua le jeune mâle. Comme Deïlf ne put s’empêcher de pouffer, Sharon le fit taire d’un regard. Pauvre fennec ! Il ne se rendait même pas compte qu’il se faisait honte lui-même. Puis il sembla se reprendre. Il se tapit au sol, l’expression concentrée, si concentrée que le frère de Sharon marmonna une repartie désagréable. Sharon lui balança un sacré coup de la patte, qui le fit gémir. Il foudroya sa sœur des yeux, tandis que celle-ci fit comme si de rien n’était. — D’abord, la discrétion est l’une des règles d’or de la chasse, quelle que soit les conditions ou les lieux de la chasse. Son pelage, épais et d’une belle couleur or rehaussée par les éclats de la Lune, se fondait à merveille dans le paysage sablonneux. La femelle fennec était impressionnée. Il avait du talent, à n’en pas douter, mais les préjugés gâchaient tout son potentiel. Elle en était dégoûtée. — Ensuite, n’hésitez pas à vous servir de vos sens pour repérer la proie. Il inclina les oreilles vers un galet rond et lisse qui saillit sur la pente d’une dune. — Votre ouïe, votre vue, votre odorat : tout doit vous servir pour traquer vos proies. Il leva le museau pour humer un fumet imaginaire, remua les oreilles pour capter un son inaudible, fixant le caillou pâle avec une attention sans faille. Puis il ramassa l’arrière-train, tendit ses muscles et bondit. Jusqu’alors, Sharon ne savait pas pourquoi Zéphyr portait le nom de ce vent, doux et vif. Maintenant elle comprenait mieux. Le fennec fendit l’air avec grâce et adresse avant d’atterrir sur sa ‘‘proie’’ et de la saisir entre ses crocs fins et effilés. Il souleva quelques nuages de sable au passage. Il n’était même pas tombé ! Il avait à peine glissé lors de sa réception sur le sol mou. Les trois petits le regardèrent avec un respect tout neuf. L’animal posa le morceau de roc à ses pattes, prit un air fier et lâcha : — Et voilà ! Un grand silence suivit. Puis Rosa bégaya : ¬— Co-co-comment il a fait ça ? Zéphyr, les yeux mi-clos, la fourrure ébouriffée en collier autour de son cou, ce qui lui donnait un air noble, lui adressa un regard brillant de fierté. De la fierté, mais pas de l’arrogance, songea Sharon, en lançant un coup d’œil discret à Deïlf. Ce dernier considérait Zéphyr avec étonnement, la gueule béante. Lorsqu’il se rendit compte que ses sœurs l’observaient d’un air amusé, il se reprit. Toussotant, il fit avec dédain : — N’allez pas croire que j’admire cette… prouesse… contrairement à vous. (Les femelles gloussèrent.) Non, c’est vrai ! se fâcha-t-il, le pelage gonflé. — Alors montre-nous, professionnel de la chasse ! se moqua Sharon, tandis que Rosa s’étranglait de rire. Éclaire-nous de tes lumières ! Deïlf grogna. — Ah ah, très drôle, les filles… — Mais c’est une excellente idée ! s’exclama soudain Marzel. Le mâle s’avança vers Deïlf et le poussa du bout du museau. Voyons donc tes capacités, cher Deïlf, ensuite tes sœurs suivront. Lesdites sœurs, qui riaient à n’en plus finir, se turent d’un coup. Gloups ! songèrent-elles. J’aurai mieux fait de me taire ! Mais trop tard ! Deïlf leur lança un regard triomphant. Zéphyr posa le galet par terre, à quelques longueurs de queue de Deïlf, qui s’était tapi, prêt à sauter sur la ‘‘proie’’. — Aller. Montre-nous ce dont tu es capable ! dit-il. Deïlf hocha la tête d’un air solennel, avant de se concentrer sur sa cible. Le vent tomba. La pierre était placée sous un buisson d’épineux, exprès pour compliquer la tâche de Deïlf. La Lune et les étoiles resplendissaient, tout là-haut dans le ciel d’encre, telles les étincelles d’un monde de rêves et d’espoir. Exactement comme dans mon songe ! s’étonna Sharon en son for intérieur. Comme c’est drôle, ce nombre de coïncidences… Son frère rampa dans le sable. Sa fourrure se prit dans les graviers, salissant son beau ventre blanc et beige. Il grommela. Ne te déconcentre pas ! aurait voulu hurler Sharon, mais elle n’en fit rien. Elle fut stupéfaite de voir que la chasse l’attirait autant. Elle était presque aussi attentionnée que son frère, qui contournait désormais le buisson pour attaquer par l’arrière. Aller. Tu peux y arriver. Ne te décourage pas ! Elle pouvait superposer son esprit avec celui de Deïlf, le fusionner, et même anticiper ses mouvements. Elle ressentait au plus profond d’elle-même la puissance de la chasse. Ce que les renards appelaient ‘‘l’Attrait des Os et du Sang’’, cette cérémonie si étrange, mais si importante, où le renard aiguisait ses sens et laissait l’Instinct prendre les commandes, battait dans son cœur. En transe, elle communiquait ses ordres par la pensée : …Voilà, détourne-toi de quelques pas… oui… et maintenant, attention ! La branche ! Oui… Saute ! Maintenant ! Oui ! Elle tendit les pattes, prête à saisir la proie… avant de se rendre compte de ce qu’elle faisait. Les autres la regardaient avec étonnement. Elle ouvrit la bouche pour s’expliquer, mais Marzel plaqua sa patte sur sa gueule pour la faire taire. — Ferme tes babines ! Elles sont trop gourmandes ! Cette expression signifiait bien entendu que la fennec parlait trop. Deïlf, heureusement pour elle, état toujours archi-concentré. Il rampa un peu plus vers le caillou abrité sous les branches épineuses, puis, remuant le derrière, bondit. Son saut fut loin d’être aussi gracieux et rapide que celui de Zéphyr. Il dérapa sur l’atterrissage et roula sur le côté, soulevant une tempête de sable au passage. Cela déclencha les éclats de rire des deux filles, du regard méprisant de Zéphyr et de la mimique affligée du père. Deïlf, mort de honte, se releva aussitôt et fixa le bout de ses pattes d’un air contrit. Sharon glapit : — Ah bravo, chasseur de poussière ! Ha ha ha ! Sa sœur renchérit : — Hi hi hi ! T’es vraiment doué, hein ! Un parfait exemple ! — Ca suffit ! grogna Marzel, mécontent. Ne vous moquez pas de votre frère comme ça. Il fit claquer sa langue en signe de son irritation. Tous se turent. Zéphyr prit un air indifférent, mais en lui, une tempête bouillonnait. Moi, je peux de me faire ridiculiser, mais lui, il a droit à la protection du père ! Il se retint de justesse, mais fini par craquer. Avant de lâcher une repartie cinglante. — Tu parles ! Chasseur de rien du tout ! Tu vas provoquer une tempête de sable, avec toute cette poussière que tu soulèves ! C’est à ce moment précis qu’Éléazar, qui discutait à bâtons rompus avec Euryalée et Phylis sur les performances de chasse de tel ou tel fennec qu’ils avaient connus, entendit la réplique goguenarde de Zéphyr, et se hérissa aussitôt. S’il n’appréciait pas vraiment Deïlf, il ne tenait pas non plus en haute estime Zéphyr. Il s’avança vers lui, le pelage ébouriffé et la queue doublant de volume, sous les regards stupéfaits du reste de la Famille. L’autre, ratatiné sur lui-même, n’osa même pas lever le regard pour affronter les yeux verts étincelants de rage de son grand-père. Celui-ci lui cracha à la figure : — Parce que tu te crois meilleur que lui ! Jeune insolent, tu vas voir ce qui en coûte d’être vaniteux, moqueur et médiocre ! Sharon cligna des yeux. Zéphyr était loin d’être vaniteux ! Quant à médiocre, c’est impossible : elle trouvait qu’il avait beaucoup de talent. Et puis, moqueur… Si Zéphyr avait un comportement pas forcément très facile, Deïlf le surpassait largement question moquerie. Mais pour le moment, Éléazar n’était pas d’humeur à écouter les raisonnements logiques de sa petite-fille. Il menaça Zéphyr d’une patte, prêt à frapper, tandis que l’autre ferma les yeux pour recevoir le coup. — Stop ! Le cri aigu déchira l’air. Euryalée, la mère de Sharon, traversa le terrain d’entraînement en trombe et poussa son père de la truffe pour reporter son attention sur son neveu. — Qu’est-ce qui te prends ! siffla-t-elle, observant sous toutes les coutures Zéphyr pour voir si il n’avait pas de blessures. Ceci fait, elle fit volte-face pour affronter Éléazar. Pourquoi fais-tu ça ? Pourquoi t’acharnes-tu sur lui ? s’écria-t-elle, furieuse. La queue d’Éléazar battit l’air. La tension monta entre les deux fennecs. Sharon sentit ses poils s’ébouriffer de colère. — Serait-ce parce que tu es ma fille que tu oses me parler sur ce ton ? persifla l’autre, jamais en reste. Cela ne te donne pas des droits supérieurs aux autres, loin de là ! Euryalée redressa la tête d’un air de défi. — Là n’est pas la question. Ce cours de chasse vire au cauchemar pour ce pauvre Zéphyr, et tu n’y es pas pour rien là-dedans ! Cela va à l’encontre des lois sur les Familles ! — Comment oses-tu… s’étrangla Éléazar. Il s’étouffait dans sa propre rage. Ses griffes se plantèrent dans le sol meuble. Il retroussa les babines, et jeta ces mots comme si ils étaient des os : — Tu crois mieux savoir que moi les lois qui régissent les Familles ? Je te signale que mon arrière-grand-père, avant toi, les avaient apprises par cœur, et m’avais forcé à faire de même! Pourquoi crois-tu que je suis devenu le chef de la Famille des Dunes avant Marzel ? C’est moi qui ai mené cette guerre contre la Famille des Cactus, car ils acceptaient sans broncher les… Comme Euryalée lui lança un regard sévère avant d’incliner sa jolie tête dorée vers les petits, il se reprit, toussota et continua : — Acceptaient sans broncher les infractions à ces lois précises, corrigea-t-il, et nous avons gagné en respectant ces lois ! Alors, crois-moi, je les connais mieux que toi ! Sharon plissa les yeux, l’air inquisiteur. Que voulais dire Éléazar, avant qu’Euryalée ne le reprenne ? Qu’acceptaient autrefois les membres de la Famille des Cactus qui avait provoqué cette guerre contre la Famille des Dunes ? Ces questions, pour l’instant inconnues, Sharon les creuseraient, elle s’en faisait la promesse ! Euryalée remua les oreilles, l’air toujours aussi énervée. — Zéphyr n’y peut rien s’il est ainsi, murmura-t-elle si bas que Sharon dû se rapprocher d’elle pour l’entendre. Tu n’as rien à lui reprocher. — C’est toi qui le dis. Mais c’est tout autant de ta faute, Euryalée. Tu le sais très bien. Euryalée sembla outrée un instant, avant de baisser les yeux, contrite. — Crois-moi, tu… Et Zéphyr n’est pas responsable… Laissez-les en paix… N’aurait jamais voulu… Éléazar, chuchota la femelle. Sharon cligna des yeux. Elle n’arrivait plus à capter le moindre son clair, juste un ensemble imprécis de mots et de syllabes entremêlés. À côté, Deïlf et Rosa discutait silencieusement, l’air plus excités qu’inquiets. Apparemment, ils n’avaient rien écouté des conversations des deux adultes. Quant à Zéphyr, il se recula, puis s’ébroua comme pour reprendre contenance. — Cela n’empêche, grogna Éléazar, presque gêné par la réplique discrète de sa fille. — « Cela n’empêche » ? Tu n’as vraiment pas de cœur. — Quoi ? rugit l’autre, soudain à nouveau hors de lui. Pas de cœur ? Si je n’avais pas de cœur, cela aurait fait longtemps que tu aurais été bannie ! Voyant qu’Euryalée, furieuse, allait en remettre encore une couche, Phylis et Marzel finirent par s’avancer de quelques pas et séparèrent les deux querelleurs. — Allons, allons, chérie, fit le mâle à l’oreille de sa compagne. Calme-toi. — Me calmer ? Après ça ? Franchement, Marzel ! De son côté, Éléazar n’était pas mieux. Il braillait et donnait des coups de pattes dans les airs, griffes tendues. Pour un peu, il aurait lacérer la peau fragile de Phylis. Heureusement pour la pauvre femelle, il se reprit juste à temps. Retenant à grand peine, tout de même, un grognement de dépit. Sharon voyait bien qu’il luttait pour ne pas attaquer Euryalée, tous crocs dehors. Pourtant elle était sa propre fille ! Les muscles de cette dernière, sous sa fourrure beige et brune, étaient tendus. Dangereusement tendus. La femelle frémit. Mieux valait ne pas, ne jamais reparler de cette histoire avec Éléazar, ou même Euryalée. Ou elle risquait de se retrouver avec nettement moins de poils sur le derrière. Enfin, lorsque le père et sa fille cessèrent de gronder et se tournèrent mutuellement le dos, Marzel toussota, et alla rejoindre Zéphyr, qui tentait de le masquer mais tremblait de tous ses membres. — Allez. Le mâle pivota sur ses pattes et fixa un à un ses enfants de son regard vert et dur. — Bien, même après cette… altercation imprévue, le cours ne se termine pas. À votre tour de me faire la démonstration de vos talents ! Sharon, tu passes en première. Rosa, observes bien ta sœur pour voir ses erreurs, compris ? Les deux femelles hochèrent la tête, dociles. Néanmoins, Sharon bouillonnait. Elle allait enfin pouvoir chasser, faire comme dans son rêve ! Cette perspective la réjouissait. Zéphyr, remit de sa tremblote, prit le galet et le déposa à découvert, cette fois. Sharon se crispa. Elle entendit Marzel expliquer à Rosa et à Deïlf que la chasse à découvert était une des particularités de la Famille des Dunes, qu’ils avaient ça dans le sang, car leurs terres étaient presque entièrement dépourvues d’endroits abrités. Malgré tout, cela restait un art délicat, même avec des facilités. Sharon se tapit au sol. Le sable chaud caressait son ventre. La sensation n’était pas très désagréable, mais elle n’y prêta guère attention. Comme dans son rêve, elle était terriblement concentrée, bien plus encore même. Elle avançait à petits pas discrets quand, soudain, une vérité la frappa, si fort qu’elle en eut presque le souffle coupé. Elle savait chasser. Elle savait chasser depuis toujours. Est-ce cela, les facilités ? pensa-t-elle. Si c’est le cas, eh bien ! moi je les aime beaucoup. Fort de cette certitude, elle avança rapidement et silencieusement, si silencieusement que même en tendant l’oreille, aucun des membres de sa Famille ne l’entendirent. Vive, les yeux fixés sur sa ‘‘proie’’, elle analysa la situation par rapport au sens du vent et au champ de vision de la cible. Elle cligna des yeux. Derrière elle, le doux soupir des fennecs disparut, et la pierre se changea en gerbille vivante et mobile. Une odeur de gibier fit saliver Sharon. Elle se coucha. Les muscles tendus, les oreilles aux aguets, rien ne comptait plus, pour l’instant, que de revenir vers les siens avec cette proie dans la gueule. Elle rampa. La gerbille, occupée à fureter, ne la remarqua pas. En un rien de temps, ce fut fini. L’animal pendait aux babines d’une Sharon rayonnante de fierté. Puis des brumes s’imposèrent à sa vue, elle cilla… et rencontra les regards estomaqués des autres. Elle posa la gerbille, qui entretemps était redevenu le galet sans saveur et sans odeur, et s’assit tranquillement, la queue enroulée autour des pattes. Seules ses prunelles écarquillées reflétaient sa peur. Puis, après un moment de confusion, Marzel s’avança, indéniablement impressionné. — Eh bien, c’est une nuit à surprise aujourd’hui ! s’exclama-t-il, encore tout ébaubi. Bravo, Sharon ! Tu feras une chasseresse douée, très douée, même ! Sharon, qui un instant trouvait son exploit étrange, chauffait à ces compliments inattendus. Elle les accueillit avec un hochement de tête réservé mais les pupilles luisantes de joie. Elle céda sa place à Rosa, qui réussit plus ou moins à attraper le galet, bien qu’elle est hésité une ou deux fois. Marzel la réprimanda sur ce qu’il appelait : ‘‘une timidité que tu devras combattre.’’ C’est vrai que Rosa était terriblement angoissée et toujours tendue, et très discrète. Mais jamais Sharon n’aurait pensé que cela compromettre sa chasse comme le disait son père. Enfin, une fois qu’ils eurent ensembles révisés plusieurs techniques de chasse, que Sharon réussit toutes à la perfection, suscitant encore une fois la surprise parmi les autres, Marzel leur fit signe de s’approcher. — Bien, maintenant que vous savez à peu près les bases de la traque, passons à la pratique. Les trois élèves furent soudain excités à l’idée de mettre à l’épreuve leur talent mutuelle. Bien que Deïlf grogna en répétant que Sharon gagnerait, et qu’elle gagnait toujours parce qu’elle trichait. Ce qui, bien sûr, est impossible à la chasse, à moins d’acheter la complicité des gerbilles, ce qui était sans doute un peu dur. — Nous allons organiser un concours, poursuivit le mâle, détaillant chacun de ses enfants de son œil expert. Celui qui ramène le plus de proie avant que le Soleil ne se lève gagne le droit de manger avant tous les autres les proies de son choix. Compris ? — Compris ! répondirent les trois camarades en chœur. C’était une récompense plus que raisonnable, car le partage se faisait toujours dans les Familles, et les plus vieux ou les plus faibles recevaient toujours les meilleures proies. De plus, elle était parfaitement en raccord avec le thème d’aujourd’hui – c’est-à-dire la chasse. Sharon vit Deïlf, ce ventre à pattes monstrueux, se pourlécher les babines à l’idée de déguster en premier de grosses parts. Elle-même se disait qu’une proie capturée par elle serait bien meilleure que les bouts chassés par d’autres. Elle trépignait, et elle n’était pas la seule. Rosa sautillait de-ci de-là, excitée, et Deïlf parlait déjà de sa victoire. Il semblait avoir oublié sa pique d’un peu plus tôt. — Prêt ? demanda le père. — Oui ! fit aussitôt Sharon. — Oh oui ! répliquait Rosa. — Bien sûr que oui ! criait Deïlf. — Alors, partez ! Immédiatement, les trois fennecs détalèrent dans un sillage de poussière et de sable. Sharon goûtait avec plaisir aux joies et à l’ivresse de la vitesse. Elle sentait le vent glisser le long de ses flancs, ses pattes filant à toute allure sur le sol, sa queue flottant derrière elle, libre. Comme elle aimait courir, loin de l’ambiance pesante et de l’air renfermé de la tanière ! Elle repéra soudain une gerbille énorme, mais son frère la doubla avec une œillade moqueuse avant de se tapir à terre, prêt à attraper la proie. La femelle glapit, dépitée. Enfin, elle passa devant Rosa occupée à traquer un lézard marchant sur un rocher, et repéra une famille de gerboises en train de chercher à manger. Ils étaient cinq – la mère et les quatre petits. Elle rampa, attendant le bon moment pour sauter et frapper. Elle ne fit pas de quartier. Le sang zébrait son pelage lorsqu’elle en eut fini, et que le dernier cri de douleur se tut. Fière de son tas de gibier, elle enterra la viande afin de la récupérer en bon état plus tard. Elle eut une gerbille et deux lézards de plus. Satisfaite de son chargement, elle profita de la dernière heure avant le lever du Soleil pour ramener toutes ses prises. Lorsque Marzel vit tout ce qu’elle rapportait, il écarquilla les yeux. Comme quoi, il n’est toujours pas habitué à ça, songea Sharon. Elle-même se demandait d’où elle tirait cette expérience. Les facilités n’y étaient pour rien – non, c’était plutôt un sentiment profond, comme si elle puisait dans l’esprit d’un autre son savoir. Rosa s’était plutôt bien débrouillée. Elle revint avec deux gerboises, une gerbille et le lézard que Sharon avait vu qu’elle traquait tout à l’heure. Puis Deïlf arriva. Il déposa un malheureux lézard et sa gerbille, l’air honteux, fixant le bout de ses pattes. Il s’affaissa encore plus en constatant les tas bien garnis de Sharon et Rosa. Marzel vint à sa rencontre lui murmurer des mots d’encouragement, qu’il n’écouta que d’une oreille distraite, trop occupé à foudroyer du regard ses deux sœurs qui se moquaient de lui. Pour une fois que les situations changeaient ! Lorsque les premiers rayons d’or du Soleil percèrent l’horizon, Marzel et Zéphyr se placèrent au centre de la combe. Marzel poussa un cri strident signifiant le rassemblement. Aussitôt, les trois élèves vinrent se placer en ligne, leurs prises devant eux. Les jurés – c’est-à-dire Marzel, Zéphyr, et Éléazar – s’avancèrent et critiquèrent ou félicitèrent chacun à leur tour les renardeaux. Bien évidemment, Éléazar trouva à redire sur Deïlf, vu son tas minuscule, mais fut époustouflé par la performance de Rosa. Quant à celle de Sharon, il ne pipa mot, se contentant d’un grognement. Ce qui, chez lui, était plutôt bon signe. Il était évident qu’il préférait Rosa à Sharon, mais il n’en dit rien. — L’heure est venue d’annoncer le gagnant ! clama-t-il, même si tout le monde savait qui était ledit gagnant. Sharon, approche. Peu surprise, elle s’avança sous les vivats des autres – mit à part Deïlf qui, mauvais perdant, alla se réfugier dans le gîte. Mais elle l’ignora, profitant de son instant de triomphe. — Tu as été incroyable à la chasse, lui murmura Rosa en passant. Tu mérites ce prix bien plus que moi. Surprise, Sharon cligna des yeux. Pour elle, elle est allée chercher ce savoir ailleurs que dans son esprit, ce qui, d’après elle, en revenait à tricher. Finalement, Deïlf n’avait peut-être pas tort, pensa-t-elle en frissonnant. Cela faisait-il d’elle quelque de mauvais ? Elle refusa d’y songer. — Chère Sharon, tu as prouvé que tu valais ce titre, dit Marzel après que le brouhaha se soit tut. Sois-en fière, d’être nommée : ‘‘Chasseresse de la nuit’’ ! D’autres félicitations éclatèrent. Sharon oublia ses soucis sous les cris de joie. Les yeux brillant de fierté de sa mère, la gaieté contenue de son père, l’admiration infinie qu’elle lisait dans les pupilles de Rosa – c’était parfait. — Tu as donc le droit de te servir la première, et de prendre les proies de ton choix. Sharon opta immédiatement pour une de ses gerbilles dodue. Elle croqua dedans. Miam ! Un délice. Une prise que l’on avait chassé soi-même, quel régal ! Elle la fini en quelques bouchées. Se lécha les babines, repue, en admirant le Soleil levant dans son habit d’or et de pourpre. Les yeux mi-clos, elle laissa son esprit rêvasser, libre. La vision de son rêve lui revint soudain, s’imposant à sa vue. Elle sursauta, terrifiée et à présent parfaitement réveillée. Une odeur de sang chatouilla ses narines. Les poils hérissés, elle se leva, lorsqu’une douleur aigue lui vrilla l’épaule. Affolée, elle tenta de hurler, mais aucun son ne jaillit de sa gorge. Des cris de guerre et de souffrance envahissaient ses oreilles, et lorsqu’elle appela mentalement à l’aide, personne ne lui répondit. Elle s’enfonça dans l’angoisse et la douleur. |
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| Sujet: Re: Le Folklore des Royaumes-Renards: Les Prophéties Légendaires ~ La Légende du Destin ~ Livre I: Les Liens du Destin Jeu 24 Oct - 21:09 | |
| *** Chapitre II ***
C roc-des-Neiges enrageait. Et c’était du sérieux, cette fois. Il avait beau être irascible, il n’avait jamais été aussi furieux. Il devait partir chasser dans la taïga… en compagnie de Croc-d’Ivoire, son pire ennemi. — Que ce soit bien clair, avait grondé le père de Croc-des-Neiges, Croc-des-Blizzards. Je ne veux pas entendre à nouveau parler d’une quelconque dispute, bagarre ou autre. Vu ? Les deux renardeaux avaient hoché docilement la tête en guise d’approbation. Croc-des-Blizzards n’était pas du genre à plaisanter, et ses punitions pouvaient être terriblement sévère. — Et tu n’as pas intérêt à embêter mon frérot, ou sinon, gare à toi, avait rajouté Croc-d’Ours, la brute de frère de Croc-d’Ivoire. Les fautifs avaient reçu cette tâche après une dernière altercation de leur part qui avait vite tourné au grabuge. Croc-d’Ivoire, malicieux, prenait toujours un malin plaisir à chercher des tiques à Croc-des-Neiges qui, avait son tempérament explosif et combattif, réagissait à l’instinct. Impulsifs, violents, toutes leurs querelles finissaient mal, avec poils arrachés et sang versé. Donc, leur dernier conflit en date avait été terrible. C’était à midi, alors que les autres partageaient leur nourriture en discutant des nouvelles récentes. Croc-des-Neiges avait choisi un lièvre polaire dodu, et s’était installé dans son coin, comme d’habitude. Et comme d’habitude, Croc-d’Ivoire était intervenu. S’asseyant juste à côté d’un Croc-des-Neiges déjà irrité, il ne cessait de parler, taquinant sans relâche sa malheureuse victime, l’asticotant de ses pattes. Exaspéré, Croc-des-Neiges, se rappelant les autres sanctions qu’il avait déjà encaissé à cause des moqueries de Croc-d’Ivoire, continuait de manger le plus tranquillement possible, malgré ses muscles tendus. Et ce fut là que Croc-d’Ivoire, agacé de voir que son rival ne réagissait pas à ses piques, lâcha une repartie cinglante bien plus forte que celles qui l’avait précédé. Et cela avait fait craquer Croc-des-Neiges. Il s’était jeté sur son adversaire et les deux avaient bataillé ferme en plein milieu des renards polaires stupéfaits. Les blessures infligées par Croc-d’Ivoire chauffait encore Croc-des-Neiges, pourtant il n’en laissa rien paraître, alors que le regard brûlant de colère et de haine de son ennemi le fixait pendant qu’ils exploraient la taïga à la recherche de proie. La taïga. Ce lieu calme, paisible, rassurait toujours le jeune mâle. Des flocons commencèrent à tomber doucement, dans une lente farandole, glissant avec aisance dans les airs. Pourtant, les nuages épais et jaunâtres annonciateurs de tempêtes laissait passer quelques rayons de Soleil, arrachant des chatoiements irisés aux cristaux de glace qui pendaient des branches des sapins. Leurs aiguilles caressaient le ciel dans un froufrou régulier provoqué par les arabesques du vent. En contrejour, les ombres des arbres s’étendaient au sol dur et gelé comme si la forêt se reflétait dans un miroir de givre. Cet endroit était magnifique, majestueux. Il exprimait la froide splendeur, la fierté réservée, et était à l’image même que Croc-des-Neiges se faisait d’un renard de sang noble. Car c’était son cas. Il était le fils du chef de la Tribu des Crocs. Si les fennecs vivaient en ‘‘Familles’’, où les liens familiaux et l’amour primait, les renards polaires, eux, subsistaient en ‘‘Tribus’’. Là, les animaux, qui n’avaient pas forcément un parent commun, s’unissaient pour survivre dans le monde glacial et impitoyable du Grand Nord. Des règles strictes étaient néanmoins à respecter pour rester dans ces Tribus, pour ne pas être banni et se retrouver sur les Terres Sauvages, où des renards barbares, les Exilés, se battaient pour la moindre proie – ce qui donc, dans un univers aussi cruel, était synonyme de mort. Par exemple, ne pas empiéter sur le territoire d’une autre Tribu, ne pas trahir les siens, et autres lois du même acabit. Chaque Tribu était dirigée par un chef, qui transmettait sa charge à son fils aîné à sa mort. Et ainsi de suite. Croc-des-Neiges n’était pas l’héritier de son père, Croc-des-Blizzards, car il n’était pas l’aîné. C’était son grand frère, Croc-d’Ardent, qui reprendrait le flambeau. Très sage et posé pour un renard polaire habitué aux hivers terribles et aux guerres sanglantes, certains disaient de lui qu’il ferait un chef trop timoré, mais Croc-des-Neiges admirait suffisamment son camarade de portée pour savoir que ces mauvaises langues avaient tort. Croc-d’Ivoire bouscula Croc-des-Neiges, le tirant soudainement de sa rêverie. — C’est bon, flemmard ? répliqua-t-il, une lueur amusée dans le regard. T’as fini de dormir debout ? Je te signale juste que nous sommes légèrement de corvée de chasse, à cause de toi ! — À cause de moi ? s’enflamma l’autre, courroucé. Ce n’est pas moi qui t’ai embêté, il me semble, mais toi qui a commencé ! — Peut-être, mais tu n’avais pas à me bondir dessus comme ça ! — Tu avais osé dire que je chassais moi bien qu’un lièvre, que je me contentais de regarder les autres faire et de ‘‘bouffer leurs proies sous leurs yeux’’ ! Tu n’avais pas à me dire ça ! — C’était une boutade, une plaisanterie, rétorqua Croc-d’Ivoire, goguenard. Tu n’avais pas à te battre ! Tu devrais te durcir, toi, le fils du chef, le grand Croc-des-Blizzards ! Croc-des-Neiges bouillonnait. Il n’en revenait pas. Croc-d’Ivoire avait réussi à tourner la situation à son avantage, en arguant qu’il n’avait que taquiner son rival ! Que c’était lui la victime dans l’histoire, alors que Croc-des-Neiges savait très bien qu’il mentait et qu’il l’avait cherché ! S’en était trop. Croc-d’Ivoire ne faisait jamais de répliques gentilles, mais lâchait des piques méchantes, et après, trouvait un moyen de s’en sortir en accusant les autres. Croc-des-Neiges frémit de rage. Ce que, malheureusement, Croc-d’Ivoire remarqua. — Qui a-t-il, grand guerrier ? se moqua-t-il, les yeux plissés et rieurs. Tu as froid ? Avec toute cette fourrure ? Quelle chochotte tu fais ! Croc-des-Neiges soupira. Tenta de se reprendre, et fusilla du regard son pire ennemi. — J’aurais très bien pris ton pelage comme manteau de rechange, mais il est trop mangé aux tiques. D’ailleurs, mon père me reprochera sûrement d’avoir abîmé un de ses jeunes chasseurs lui servant de chair à crocs contre la Tribu des Griffes. La Tribu des Griffes, dirigée par le terrible Griffe-de-Loup, était la rivale principale de la Tribu des Crocs. Elles luttaient souvent ensemble, car les Griffes cherchaient le pouvoir à tout prix, et les terres des Crocs étant les plus vastes et les plus garnies en gibier, elle était une cible privilégiée. Mais ses combattants étaient aussi très fort, c’était pour cela qu’elle n’était pas encore tombée aux pattes de l’ennemi. Croc-d’Ivoire se hérissa par l’insulte. Croc-des-Neiges avait frappé fort. Furieux, le jeune mâle gonfla si bien ses poils qu’il tripla de volume. Cela ne fit ni chaud ni froid à Croc-des-Neiges, qui poursuivit, savourant son triomphe : — Et alors ? Toi aussi, tu as froid, on dirait. À moi que toutes tes proies mangées ressortent d’un coup, te faisant grossir ? Remarque, cela te rend plus… plus… plus mignon. Croc-d’Ivoire retint à grand peine un hurlement de rage, et se détourna pour éviter de sauter sur le dos de son ennemi. Il disparut derrière un tronc massif couvert de mousse, le pas vif. Croc-des-Neiges, satisfait, le suivit plus lentement. Les deux jeunes renards poursuivirent ainsi leur chemin dans la vaste et sauvage taïga. Ils traquèrent toutes les proies qu’ils trouvèrent ; lemmings, lapins, perdrix... Croc-des-Neiges s’en sortait plutôt bien, mieux, en tout cas, que son rival. Ce qui avait pour effet de le mettre en rogne. Mais Croc-d’Ivoire, têtu comme une centaine de mules, essayait sans cesse de prouver qu’il était le meilleur chasseur. Il tenta, par exemple, d’attraper un oiseau, alors que celui-ci s’envolait après qu’il lui ait fait peur en marchant sur une brindille. Son bond avait été impressionnant, mais il s’était mal réceptionné et était retombé lourdement sur l’arrière-train, la douleur lui arrachant un grognement. L’oiseau, perché et bien à l’abri sur une haute branche, sembler narguer le canidé qui grondait de frustration, léchant sa queue et ses fesses endolories. Il essaya aussi de poursuivre un lièvre. Peine perdue : l’animal était déjà dans son trou que Croc-d’Ivoire se rendait seulement compte qu’il s’était enfui. Après ces épisodes malencontreux, ils avaient amassés peu de gibier. Croc-d’Ivoire trouvait toujours une excuse ou un reproche pour accuser Croc-des-Neiges, ce qui, à force, le blasa. Il n’y faisait plus attention, même si par moment, il chauffait de griffer la truffe de son adversaire. Alors qu’ils longeaient un petit sentier de terre battue, Croc-des-Neiges fit soudain signe de la queue à Croc-d’Ivoire. Il avait repéré des proies. En effet, une colonie de souris farfouillait entre les racines des arbres à la recherche de graines à se mettre sous la dent. Aussitôt, Croc-d’Ivoire se figea. Lorsqu’ils chassaient, les deux mettaient toujours de côté leurs disputes – d’autant plus que, lorsque c’était une punition, ils étaient pressés d’en finir. Les rongeurs étaient rassemblés dans une petite clairière dégagée. Croc-des-Neiges contourna la trouée d’un côté en demandant silencieusement à Croc-d’Ivoire de faire de même. Mais celui-ci, refusant de se soumettre aux ordres de son rival, se détourna, préférant faire à sa manière. Ils ignoraient leurs querelles, certes, mais ne s’obéissaient pas mutuellement. Croc-des-Neiges murmura ‘‘Non !’’ mais trop tard. Il lâcha un soupir en haussant les épaules, comme s’il s’étonnait d’y être réceptif. Encore une fois, le renard polaire allait tout envoyer en l’air. Avec un cri guerrier, il s’élança et atterrit en plein milieu des animaux, qui s’éparpillèrent en couinant. En un instant, ils s’étaient enfuis. — Ah, bravo, l’empoté ! cracha-t-il en voyant la surprise s’afficher sur le visage de Croc-d’Ivoire. Maintenant, comment on fait pour les rattraper, hein ? Croc-d’Ivoire le foudroya du regard, puis fit volte-face et partit à la poursuite des souris. — Non… Attends, idiot ! cria Croc-des-Neiges, mais déjà les branches des buissons frémissaient derrière la trajectoire de son rival. Il leva les yeux au ciel en marmonnant quelque chose du genre ‘‘Lemming attardé !’’ et suivit le sillage tremblotant formé par les ramures des taillis. Il se glissa à travers les branchages et les feuilles, puis atteignit une large plaine blanche de neige. Il se mit à courir, envolant des échardes de givre et de la terre glacée. Il rejoignit bientôt Croc-d’Ivoire, furie furieuse soulevant une tempête de flocons avec ses pattes. — Im…bécile ! haleta-t-il une fois à sa hauteur. Qu’est-ce… qui te prend ? Tu… crois que tu… attraperas… ces souris ? L’autre ne répondit pas, continua d’allonger sa foulée pour distancer son ennemi. Il dérapa bientôt dans la poudreuse, car les petits corps bruns disparurent à la queue leu-leu dans un terrier bien dissimulé sous une racine. — Dommage ! s’écria le jeune mâle lorsqu’il l’approcha, bien content que la course folle s’arrête. C’était une mauvaise idée, mais tu as essayé, au moins ! ajouta-t-il d’un ton ironique. D’abord dépité, une lueur malicieuse brilla dans les yeux de son interlocuteur. — Oh non… marmotta Croc-des-Neiges. Tu ne vas pas faire ce que je crois que tu vas faire ? — Eeeh si ! Le renardeau plongea en avant et commença à gratter autour du terrier avec énergie. — Allez, viens m’aider ! Le jeune mâle cligna des yeux. — T’es obstiné, toi… Et non, je ne t’aiderais pas dans ton entreprise stupide ! Et, pour bien montrer son irritation, il s’assit dans un coin en profitant du spectacle. Croc-d’Ivoire, comme l’avait dit Croc-des-Neiges, était déterminé. Il voulait à tout prix ouvrir ce terrier. À l’intérieur, les cris de peur des souris s’entendaient. C’était étrange, d’écouter ces gémissements terrifiés et aigus s’amplifier pour devenir si puissants qu’ils vrillaient les tympans fragiles des petits comme autant de griffes aiguisées. Soudain, Croc-d’Ivoire cessa de creuser. Avec un cri triomphant, il attrapa dans sa gueule une malheureuse victime. Puis il la déposa à son côté et en saisit une autre, et encore une autre. Au final, toute la colonie sortit l’une après l’autre… pour se jeter directement dans ses babines avides. Croc-des-Neiges était stupéfait. Croc-d’Ivoire jeta une œillade supérieure à son rival, l’air de dire : ‘‘J’avais raison et t’avais tort ! C’est moi le plus fort !’’ L’autre, dégoûté, l’observait, les yeux brillant de froideur. — Bon, bon ! D’accord, tu as eu raison, soupira-t-il. Et alors ? Tu vas en faire toute une histoire, c’est ça ? Te pavaner ? M’embêter jusqu’à ce que je craque et te rende la monnaie de ta pièce ? Sans prendre le temps d’écouter la réponse sarcastique de son pire ennemi, il s’enfonça dans un buisson. Croc-d’Ivoire resta immobile un instant, puis enterra ses prises et le suivit. Croc-des-Neiges suivait un petit sentier envahi par les ronces, encore remonté par les prises inattendues de Croc-d’Ivoire. Qui n’arrêtait plus, véritable moulin à paroles, faisant bourdonner ses oreilles tant il l’agaçait avec ses sarcasmes. Ils progressèrent longtemps. Ils agrémentèrent leur chemin de quelques prises, pas bien nombreuses, en plus. Le Soleil commença à vaciller sur l’horizon, comme s’il hésitait à laisser sa place à sa camarade la Lune. Les derniers rayons lumineux prirent la teinte rouge du sang. Bien sûr, Croc-d’Ivoire ne put s’empêcher de répliquer qu’ils devaient récupérer leur gibier pour les livrer à Croc-des-Blizzards maintenant, mais Croc-des-Neiges était déterminé à finir sa mission le plus tard possible, pour bien montrer qu’il a retenu la leçon… mais surtout pour exaspérer Croc-d’Ivoire. Celui-ci n’arrêta pas de se plaindre, amusant Croc-des-Neiges au début, mais l’agaça à la longue. Lassé, il allait lui dire qu’ils allaient réunir leurs proies pour rentrer, lorsqu’une nouvelle odeur chatouilla leurs museaux, les intriguant. Cette odeur, puante, terrifiante, pleine de vices et de haine, hantait leurs narines sensibles, qui les firent éternuer. Elle poissait autour d’eux, collait à leur fourrure. Ils ne la connaissaient pas. Prudent, Croc-des-Neiges contourna un gros buisson qui masquait sa vue. Et ce qu’il vit le pétrifia. — Les Terres Sauvages ! hoqueta-t-il, horrifié. Il avait entendu de nombreuses choses sur leur sujet. C’était les territoires des périls, là où les Exilés, des renards mauvais, bannis de leurs Tribus, erraient, solitaires, rendus fous par leurs sentiments. Des créatures terribles vivaient aussi là-bas. Des loups, cruels et affamés, des rapaces, des charognards de toutes sortes et de tous poils… Sans compter le climat, plus froid encore, qui empêchaient la moindre plante de survivre, le moindre ruisseau de couler. Des blizzards se déclenchaient régulièrement dans cette région. Toutes les mères renardes polaires utilisaient les exilés des Terres Sauvages dans leurs histoires pour effrayer leurs petits. Croc-des-Neiges savait que la sienne n’avait pas utilisé ces légendes pour faire peur à ses enfants, mais les ragots qu’il avait entendu de-ci de-là sur ces contes ne lui donnait guère l’envie de s’y rendre. C’était aussi pour cela qu’il haïssait Croc-d’Ivoire, lui qui, avec ses piques, le poussait toujours à enfreindre les règles et par conséquent, à se rapprocher des monstres qui vivaient par-delà la frontière. Car les renards des Tribus, soucieux qu’aucun de leurs membres ne se perde sur ces terrains consacrés aux Exilés, marquaient la limite le plus souvent possible, et la gardait sous haute surveillance pour empêcher le moindre malfrat subsistant au-delà de rentrer dans leurs terres. Croc-d’Ivoire trottina nonchalamment pour rejoindre Croc-des-Neiges, qui restait immobile, les muscles tendus et les oreilles couchées en arrière, un rictus déformant sa gueule et dévoilant ses canines. — Ouaaah ! s’écria-t-il en observant la plaine décharnée bordant la taïga des Crocs. Ben dis donc, je croyais pas qu’on avait autant avancé ! Tu vois, j’avais raison de te demander de rentrer ! Puis il fixa Croc-des-Neiges qui n’avait toujours pas bougé d’un poil. Voyant que Croc-d’Ivoire le regardait d’un drôle d’air, amusé, ce dernier se reprit. Il toussota, puis balbutia : — Euh… oui. Allons nous en, nous sommes déjà assez loin comme ça. Allons chercher nos proies. — Nos proies ? répéta l’autre, mimant presque à la perfection un air surpris. Croc-des-Neiges cligna des yeux. Quel acteur ! pensa-t-il, ébahi. Qu’est-ce qu’il a encore inventé pour m’embêter ? En effet, Croc-d’Ivoire avait eut une idée qui n’allait sûrement pas lui plaire. Une étincelle facétieuse éclaira ses yeux. — Puisque nous sommes là, autant explorer ! Croc-des-Blizzards sera sans doute enchanté que nous lui fournissions des infos importantes sur ce qui se passe sur ces Terres Sauvages ! Puis il bondit derrière un buisson et s’engagea sur la plaine. — Tu viens ? Il parlait d’un ton excité, mais Croc-des-Neiges savait parfaitement qu’il le cherchait, qu’il voulait l’agacer jusqu’à ce qu’il craque et qu’il fasse un faux pas – là, dans le sens propre du terme. Comme il l’avait fait avant la bagarre qui les avait forcés à accomplir la corvée de chasse pour Croc-des-Blizzards. — Tu es cinglé, lâcha-t-il froidement. Croc-des-Blizzards nous fera la peau plutôt qu’autre chose si jamais il apprend que l’on s’est aventuré là. De plus, qu’est-ce que lui importe les mouvements des Exilés ? Et on risque gros, car s’ils nous tombent sur le râble, ben je promets pas que j’arriverais à garder tes jolis poils bien en état sur ton arrière-train ! Mais l’autre ne l’écoutait pas. Croc-des-Neiges bouillonnait. Il résista à l’envie de bondir au cou de l’impertinent qui marchait tranquillement, s’éloignant sans s’inquiéter des conséquences, et resta assis. Alors que son instinct lui dictait de griffer la face de Croc-d’Ivoire, il calma son feu intérieur. Alors que l’autre le narguait en agitant la queue, il ne dit rien et se contenta de le regarder s’enfoncer plus profondément encore dans les Terres Sauvages. Croc-d’Ivoire ne semblait pas avoir peur de ce qu’il risquait de rencontrer. Il avançait toujours, devenant petite tache de fourrure blanche bien lointaine. Et il ne quittait pas des yeux Croc-des-Neiges. Qui faisait de même. Puis, quand Croc-d’Ivoire disparu tout à fait, Croc-des-Neiges ne s’alarma pas. Le temps passa. Le Soleil allongea ses rayons à l’horizon, comme s’il n’avait plus la force de les supporter après l’avoir fait une journée entière. Des flammes rouges et orangées dansèrent dans l’air, pourtant rien ne se passait. Croc-d’Ivoire ne revenait pas. Le vent ébouriffa le pelage immaculé de Croc-des-Neiges, cinglant ses flancs, mais il ne le remarqua même pas. Il ne commença vraiment à s’inquiéter que lorsque les premières étoiles brillèrent dans le ciel. Comme son rival ne revenait toujours pas, il se leva, une boule serrant sa gorge comme un étau. Il hésita à poser une patte au-delà de la limite odorante, puis craqua en imaginant le corps de son ennemi déchiqueté, et les Exilés aux griffes tachées de sang. Comme quoi, j’ai quand même de la pitié pour lui, songea-t-il, amer. Il resta sur le qui-vive. Le moindre bruit, le moindre froissement de feuilles, et il grondait, babines retroussées. Il ne devait pas relâcher son attention, ou les Exilés n’en feraient qu’une bouchée. Il marcha longtemps. La taïga, derrière lui, ne ressemblait plus qu’à une tache floue et sombre. Il frissonna tandis qu’un vent glacial perçait sa fourrure et le gelait jusqu’aux os. Néanmoins, il continuait d’avancer. Il tremblait de plus en plus fort, mais ce n’était pas tant à cause du froid qui s’intensifiait à chaque pas que d’imaginer la colère de Croc-des-Blizzards lorsqu’il saurait qu’ils s’étaient aventurés dans les Terres Sauvages, désobéissant ainsi à ces ordres – car pour Croc-des-Neiges, délaisser la chasse pour partir en exploration n’était pas obéir aux ordres – et surtout, y ayant laisser Croc-d’Ivoire. Car le malheureux était introuvable. Croc-des-Neiges fouilla partout pourtant, cherchant dans chaque fourré et dans chaque fissure, mais rien y faisait. Impossible de remettre la patte sur son rival. Résigné, il allait abandonner. Il le savait, s’il rentrait, ce serait pour être banni aussitôt. Pourquoi ne pas rester ici tout de suite puisqu’il était condamné à y errer ? Et de toutes manières, cela lui épargnerait la crise de colère de son père. Mais son manque de volonté le consterna. Il devait rester sur le droit chemin. Regonflé, il se sermonna intérieurement. Ne te décourage pas ! Où est ton soufflard ? Je n’abandonnerai pas ! Abandonner, c’est pour les lâches et les faibles ! S’il aurait mille fois préféré se battre avec Croc-d’Ivoire, quitte à subir le courroux de Croc-des-Blizzards, que le perdre, il ne devait pas renoncer. Être brave, et affronter son sort avec courage. Se lamenter ne lui permettrait pas de retrouver Croc-d’Ivoire plus vite, de toutes façons. Et s’il devait subir la sentence adéquate pour avoir laisser partir ce dernier, alors soit. Il resterait droit en entendant les paroles de son bannissement. Soudain, alors qu’il marchait le long d’une rangée de buissons nus aux branches craquantes dans la brise, il crut percevoir le cri terrifié de Croc-d’Ivoire. Les oreilles tendues en avant, la queue relevée, il scruta les alentours, plein d’espoir. Espoir qui s’éteignit aussitôt lorsqu’il ne vit rien. Il avait beau dire sur le courage, son cœur se serra à l’idée de devoir quitter la Tribu, juste à cause de cet irresponsable. Il croyait avoir rêvé. Pourtant, lorsqu’une nouvelle plainte retentit et que les taillis s’agitèrent follement, Croc-des-Neiges se figea. Une tache blanche déboula de nulle part et percuta l’autre. Le souffle coupé, il poussa un glapissement de protestation. — Croc… Croc-des-Neiges ? C’est toi ? Surpris et apeuré, Croc-d’Ivoire reprit bien vite son assurance arrogante. — Alors t’as craqué, hein ? Je me demandais si tu viendrais. Tu tiens vraiment à moi, si tu es venu jusqu’ici, bravant les interdits de ton père, pour venir me chercher, n’est-ce-pas ? Croc-des-Neiges renifla. Finalement, s’aurait eut peut-être du bon de le laisser moisir ici, se dit-il avec humeur. — Tu ne me manquais pas le moins du monde, répliqua-t-il, les griffes plantées dans la terre dure pour éviter qu’elles ne finissent dans la gorge de son pire ennemi. Par contre, je tenais plutôt à ma place dans la Tribu, et oui, celle-là me manquerais. Et l’idée que tu mettes tout en l’air à cause de ton inconscience, je ne la supportais pas. Croc-d’Ivoire grogna de mécontentement. — Alors bougeons-nous. La nuit est tombée. Si tu veux pas avoir à recevoir une autre punition de Croc-des-Blizzards, on ferait mieux d’y aller. L’autre cligna des yeux. Tant à sa recherche de son adversaire, il n’avait pas vu le temps passer. Bien que Croc-d’Ivoire se soit lancé en tête, la queue dans le prolongement de son échine, et les oreilles droites, son camarade d’infortune sentait sa peur. Elle suintait de son pelage et se répandait autour de lui comme une flaque graisseuse. Quelque chose l’avait effrayé, profondément, et il ne voulait plus remettre les pattes ici. Pour le moment. Croc-des-Neiges sourit. C’était d’ailleurs plus un rictus qu’un sourire. Tout ce qui faisait peur à Croc-d’Ivoire était de bon augure pour lui. Il s’engagea sur le chemin du jeune renard, d’un pas plus lent, presque nonchalant, juste pour l’embêter. Quand, enfin, ils atteignirent la limite entre les Terres Sauvages et leurs territoires, ils n’en laissèrent rien paraître, mais furent envahi par une vague de soulagement. Croc-des-Neiges s’étira une fois passé la ligne imaginaire. Il lança un regard narquois à Croc-d’Ivoire avant de dire négligemment : — Ah ! C’est bon de remettre ses pattes sur son sol, du bon côté de la frontière, hum ? Le visé ne répondit pas, mais lui jeta une œillade noire. Ils avaient avancés pendant quelques instants à peine lorsqu’ils entendirent un bruissement derrière eux. Aussitôt, ils firent volte-face, le cœur battant. Des Exilés les avaient-t-ils traquer depuis les Terres Sauvages, pour les attaquer sans que personne ne s’en aperçoive ? Croc-des-Neiges perçut encore une fois la frayeur de Croc-d’Ivoire. Elle était si forte qu’elle empuantit l’air, asphyxiant presque les poumons du jeune mâle. Les feuilles remuèrent encore une fois, puis une exclamation surprise, et néanmoins connue, retentit. — Mais qu’est-ce que vous faites là, à cette heure-ci ? Croc-de-Givre et Croc-du-Lac, les mères respectives de Croc-des-Neiges et Croc-d’Ivoire, surgirent des fourrés, l’air étonné. Autant leurs fils se détestaient, autant elles, étaient amies. Meilleures amies. Par contre, Croc-des-Blizzards et Croc-du-Roc, le père de Croc-d’Ivoire, étaient eux aussi adversaires depuis toujours. À croire que la haine des mâles de ces familles était génétique. Elles adoraient passer du temps toutes les deux, à chasser, parler et explorer. Comme elles s’entendaient très bien, elles voulaient toutes les deux que leurs enfants fassent de même… et ils étaient bien obligés d’obéir. Et de se supporter, pendant de longues, longues journées passées ensemble. Aujourd’hui, les deux femelles étaient parties tôt dans la matinée, pour faire une bonne partie de chasse. Aussi, elles avaient apprises par leurs compagnons la punition de leurs petits. Elles sont surprises, sans doute, de nous voir encore dehors si tard, songea Croc-des-Neiges. — Vous ne devriez pas être rentrés depuis longtemps ? questionna Croc-de-Givre, confirmant les pensées de son fils. Je pensais que votre sentence prenait fin au coucher du Soleil. — C’est ce que j’arrêtes pas de lui dire, à lui, siffla Croc-d’Ivoire, devançant son rival d’un poil de lemming. Il le foudroya des yeux. L’autre l’ignora. — Pourquoi êtes-vous si près de la frontière avec les Terres Sauvages ? demanda soudain Croc-du-Lac, méfiante, en venant leur tourner autour tout en les reniflant. Et pourquoi vous portez leur odeur ? Les renards se crispèrent. Oh, pourvu qu’elle ne devine pas que l’on s’est aventuré là-bas, se dit Croc-des-Neiges. Sinon, je ne donne pas cher de ma fourrure… Heureusement, Croc-de-Givre intervint avant que des paroles irréversibles ne soient prononcées. — Voyons, Croc-du-Lac, la sermonna-t-elle gentiment. Ces petits ont sans doute dut marcher trop longtemps et trop loin, et ne se sont pas rendu compte d’être si près des Terres Sauvages. Quant à l’odeur, eh bien ! étant que nous sommes nous-mêmes proches de lesdites Terres Sauvages, ce n’est guère étonnant de la sentir sur le pelage de Croc-des-Neiges et de Croc-d’Ivoire. L’autre grogna, sceptique, mais Croc-de-Givre ne lui laissa pas le temps de tergiverser plus. ¬— Allons-y. Vous, retourner chercher vos proies et rendez-vous dans la tanière du chef. Je suis sûre que vous avez fait une excellente récolte. — Oh oui ! s’empressa de lâcher Croc-d’Ivoire avec véhémence, tandis que Croc-des-Neiges grondait. La façon dont son pire ennemi caressait la fourrure de leurs mères dans le sens du poil l’agaçait prodigieusement. Lorsqu’ils furent sûrs que les deux femelles avaient disparu pour de bon derrière les sapins de la taïga, ils échangèrent un regard lourd de sens et Croc-d’Ivoire s’engagea sur le chemin du retour, son rival sur les talons. Ils récupérèrent au fur et à mesure de leur course les proies qu’ils avaient enterrés ici et là. Croc-des-Neiges fut étonné de voir qu’ils avaient finalement amassés une quantité respectable de gibier, malgré tous les petits problèmes qu’ils avaient eut pendant cette laborieuse journée de chasse. Alors qu’il transportait un gros lemming et au moins une demi-douzaine de souris par la queue – c’était les fameux rongeurs capturés par Croc-d’Ivoire un peu plus tôt dans l’après-midi –, un délicieux effluve flatta sa truffe. Il reconnut aussitôt l’odeur, malgré le fumet insistant des proies qu’il portait dans sa gueule – un exploit. C’est un lièvre polaire ! s’écria-t-il en son for intérieur, excité. Se rappelant que son rival avait raté sa cible, lorsqu’il avait poursuivit un de ces animaux, il tempéra aussitôt son ardeur. Puis l’idée de ce défi en perspective le fit frissonner de plaisir et sa tension le reprit. Je vais pouvoir battre Croc-d’Ivoire et lui faire ravaler sa langue trop pendue ! Il avait hâte de ridiculiser son adversaire. Un sourire narquois se dessina sur ses babines. Il déposa son chargement sous un buisson à l’abri des charognards et démarra en trombe, sous les prunelles stupéfaite de Croc-d’Ivoire. Il se tapit soudain, aux aguets. Le lièvre était là. Il trottait, inconscient du danger qui le guettait, caché dans l’ombre. Le lagomorphe renifla une racine et commença à la ronger, produisant un ‘‘crrr-crrr’’ régulier. Croc-des-Neiges ne quittait pas sa proie des yeux. Il voulait réussir à l’attraper, rien que pour voir la mine déconfite de Croc-d’Ivoire. Alors qu’il surveillait ses gestes, dosait avec précaution ses mouvements et calculait la distance qui le séparait du lièvre, ce dernier, soucieux de ne pas voir son rival capturer sa victime, s’approcha distraitement d’un paquet de fougères séchées et les fit bruisser avec sa patte. Le lièvre, alerté, tendit les oreilles, les prunelles rivées sur le taillis où s’était réfugié les deux renardeaux, et détala. Croc-des-Neiges jura et foudroya du regard Croc-d’Ivoire, qui le considéra d’un air innocent, cachant le contentement qui avait intérieurement. Puis, surprenant son ennemi qui ne s’y attendait pas, il se retourna et partit à la poursuite du rongeur. — Hey, qu’est-ce que tu fais ? demanda Croc-d’Ivoire, surpris. — Je fais comme toi ! se contenta de répondre l’autre. Stupéfait, Croc-d’Ivoire glapit et bondit sur ses pattes, prêt à les rejoindre dans leur course. Mais prédateur et proie était déjà bien loin. Croc-des-Neiges ne s’occupait pas des branches épineuses qui lui fouettaient les flancs ou des feuilles qui lui rentraient dans les paupières. Il ne se préoccupait pas des cailloux qui se coinçaient dans ses griffes ou de la poussière qui lui brûlait la gorge. Il ne fit même pas attention aux cris de plus en plus ténus de Croc-d’Ivoire. Libre, rapide, il courait, goûtant au plaisir et à l’allégresse de la vélocité. Ses pattes ne touchaient presque plus le sol, donnant l’impression qu’il volait dans un nuage de neige. Sa langue pendait entre ses crocs, ses oreilles étaient rabattues sur son crâne, sa queue dans le prolongement de son échine : il se sentait bien, vivant. Il voyait le lièvre accélérer pour le distancer. Avec un cri de guerre, il tendit ses muscles et semblait soudain bondir plutôt que galoper. Derrière eux, Croc-d’Ivoire, à la traîne, haletait, à bout de souffle, en marmonnant : ‘‘At… attendez-moi !’’. Ils prenaient de plus en plus d’élan. Jamais Croc-des-Neiges n’aurait cru cavaler aussi vite. Il vit sa proie contourner un gros sapin et disparaître. Ne voulant pas le perdre, il s’élança à son tour, faisant un dérapage plus ou moins contrôlé afin d’éviter l’arbre. Arbre que Croc-d’Ivoire, après avoir assez récupérer pour faire une petite pointe de vitesse, ne put esquiver et se prit de pleine face. Son rival dut retenir un éclat de rire pour ne pas se déconcentrer. Mais lorsqu’il détourna la tête de la scène cocasse produite par un Croc-d’Ivoire à moitié assommé avec les quatre fers en l’air, il constata que le rongeur avait disparu. Non ! Désemparé, il ralenti peu à peu pour chercher du regard sa cible, fouillant chaque buisson avec ses yeux. Il leva la truffe et huma l’air, essayant désespérément de capter la moindre odeur. Peu après, Croc-d’Ivoire, remit de sa chute, le rejoignit. Il le considéra avec espièglerie et ouvrit la gueule pour parler, mais Croc-des-Neiges repéra un mouvement derrière un tronc mort. Curieux, il n’écouta pas la pique de son adversaire, et sauta par-dessus le bois pourrissant. Il se réceptionna de justesse, mais ses pattes glissèrent sur une plaque de verglas. Terrifié, il lâcha une exclamation de stupeur, s’écroula sur la glace et dérapa. Il atterrit dans un monticule de neige… qui s’effondra sous lui. Avec un cri apeuré, il tomba. Autour de lui, des trombes de poudreuses le doublaient et disparaissaient dans l’ombre. Croc-des-Neiges dut retenir une autre plainte angoissée. Les flocons couvraient son corps encore en chute libre. Il battit des pattes en vain, avant de s’effondrer avec un son mat dans une surface molle et froide. Le souffle coupé, il resta immobile pendant quelques instants. Il fit une prière silencieuse, remerciant le gros tas immaculé d’avoir amorti sa descente mouvementée. L’eau imprégnait son pelage et le transit jusqu’aux os, néanmoins il refusait encore de bouger. Ses muscles tendus, endoloris, avaient subi un choc bien trop violent. Il lui fallait un peu de temps pour se remettre. Il ferma les yeux. Lorsque son sang commença à battre dans tout son corps, y comprit dans ses oreilles, grondant comme une cascade furieuse, il tenta de se relever. Peine perdue : il trébucha presque aussitôt, et s’étala de tout son long. Il était encore trop faible. Pourtant, il lutta et lutta, encore et encore, jusqu’à ce qu’il tienne à peu près debout sans trop vaciller ni s’écrouler. Ses yeux bleus glaciaux s’habituèrent peu à peu à l’obscurité. Autour de lui, des parois sombres s’élevaient. Un trou béant laissait place au monticule qui avait cédé sous ses pattes un peu plus tôt. Des petits amas de neige jonchaient çà et là le sol dur, sans doute fait de glace. Lorsqu’un vent frais caressa sa fourrure, il découvrit qu’une profonde galerie s’étendait dans l’ombre. Croc-des-Neiges fronça les sourcils. Il réfléchit et repensa alors à ces histoires que certains vieillards de la Tribu radotaient aux jeunes. Ils adoraient cela, cela les divertissaient. Certains même s’amusaient à leur faire peur. Quant aux petits, ils étaient trop contents d’écouter leurs aînés conter les guerres d’antan. Des légendes rapportaient notamment comment des renards piégeaient leurs ennemis dans ce qu’ils appelaient ‘‘les tunnels à glace’’. Ces tunnels, creusés par les mouvements des plaques terrestres et par les aléas de la nature, étaient formés sous la neige. Des animaux s’y perdaient souvent, ou y mourraient. À l’époque, Croc-des-Neiges n’y avait prêté guère attention. Il ne donnait pas crédit aux ‘‘racontars’’ comme il disait. Maintenant, il regrettait de ne les avoir écoutés. Une douce lumière argentée filtrait à travers la trouée menant à l’air libre. Malheureusement, elle était trop haute pour que le jeune mâle l’atteigne en sautant. Mais en grimpant, peut-être… oui, c’est une bonne idée. Il entreprit d’escalader la paroi. Il se mit debout sur ses pattes arrière et tâta aussitôt le mur pour tester sa dureté. Mal lui en prit : il sentait la matière friable se décrocher sous ses griffes. Résigné, il retomba sur ses quatre fers, dépité, avant même de pouvoir vraiment grimper. Il lui restait deux options : soit continuer par la galerie qui s’enfonçait dans les entrailles de la Terre, soit attendre que Croc-d’Ivoire réagisse et vienne l’aider. Bien qu’il n’appréciait – et ne croyait – pas cette solution, il trouva que c’était celle la plus sûre. Il patienta donc, pressé, pour une fois, de voir le visage malicieux jaillir à l’entrée du tunnel. Il se fit désirer. Quand enfin il daigna apparaître au-dessus de la tête de Croc-des-Neiges, le dévisageant avec une expression sournoise, l’animal poussa un inaudible soupir de soulagement. — Ben c’est pas trop tôt ! lâcha-t-il, ironique. Je ne t’attendais plus, dis donc ! L’autre plissa les yeux. — Et tu pourrais encore. Je ne suis pas très pressé de te délivrer. Pas envie. Croc-des-Neiges grimaça. C’allait être la partie la plus dure : convaincre Croc-d’Ivoire de l’aider, tout en supportant ses remarques sarcastiques. — S’il te plait. Aide-moi, lança-t-il simplement, priant pour que cela marche. Tu sais bien à quel point Croc-des-Blizzards ne serait pas content si on revenait en retard, continua-t-il alors que l’autre l’ignorait superbement. Il tressaillit. Ah, songea Croc-des-Neiges. J’ai frappé juste. Croc-d’Ivoire ne voulait pas affronter le courroux de son chef une seconde fois. Il grommela un semblant de réponse, puis chercha quelque chose du regard. — D’accord, mais comment te remonter ? Bonne question. Croc-des-Neiges se creusa la cervelle pour trouver un moyen de remonter. Soudain, un mouvement à la périphérie de sa vision attira son attention. Sans prendre le temps d’écouter les interjections surprises de Croc-d’Ivoire, il s’avança à l’intérieur du boyau dans lequel il avait aperçu une forme bouger. Une tache blanche se détachait nettement dans les ténèbres, son pelage uniforme luisant à la lumière de la Lune. Le lièvre ! Croc-des-Neiges poussa un glapissement triomphal qui fit se redresser l’animal et sursauter Croc-d’Ivoire. Le jeune mâle ne s’en préoccupa pas. Il se tapit au sol, aux aguets, tandis que le lièvre, sans doute rassuré, se remettait à fureter. Il se prépara à sauter sur son râble et le briser en deux, quand son rival dérapa sur le bord du trou en lâchant un juron, déversant une pluie de poudreuse. Alarmée, la proie s’enfuit. Oh non ! Pas encore ! cria Croc-des-Neiges en son for intérieur. Il ne savait pas si Croc-d’Ivoire l’avait fait exprès, mais ce n’était pas le moment d’y penser. Il bondit à nouveau à la poursuite de sa cible. Le tunnel n’en finissait pas. L’obscurité l’engloutit, il ne voyait même pas où il posait ses pattes. Les parois de glace défilaient à toute allure autour de lui, alors qu’il désespérait, ne voulant pas perdre de vue une seconde fois sa cible, petite tache blanche à la queue frétillante. Croc-des-Neiges haletait sous l’effort. Il trébucha, mais se reprit juste à temps. Les muscles endoloris, il continua pourtant d’avancer, ne voulant pas rater sa chance. Un bourdonnement agaçant emplissait ses oreilles. Au début, il croyait que c’était à cause de la fatigue. Puis, petit à petit, le bourdonnement s’amplifia. De petits paquets de neiges chutait du plafond, qui tremblotait, comme si… Comme si quelqu’un courait au-dessus ! Croc-d’Ivoire ! réalisa le jeune renard. En effet, son rival, ayant vu le piégé s’élancer dans l’ombre de la galerie, le traquait depuis l’air libre, grâce à son flair. Le problème, c’est qu’à force de battre le sol de ses pattes, il menaçait de faire s’effondrer la voûte. Cet idiot va m’enterrer vivant ! hurla Croc-des-Neiges, hors de lui. La peur et la colère firent monter en lui une poussée d’adrénaline soudaine ; il allongea sa foulée et esquiva les nuages de poudreuse qui, au fur et à mesure de l’affaissement du boyau, augmentaient en puissance et en fréquence. Bientôt, de véritables avalanches tombaient et le lièvre tout comme le canidé tentaient d’éviter les coulées blanches. Un grondement résonnait autour d’eux et leurs emplissaient les tympans. Il était de plus en plus dur pour eux de gravir les monticules qui jonchaient le sol sur leur chemin. À peine Croc-des-Neiges songeait qu’ils allaient finir prit au piège derrière un éboulis infranchissable, qu’au détour d’une bifurcation, une impasse se dévoila. Non ! Le jeune mâle sentit ses membres vouloir se dérober sous lui. La fourrure hérissée et les yeux écarquillés, il considéra le cul-de-sac, terrifié et désespéré. Puis une giclée de neige et de givre attira son attention. Le lièvre creusait de toute la force de ses petites pattes, essayant vainement de se frayer un passage dans la poudreuse. Le prédateur hésita à se joindre à lui, mais d’une part le lagomorphe risquait de faire une attaque en voyant un renard, son pire cauchemar, se diriger vers lui dans le but de l’aider, et d’autre part, il lui semblait improbable de pouvoir déblayer l’éboulement gelé avant que la galerie ne s’écroule sur son crâne. Des secousses terribles secouaient l’ensemble du tunnel de glace. Des fissures apparaissaient là où un sol froid, mélange de terre et de gel, se déplaçait à cause des tremblements violents. D’énormes quantités de neige s’échappaient du plafond, étouffant presque le malheureux renard prisonnier et son camarade d’infortune. Mais les séismes étaient si puissants qu’ils ouvrirent un passage dans l’impasse. Elle se brisa en deux, et le lièvre s’engouffra immédiatement dans la fêlure soudaine. Le jeune mâle le suivit, mais la crevasse était si étroite qu’il devait retenir son souffle de peur de rester coincé. Maintenant, chasseur et chassé courait certes pour leur survie, mais plus pour les mêmes raisons. La frayeur donna des ailes à Croc-des-Neiges, qui réussi sans trop savoir pour à tenir le coup et à ne pas ralentir l’allure. À croire qu’un autre lui prêtait sa force pour qu’il ne tombe pas d’épuisement. Pour un peu, il aurait même apprécié l’exercice, s’il ne luttait pas pour sa vie. Lorsqu’enfin, un petit point lumineux, signe de la sortie proche, apparut dans son champ de vision, je jeune renard polaire soupira de soulagement. Il n’en pouvait plus. Il avait l’impression qu’il avait couru dans les profondeurs sombres de ce boyau pendant un temps infini. Malheureusement, ce fut à ce moment-là que la galerie s’effondra. Un rugissement tonitruant emplit ses oreilles. Il hurla, mais son cri se confondit dans celui de la glace en chute libre. Il sentit un appel d’air près de sa queue. Le lièvre couina. Il faiblissait, car il galopait maintenant à la hauteur de Croc-des-Neiges, pourtant moins rapide que lui. Alors qu’il se sentait partir, que ses pattes ne semblaient plus pouvoir le soutenir, un cri perça la bulle de confusion qui s’était formée autour de son esprit embrouillé. Il perdit patte dans une véritable marée de neige. Emporté par un courant brutal, il ne perçut qu’à peine la morsure dans sa nuque. Prit d’un sursaut de vie, il glapit et se tortilla pour échapper à son assaillant, sans résultat. Le monde tournait autour de lui. Tout n’était qu’un maelström de blanc, de bleu et de noir. Des éclats de lumière argentée déchiraient l’air et lui brûlait les yeux. Ses muscles se tendaient et se crispaient sous l’effort gigantesque qu’il avait dû fournir pour continuer à cavaler dans le tunnel de glace. Puis il sentit ses griffes riper sur le sol. Il était tiré sur le côté, et entendit un grognement étouffé. Puis soudain, la vague de neige cessa de couler sous lui. Il cilla, surpris et encore secoué par le choc. Une surface dure, froide et lisse reposait sous sa fourrure. Au-dessus de lui, des traits sombres se précisèrent pour devenir les branches noueuses et claquantes des sapins. Le clair de lune et les étoiles brillaient doucement, mettant en valeur le paysage couvert de givre. C’était fascinant. La luminosité des astres calmèrent et rassurèrent Croc-des-Neiges. Il tenta de se remettre debout. Ses membres tremblaient terriblement et le faisaient souffrir, tant il était épuisé. Pourtant, il tenait encore debout. Il boitilla et découvrit une tache de fourrure s’éloigner à petits bonds. Le lièvre ! Le prédateur se découvrit soudain une faim de loup qui lui tordit l’estomac. Il plongea en avant et mordit le cou de l’animal qui l’avait accompagné dans cet enfer. Son sang envahi sa bouche et il lâcha un gémissement surpris. Croc-des-Neiges n’eut aucun remord. Si j’ai dut supporter ça, autant que cela me servent à quelque chose, se dit-il, mais il ne réussi pas à vaincre le remord qui montait en lui. Il se figea soudain, l’œil vitreux, en fixant sa proie encore chaude. Un frisson étrange le parcouru, hérissant son pelage. Ce frisson-là, il s’en souviendrait toujours et le reconnaîtrait entre mille. C’était le frisson d’excitation et de contentement qu’il avait ressenti le jour de sa première prise, alors que son père le félicitait vigoureusement. C’étai il y a très longtemps – car contrairement aux fennecs, les renards polaires apprenaient à chasser et à survivre seuls très tôt – mais il se rappelait de cette sensation comme si c’était hier. Pourtant ce n’est pas ma première proie ! pensa-t-il, légèrement inquiet. Qu’est-ce qui m’arrive ? Il était en transe. Il se souvint soudain de la sensation qu’il avait eut, alors qu’il fuyait dans le tunnel de glace, comme s’il partageait sa force avec quelqu’un d’autre. Serait-ce aussi ce qui m’arrive maintenant ? Il n’avait jamais entendu parler d’un partage de sentiments. Même les aînés de la Tribu n’avaient parlé d’une chose pareille. Il resta immobile un moment. Mais il n’en pouvait plus. Il fallait qu’il dorme. Son ventre gargouilla. Abandonnant l’idée de se laisser tomber au sol, il se tourna vers sa proie et la dévora en quelques bouchées goulues. Puis, exténué, tremblotant, il s’allongea et ferma les paupières, trop content de pouvoir s’endormir, mais trop las pour rêver.
*** *** ***
Un courant d’air caresser son échine et le réveilla. Il se leva difficilement. Il faisait encore nuit, si bien qu’il déduit qu’il n’avait pas dormi trop longtemps. Néanmoins, il se sentait en meilleure forme. — Alors, l’ours ? Bien reposé ? Surpris par cette voix moqueuse, il fit volte-face, ou plutôt il essaya, car ses pattes moulues le firent trébucher. Mais il se reprit juste à temps, pour éviter de tomber sur Croc-d’Ivoire. Qui avait l’air très content. Ce n’était pas bon signe. Une lueur fourbe dansante dans les pupilles, il ouvrit la gueule, prêt à parler. — C’est bon ? ironisa-t-il. T’as assez récupérer, tu vas plus t’écrouler d’un coup sans prendre le temps de me remercier ? Je n’aurais pas voulu me salir les crocs et t’aider pour rien ! — Quoi ? Croc-des-Neiges était abasourdi. C’est cet abruti qui m’a sauvé ? — Remarque, j’aurais pu te laisser dériver sur cette avalanche, fit-il négligemment, comme s’il ne s’en préoccupait pas. J’aurais eut un adversaire de moins. L’autre était toujours aussi troublé. Puis son attention se reporta à nouveau, malgré lui, sur le lièvre – où plutôt ce qu’il en restait. Un petit tas d’os blancs et récurés du moindre bout de chair. — Drôle de façon de traiter ceux qui ont supporté avec toi un terrible danger, le railla Croc-d’Ivoire, ayant approché des ossements à petits pas. Je m’en souviendrais, crois-moi, conclut-il en les reniflant. Croc-des-Neiges tremblait, mais ce n’était ni de froid ni d’épuisement. C’était de rage. — Tu oses ! rugit-il, furieux. Tu m’as forcé à t’attendre, à te supporter, à te chercher dans les Terres Sauvages et à désobéir à mon père ! Et encore pis, tu as faillis me tuer en courant au-dessus du tunnel de glace ! (Croc-d’Ivoire tressaillit, il ne connaissait pas cette partie de l’histoire.) Tu… me… dégoûtes ! Ce fut la goutte d’eau. Croc-d’Ivoire se mit en position de combat, les oreilles rabattues en arrière. Mais si Croc-des-Neiges avait un peu retrouvé ses forces avec son petit somme, il n’était pas encore de taille à affronter Croc-d’Ivoire, frais et dispos. Puis le profond mépris qu’il lut sur le visage de son rival le fit changer d’avis. Une bouffée d’adrénaline gonfla ses muscles. Avec un hurlement de rage, il bondit. Croc-d’Ivoire évita lestement son coup, et il retomba lourdement au sol dans un grognement. Un cri guerrier déchira les tympans de Croc-des-Neiges alors que son pire ennemi se jetait sur lui, les crocs dévoilés sur ses babines retroussées. Profitant que le jeune mâle était encore trop faible pour se relever, il lui bourra le ventre de coup. L’autre gémi. Mais il était rusé. Il saisit la patte de Croc-d’Ivoire entre ses crocs. Celui-ci, surpris, laissa échapper un glapissement étonné. Croc-des-Neiges envoya valdinguer dans les airs son assaillant, ou du moins il essaya. Son rival atterrit à quelques longueurs de là, le souffle coupé. Croc-des-Neiges se remit sur ses pattes et plongea en avant afin de saisir la queue battante de Croc-d’Ivoire, qui s’était déjà relever. Ce dernier attrapa la truffe du renard polaire dans ses canines. Ensemble, ils luttèrent au corps à corps et dévalèrent un talus. Croc-des-Neiges hurla lorsque son adversaire enfonça ses crocs dans son épaule. La souffrance semblait pourtant déjà s’affaiblir, comme si, encore une fois, quelqu’un d’autre partageait ses sentiments. C’est impossible ! s’écria-t-il intérieurement. Une vague d’angoisse ne venant pas de lui l’envahi, mais il la refoula sévèrement avant de saisir l’oreille de Croc-d’Ivoire et de la tirailler violemment. Il cria et se tortilla de plus belle. Puis les deux combattants atterrirent au pied de la pente et se détachèrent l’un de l’autre. Croc-des-Neiges boula loin de son opposant. Celui-ci, qui le considérait d’abord avec une hargne sans borne, écarquilla les yeux et fixait un point derrière son pire ennemi. — Croc-des-Neiges… Att… ATTENTION ! brailla-t-il, terrifié. D’abord sûr que c’était un piège pour l’attaquer sournoisement, Croc-des-Neiges compris soudain la gravité de la situation lorsqu’un grondement de colère retentit. Il se tourna lentement et se trouva museau à museau avec une imposante créature aux petits yeux flamboyants de rage. — Oh-oh…
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Age : 23
Localisation : Au Grand Arbre, pour ma plus grande peine
Qui es-tu ? Race: Chouette Effraie, Tyto Alba Santé: (100/100) Rang: Gardien du Grand Arbre, mais Sang-Pur dans le crâne
| Sujet: Re: Le Folklore des Royaumes-Renards: Les Prophéties Légendaires ~ La Légende du Destin ~ Livre I: Les Liens du Destin Jeu 24 Oct - 21:23 | |
| *** Chapitre III ***
U n rayon de Soleil lumineux caressa la fourrure de Sharon. La jeune fennec était réveillée depuis un petit moment déjà, même si il était loin d’être le soir. Un mouvement à la périphérie de sa vision l’avait tirée de son somme : une forme floue s’était éloignée dans le tunnel menant à l’extérieur. Elle n’y avait pas prêté attention. Mais elle n’arrivait pas à retourner au pays des rêves. Elle se tortillait dans son nid, mais toujours rien à faire : le sommeil ne venait pas. Résignée, elle se releva et s’assit, son long pelage sale et emmêlé nimbé de lumière solaire. Autour d’elle, les autres dormaient encore. Leur souffle léger et régulier créait une douce mélodie dans la renardière. Des froissements de plantes apprenaient à la petite femelle que ses camarades se tournaient et retournaient dans leur lit. Quelques petits cris ou grognements perçait parfois le silence de la tanière, signe que les animaux rêvaient. Sharon sourit en voyant son frère, Deïlf, gémir sourdement, les oreilles couchées en arrière mais les paupières toujours closes. Elle secoua la tête, amusée, puis entreprit d’ôter les saletés de ses poils. Les grains de sable prit dans sa robe faisait grincer ses crocs, mais elle continua sa tâche sans rien dire. Puis, une fois propre, elle s’étira et grimaça lorsque son épaule lança tout à coup. Sharon ferma des yeux en retenant un hoquet de douleur. Elle avait mal à cet endroit précis depuis que, la veille, alors qu’elle savourait tranquillement sa victoire et un repas bien mérité, une sorte de combat imaginaire avait eu lieu près d’elle. Une mâchoire invisible avait mordu sauvagement son omoplate, lui arrachant un hurlement. Terrifiée, elle ne pouvait pas intervenir. Mais surtout, elle s’était rendue compte qu’elle était la seule à en souffrir. Sharon avait bien observé la lueur surprise dans les prunelles de sa sœur Rosa quand elle avait sortie sa tête du gîte pour l’inviter à dormir, alors que, torturée et angoissée, elle luttait toute seule au milieu d’un tourbillon de poussière. Elle avait saisi tout de suite que c’était à elle, et seulement à elle, qu’apparaissait cette rixe irréelle. Pour quelle raison ? Elle l’ignorait. Sharon se redressa, réprimant encore un glapissement déchirant. Elle venait de prendre une décision. Plusieurs fois, elle tergiversa entre son cœur et sa conscience, mais son cœur l’emporta de justesse. Il lui dictait de tout raconter à sa sœur. Il faut qu’elle sache, pensa-t-elle pour se réconforter. Il n’y a pas de secret entre deux sœurs. Elle prit une grande inspiration pour se donner du courage, puis, d’une démarche claudicante, elle approcha de la niche de Rosa. Elle secoua doucement cette dernière, et lui murmura à l’oreille : — Rosa ! Rosa ! Réveille-toi, s’il te plait… Rosa bâilla à s’en décrocher la mâchoire, puis tourna un regard ensommeillé vers sa sœur. — Qu’est-che qui che pache ? fit-elle d’une voix pâteuse. Pourquoi t’es levée à une heure pareille ? Recouche-toi ! — Non, Rosa… Je… Je dois te parler. Tu veux bien m’écouter ? L’autre, qui cillait d’un air alangui, fut soudain en alerte en entendant le ton pressant et à la fois hésitant de Sharon. Inquiète, elle la considéra avec des yeux ronds, parfaitement éveillée désormais, et toute sa sensibilité exacerbée. Elle scruta la jeune femelle sous tous les angles, et celle-ci, gênée, gratta le sol de ses griffes, tête basse. — Je sens que quelque chose te tracasses, murmura-t-elle enfin. Elle baissait exprès le ton afin de ne pas embêter les fennecs encore perdus dans leurs songes, Deïlf comprit. C’est à propos de se qui c’est passé hier, c’est ça ? Sharon en fut estomaquée. Le sens de déduction, et encore plus la réceptivité de Rosa la stupéfiait. J’ai de la chance d’avoir une sœur pareille, se dit-elle, émue. — Ou… oui. En quelque sorte. Son interlocutrice remua les oreilles. — En quelque sorte ? — Oui. Viens, allons à la Grande Oasis. On y sera mieux pour discuter. Rosa acquiesça silencieusement. La Grande Oasis était, comme son nom l’indique, une vaste oasis située très loin du territoire de la Famille des Dunes, et même des terres du désert tout entier en général. Il y avait plusieurs heures de marche avant de l’atteindre, si bien que Sharon se réjouit de voir qu’il était encore le matin. Elle n’aurait pas pu y aller la nuit, alors que leur second cours de chasse allait commencer. Elle aurait du tout dire à Rosa dans leur gîte, et la discrétion n’était pas le fort des autres membres de la Famille. Ils finiraient par savoir tôt ou tard ce qu’elle avait dévoilé. Rosa et elle avancèrent longtemps. Sharon commençait à boiter, car sa blessure la faisait souffrir. La chaleur n’était pas trop accablante dans la matinée, aussi purent-elles continuer leur chemin sans s’arrêter régulièrement dans les quelques points d’eau qu’elles connaissaient – règle vitale pour survivre dans le désert, leurs parents leurs avaient tout de suite apprit où se trouvaient les plus grosses sources. Bientôt, alors que leurs pattes faiblissaient et que la fatigue revenait, elles arrivèrent enfin à la Grande Oasis. Ses dattiers et palmiers étaient parfaitement immobiles, de même que le petit lac lisse qu’ils entouraient. Le sable granuleux se changea peu à peu en herbe verte et luisante. Les deux femelles se laissèrent choir dessus avec un soupir de contentement. Quelques buissons feuillus faisaient assez d’ombre pour qu’elles puissent s’y abriter et être au frais, tandis que l’eau et le gibier foisonnait dans ce petit coin de paradis. C’était parfait. Sharon leva les yeux vers le ciel bleu pur et clair. Un Soleil de plomb brillait. Aveuglée, elle détourna le regard qui vint se poser sur la haute falaise rougeâtre qui séparait le désert du reste du monde. Personne n’avait encore réussi à franchir une telle limite rocailleuse. Certains s’y étaient essayés. Peu d’entre eux étaient revenus pour en parler. — À ton avis, qu’y a-t-il derrière ces remparts de pierre ? demanda Sharon, les yeux plissés comme si elle voulait imaginer toutes les possibilités que cette question offrait. — Je n’en sais rien, avoua Rosa. La jeune fennec savait que sa sœur tentait de détourner la conversation, peu pressée de parler de ce qu’elle avait sur le cœur. Sharon se dandina sur ses pattes, mal à l’aise. Devoir cacher la vérité encore et encore à sa propre sœur la rendait malade. Mais elle ne pouvait plus reculer désormais. Elle ouvrit la gueule pour parler, et vit que Rosa tendait l’oreille pour boire ses paroles. Elle referma ses babines. Elle n’arrivait pas à trouver ses mots. Ce que c’était dur ! Enfin, elle se décida d’aller droit au but, sans tourner autour de la gerbille : — Je ne sais pas ce qui c’est passé, hier. Il… il y a eu… un combat. Elle se tut, redoutant la réaction de Rosa. Elle fixait le bout de ses pattes, penaude, comme si elle était fautive. Mais le ton calme et rassurant qui lui répondit la tranquillisa. Un peu. — Ne t’inquiète pas. Continue, se contenta de dire l’autre femelle, assise la queue enroulée autour d’elle. Sharon prit une grande inspiration. Puis elle se lança, hésitante d’abord, puis de plus en plus assurée : — Je… je n’ai pas tout compris. Il y a eu des cris… J’avais peur. Je ne voyais personne, pourtant… je sentais que j’étais au cœur de la bataille. C’était une sorte de… duel. Oui, ils n’étaient que deux. Deux, mais violents et puissants. C’était horrible. Rosa hocha la tête, comme si elle comprenait. Puis elle murmura : — Deux… Qui étaient-ce, d’après toi ? — Je ne sais pas ! s'agaça soudain sa sœur. Au fond d’elle, elle avait besoin de se vider de ses angoisses. Je n’en ai aucune idée. Pas plus que la raison pour laquelle ils me sont apparus, à moi et pas aux autres. Et l’un d’entre m’a même mordu l’épaule, et maintenant, j’ai horriblement mal à l’omoplate, comme si j’avais vraiment eu cette morsure. Elle s’arrêta, à bout d’air. Son monologue furieux l’avait vidé de tout son oxygène. Elle inspira de nouveau et s’affaissa, comme si elle était épuisée après cet effort. Il était rare qu’elle s’enflamme ainsi. Au contraire, elle était plutôt posée et détestait les conflits ou les bagarres. Comme elle avait dut souffrir ! Rosa compatissait pleinement. Si sa sœur aimait bien taquiner les animaux, en particulier Deïlf, elle n’était pas méchante. Pourquoi donc était-elle la seule à subir des blessures imaginaires ? — Sharon… chuchota sa sœur en lui léchant tendrement l’oreille. Calme-toi. Ce n’était rien. — Rien ? s’exclama Sharon, outrée. Elle bondit hors de portée de Rosa stupéfaite. Rien ? Ce n’est pas toi qui as vécu cette situation, ce n’est pas toi qui as reçu cette morsure. Comment peux-tu dire que ce n’était rien ? L’autre renarde se mordit la langue. J’aurais dut me taire ! Mais trop tard. Sharon, tempête enragée, le pelage hérissé et les canines découvertes, grondait. ¬— S’il te plait… supplia l’autre. Je suis désolée, tu as raison, je n’ai pas vécu ce que tu viens de me décrire. Mais est-ce utile de se fâcher ? Sharon grogna. Elle n’a pas tort, pensa-t-elle un peu à contrecœur. Elle se détendit peu à peu et, une fois remise, elle se rendit compte de ce qu’elle avait fait. Une fureur qui n’était pas la sienne avait envahi son être. C’était bien la première fois qu’elle s’emportait ainsi. — Oooh… oh, excuse-moi, Rosa ! s’écria-t-elle, contrite. Je n’aurais jamais dut m’énerver comme ça. — Ce n’est pas grave, fit sa sœur, rassurante. Elle se frotta à Sharon pour lui montrer qu’elle ne lui en voulait pas. L’autre ferma les yeux. Elle ressassait ces souvenirs terribles. Soudain, elle rouvrit les paupières et sursauta si brusquement que Rosa, encore occupée à se frictionner contre sa sœur, en fut déséquilibrée. — Que… quoi ? Qu’est-ce qu’y a ? — Cette crise… Ce n’est pas normal. Et à la partie de chasse, tu te souviens ? J’avais parfaitement réussi les mouvements, alors que c’était la première fois que je les faisais, tout comme toi et Deïlf ! Elle contracta ses muscles et reprit, terrifiée : Quelqu’un d’autre a échangé ses sentiments avec moi ! — Hein ? Rosa était perdue. Elle pataugeait dans la confusion la plus totale. Néanmoins, les conclusions logiques de Sharon, accompagnés des récents évènements survenus, débouchaient toujours sur cette unique option, et elle devait bien admettre qu’elle était plus que largement plausible, quoique surréaliste. — Comment tu peux en être sûre ? Et d’où tu tires une idée pareille ? questionna-t-elle, curieuse et légèrement inquiète. — Je… je le sais, c’est tout. Sharon leva le crâne pour observer les frondaisons des arbres tropicaux qui se balançaient lentement dans la brise des hauteurs. J’en suis sûre. N’essaie pas de comprendre. La jeune femelle fronça les sourcils. Sa camarade de portée ne dit rien, mais n’en pensait pas moins. Le temps passa. Il filait à la vitesse de l’éclair, ou alors rampait comme un scorpion fatigué, nulles des deux fennecs n’auraient pu le dire. Le Soleil continuait sa lente progression dans le ciel, illuminant les eaux du petit lac d’un éclat d’ambre. Les jeunes renardes étaient assises, côte à côte sur la rive, à scruter les profondeurs aquatiques à la recherche d’une quelconque réponse à une question insoluble. Depuis que Sharon avait prit conscience qu’elle partageait ses émotions avec quelqu’un d’autre, les points d’interrogations se bousculaient dans sa tête. Pourquoi ? Depuis quand ? Et surtout, qui ? Qui partageait ses impressions, ses techniques, son savoir avec elle ? Qui puisait dans son âme pour lui prodiguer ces appuis inattendus ? Et était-ce plutôt elle, qui pillait les esprits des autres à la recherche de cette assistance ? Elle frissonna, malgré la chaleur pesante qui tombait sur ses épaules comme une chape de plomb. Quelle horreur ! Fouillait-elle les sentiments des autres pour pouvoir y trouver de l’aide ? Elle refusait d’envisager cette possibilité, mais elle ne cessait d’y songer. Elle se savait très réceptive, sensible et à l’écoute, mais elle pensait que Rosa la dépassait largement à ce niveau-là. Était-elle plus forte émotionnellement que sa sœur ? Était-ce cela qui expliquer ce… don, étrange ? Elle ne savait plus quoi penser. De son côté, Rosa se tracassait pour Sharon. Elle ressentait les doutes et les questions de la jeune fennec comme si c’était les siens. Elle était une sorte de diapason, elle percevait les moindres troubles de ceux qu’elle approchait, inconnus ou non. Et là, des vagues puissantes de stress et de peur émanait de sa camarade de portée. Elle se colla à elle le plus possible, comme pour lui dire ‘‘Ne t’inquiètes pas. Moi, je serais toujours là pour toi, pour te soutenir dans tes plus dures décisions et dans tes plus terribles moments.’’ Mais elle se contentait de rester fourrure contre fourrure avec Sharon, respectant le silence religieux qui régnait autour d’elles. Le vent avait cessé de souffler et de faire bruire les feuilles au sommet des arbres. L’herbe qui auparavant se courbait en millier de petites vagues restait immobile, figée comme une statue de pierre. L’onde calme du lac stagnait sans même un léger clapotis. Si elle l’avait pu, Rosa aurait aussi attrapé les insectes qui bourdonnaient au-dessus pour les empêcher de faire le moindre bruit. Les deux femelles étaient tellement perdues dans leur rêverie qu’elles ne virent pas le Soleil se coucher. Alors qu’il enflammait la surface de l’eau, teintait les plantes de pourpre et les troncs d’arbres d’or, les fennecs fixaient toujours un point dans le vague, sans prendre le temps d’admirer la splendeur du crépuscule. Puis, lorsque les premières étoiles brillèrent dans le firmament, Rosa sortit de sa torpeur. Elle se secoua légèrement, puis regarda autour d’elle d’un air perdu et apostropha Sharon. — Hé, hé ! On est resté toute la journée ici ! Faut qu’on bouge ! L’autre cilla, hébétée. Puis, en prenant conscience des dernières lueurs du jour s’éteignant à l’horizon, elle se leva brusquement. — Vite ! Allons-y ! Les deux renardes n’avaient pas fait une demi-heure de marche qu’une forme sombre surgit dans leur champ de vision. Elles hurlèrent en la percutant. Un ‘‘oufff !’’ étouffé leur répondit. Qui ou quoi qu’était la silhouette noire, elle n’avait pas apprécié le choc reçu. Les deux sœurs voulurent profiter de sa désorientation pour s’éclipser, mais une patte fine et musclée leur barra la route. — Vous ! On vous a cherché partout ! Où étiez-vous ? Euryalée ! s’écria mentalement Sharon. Elle était accompagnée de Deïlf, qui souriait d’un air narquois. Comme d’habitude. C’était Euryalée qui avait reçu le coup. Le souffle encore coupé, elle reprit sa respiration avec quelques hoquets entrecoupés de grognements. Sharon se retrouva face à un dilemme. Elle ne pouvait pas parler à sa mère de la Grand Oasis, car c’était un endroit secret. Seule sa sœur était au courant, car la jeune femelle avait une confiance absolue en elle. Elle se rappelait encore l’expression touchée de Rosa lorsqu’elle lui avait raconté sa trouvaille, comment elle avait été réchauffé du bout du museau jusqu’au bout de la queue par le fait que sa camarade de portée la trouve digne de sa confiance. Mais Sharon ne pouvait se risquer à dévoiler le secret de la Grande Oasis à Euryalée, et encore moins à Deïlf – il filerait aussitôt y faire un carnage ou embêter ses sœurs lorsqu’elles s’y rendraient. Quant aux autres membres… eh bien, ils seraient plus qu’heureux d’utiliser ce nouveau point d’eau et d’en informer le reste des Familles. Leur cachette ne serait plus. Elle serait devenue un lieu de rassemblement, où l’on partagerait ses ragots avec tout le monde, sans la moindre discrétion. — Nous… commença Rosa, qui ne savait quoi dire. Les petites détestaient mentir. Néanmoins, à situation désespérée, remède désespéré. — Nous sommes parties chasser. On n’arrivait pas à dormir, dit Sharon avec tout l’aplomb et la conviction qu’elle avait. Alors on a décidé de s’entraîner un peu. — Et où sont vos prises ? lâcha Deïlf, qui ne les croyait pas d’un traître mot. Il les toisa sévèrement, mais Euryalée le foudroya du regard. Bien, pensa Sharon avec une féroce satisfaction. Ca va rabattre le caquet de cet idiot. Néanmoins, les deux fennecs étaient piégées. Que répondre ? — Nous… nous les avons mangé, Maman, avoua Rosa en fixant le sol d’un air penaud. Elle jouait la comédie à la perfection. Sharon était ébahie. Pour un peu, je douterais de sa fidélité, songea-t-elle amèrement, avant de se reprendre : sa sœur était la plus honnête des femelles du monde. Enfin, quand elle n’avait pas à mentir. Bien pensé, n’empêche, songea-t-elle. Euryalée hocha la tête d’un air sec. — Bien, d’accord. Mais vous n’avez pas intérêt à vous échapper de nouveau sans rien dire. Aujourd’hui est une grande nuit. Venez. Et elle fit volte-face, sa queue souffletant les visages de ses filles. Elle s’élança dans le désert. Deïlf allait la suivre après un énième regard de défi à ses sœurs, lorsque Rosa s’avança d’un pas et lui demanda : — Qu’est-ce qu’elle voulait dire ? — Tu l’apprendras bien assez tôt, se contenta-t-il de rétorquer, daignant à peine regarder sa camarade de portée. Puis il s’engagea dans le sillage de sa mère. Les deux autres étaient sidérées par son comportement. — Ce qu’il est agaçant ! grogna Sharon en trottinant aux côtés de Rosa. — Il est comme ça, point. On ne peut rien y faire, répondit cette dernière en haussant les épaules. Le pas de Sharon devenait de plus en plus raide, tant la blessure la faisait souffrir. Elle avait si mal qu’elle boitait bas. Puis, se décidant à voir se qui clochait, elle tourna le museau le plus possible. Une odeur métallique la prit aux narines. Elle faillit s’étouffer. Retenant une exclamation apeurée, elle lança à voix basse : — Rosa ! Je saigne ! — Non ? Elle se pencha sur l’omoplate de Sharon et écarquilla les yeux en la voyant pleine de sang. Une plaie béante s’ouvrait, en forme de… mâchoire de renard ! — Ce n’est pas possible ! — Quoi ? Qu’est-ce qui se passe ? Je vais mourir ? couinait la jeune femelle, contenant un cri terrifié. L’angoisse montait et elle ne pouvait même pas tourner le cou assez pour voir la morsure elle-même. — C’est un renard qui t’as mordu. — Hein ? Un fennec ? — Non… la taille de la mâchoire est trop grande. Et les crocs n’ont pas la même forme que les nôtres. Ce n’est pas un fennec, mais bien un renard, j’en suis certaine ! Sharon était abasourdie. Elle pensait que les fennecs étaient les seuls races de renards au monde. Apparemment, elle s’était trompée. Mais cela veut dire… Elle n’alla pas au bout de sa pensée. Si c’était un renard autre que fennec qui l’avait mordu, alors c’était que son camarade de sentiments se trouvait n’importe où, mais pas ici. Donc, elle avait très peu de chances de le retrouver, et par là, de faire cesser ces échanges mentaux. Rosa la considéra avec inquiétude. — Il faut arrêter l’hémorragie, ou sinon Papa et Maman, mais aussi Deïlf et tous les autres vont se rendre compte que tu as été attaquée par un autre renard… Scorpion et scarabée ! pesta-t-elle intérieurement. Elle ne pouvait pas se justifier sur une telle blessure sans avouer ce qu’il lui était arrivé. Et elle redoutait la réaction des autres membres de la Famille. Et, si une petite voix dans sa conscience lui murmurait qu’il fallait leur dire, elle la fit taire, ne voulant pas attirer les regards sur elle. En attendant, il fallait trouver quelque chose pour stopper la coulée de sang, qui commençait à se répandre entre ses poils. Rosa attrapa une branche de buisson et arracha une à une les feuilles, sans prendre le temps de gémir face à la douleur causée par les épines. Sa sœur souffrait encore bien plus que cela, et sa pudeur lui interdisait de se lamenter à sa place. Elle ramassa le tas de feuilles et l’arrangea pour qu’il fasse une sorte de bouquet, qu’elle passa sur la robe de Sharon. Elle pressa la plaie, et les plantes se colorèrent de rouge. Elle appuya encore, et sa camarade de portée réprima à grand peine une plainte. Puis, peu à peu, le flot écarlate se tarit. Les feuilles, imbibées de sang, gouttaient sur le sable, aussi Rosa s’en débarrassa. Une fois que le liquide vital eut coagulé, collant le beau pelage lissé de Sharon, elle lécha la plaie afin de la nettoyer, ainsi que le reste du sang qui avait coulé le long de la patte de sa sœur. Alors qu’elle finissait tout juste le lissage des poils récalcitrants de Sharon, Deïlf surgit, l’air furieux. Il cracha, les griffes plantées dans le sol comme pour éviter qu’elles ne finissent dans les flancs soyeux de ses sœurs : — On vous a dit de vous dépêcher ! Grouillez-vous, ou sinon on partira sans vous ! Il allait faire demi-tour lorsqu’il leva le museau et huma l’air bruyamment. — Pourquoi ça sent le sang ? Les deux femelles tressaillirent. Sharon jeta un regard suppliant vers son frère, comme pour lui demander de partir sans se poser de questions. Rosa se contenta simplement de dire : — On a trouvé une dépouille de proie pas loin. Un charognard se sera vite fait de dévorer ça. Deïlf renifla, sceptique, mais un appel lointain résonna. — Deïlf ! appelait Euryalée. Rosa ! Sharon ! Rappliquez ici immédiatement ! — Oups ! On doit y aller, réussit à articuler Sharon avec une certaine ironie, ce qui était admirable vu qu’elle souffrait le martyre. Sinon, Maman vas nous arracher les poils du derrière ! Allez, file, on te suit ! Son frère la dévisagea un instant, mais le cri l’apostropha une nouvelle fois. Le fennec se détourna et courut rejoindre sa mère. — J’arrive, Maman ! hurla-t-il. Il disparut derrière des buissons épineux décharnés. Les deux renardes soupirèrent de concert, puis Sharon approcha de sa sœur. — Merci ! Je ne sais pas comment te remercier. Ma gratitude ne me semble pas suffire. — Mais si, ça ira, la rassura-t-elle. Allons-y. Rosa tenta de caler son pas sur celui trébuchant de Sharon, qui, elle, essayait de marcher le plus vite possible. La trace de morsure était à peine visible, entre sa fourrure épaisse, aussi, lorsqu’elle arriva à la hauteur de sa mère qui les attendait de patte ferme, elle ne repéra pas la marque encore rouge de sang. — Eh bien, vous ne vous êtes pas pressés, les tança-t-elle. Elle agitait sa queue furieusement, signe qu’elle était mécontente. Vous croyez qu’on a que ça à faire ? Allons, avancez ! Elle les poussa du museau. Les trois petits piaillèrent, avant de s’éloigner au petit trot. Sharon tentait de cacher son boitillement, mais rien n’y faisait. Euryalée repéra tout de suite le pas cahin-caha de sa fille. Elle s’approcha d’elle, et lui dit, d’un ton inquiet : — Sharon, ça va ? Tu boites. L’autre ouvrit la gueule pour répondre, avant de se raviser. Que dire, à part qu’un renard invisible s’était invité près d’elle pour se battre et la mordre ? ¬¬— Je… je ne sais pas. J’ai dut me faire mal en marchant, sans doute. — Ou tu as une épine dans la patte ? Tu veux que je regarde ? — Non… non, ça ira. — J’espère. Elle lécha l’oreille de sa petite avant de continuer : Tu vas avoir besoin de toutes tes forces pour le voyage. Sharon se mit aussitôt aux aguets. Le voyage ? Elle voulut questionner sa mère, mais celle-ci lui lança un dernier regard compatissant avant de rejoindre sa place en tête de groupe. Résignée, la jeune femelle soupira. Ils arrivèrent enfin à leur tanière. À l’entrée, Marzel attendait. Il soupira de soulagement en voyant ses enfants et sa compagne. Autour de lui, Zéphyr et Éléazar attendait. Phylis était aussi là, malgré son ventre rond et lourd. Cette dernière lécha la truffe de sa sœur lorsqu’elle parvint à sa portée, épuisée et les poils en bataille. Elle entreprit aussitôt de se les laver, et Sharon remarqua alors qu’ils étaient tous propres. Pas un grain de sable n’était prit dans leur fourrure. En pensant au sang séché et aux saletés qui faisait des croûtes et des bourres peu ragoûtants dans son pelage, elle frémit de honte. Pourtant, une question tournait dans sa tête, harassante, comme une mouche qui aiguillonnerait son oreille : Pourquoi sont-ils tous rassemblés ? Elle considéra tous les adultes avec un mélange de curiosité et de peur. Que veulent-ils ? Qu’allons-nous faire ? — Sharon, Rosa, commença leur père, j’ai la grande joie de vous annoncer qu’aujourd’hui est une grande nuit. Il reprenait les mêmes mots qu’Euryalée il y a quelques instants. Mais qu’est-ce que c’est, cette fameuse ‘‘grande nuit’’ ? se questionna Sharon, interloquée. Marzel posa son regard sur chacun de ses petits et attendit un moment qui semblait durer une éternité à sa fille. Puis il dit enfin : — Aujourd’hui, vous aurez l’honneur d’être convié au Tournoi de Chasse !
*** *** ***
Le quoi ? songea Sharon. Rosa semblait toute aussi perdue. Elle leva les yeux vers son père, curieuse de voir la suite. — Qu’est-ce que le ‘‘Tournoi de Chasse’’, papa ? demanda-t-elle, après un instant d’hésitation. Marzel la regarda tendrement. — C’est une réunion de paix, où toutes les Familles sont conviées, afin de disputer plusieurs parties de chasses amicales et remporter le concours. — En ce moment, ce sont ces traîtres de la Famille des Cactus qui détiennent la première place, le coupa Éléazar, grincheux. Et il en va ainsi depuis quatre Tournois, déjà. J’espère qu’ils ne vont pas gagner encore une fois. Ca m’agace. Sharon comprenais le ressentiment de son grand-père. Ayant affronté la Famille des Cactus en combat et lutter contre elle pendant des années, il ne pouvait supporter l’idée que sa rivale soit meilleure que lui en autres catégories. — Ca ne serait jamais arrivé si j’étais encore chef. Si certains, dont Deïlf, se crispèrent à cette remarque, la plupart l’ignorèrent. Éléazar était connu pour son intransigeance. Finalement, se dit Sharon, je suis bien contente de ne pas être née sous son joug. Elle n’osait imaginer à quoi ressemblait la Famille à l’époque où le vieux fennec la dirigeait. Elle en frissonna. — Hmm… Certes, grogna Marzel, quelque peu mécontent de la pique, qui signifiait clairement qu’il était responsable de la déchéance de sa Famille. Mais nous pouvons encore nous rattraper et saisir la première place, surtout avec de si talentueuses chasseresses dans nos rangs. Et il couva ses filles d’un regard plein de fierté. Elles se sentirent frémir de joie. Sharon nota tout de même l’air vexé de Deïlf, et se souvint que leur père avait parlé de ‘‘chasseresses’’, non de ‘‘chasseurs’’. Elle secoua la tête, amusée. Quel sacré fennec, ce Deïlf, tout de même ! Éléazar grommela une réponse, comme s’il était peu convaincu. Mais les deux jeunes femelles se moquèrent bien de son ‘‘rabat-joisme’’. Elles savourèrent le compliment, tout simplement. Enfin, ce fut l’heure de partir. Le point de rendez-vous se trouvait au cœur des terres, là où chacune des Familles pouvait rejoindre les autres sans passer par d’autres territoires. Phylis voulut les accompagner. Elle protestait, disant que ‘‘si je ne participe même pas, alors je veux au moins venir vous regardez.’’ Mais Marzel lui fit comprendre doucement que ses petits passaient avant tout, et que s’il ne pouvait pas la retenir, alors l’un d’entre eux resterait auprès d’elle pour la surveiller. Euryalée dut convaincre sa sœur que tout irait bien et qu’elle lui raconterait tout, pour qu’enfin la jeune mère, toutefois sceptique, les laisse partir sans elle. La mère de Sharon, Deïlf et Rosa promit à sa camarade de portée de lui dire les salutations de sa part à son compagnon, resté dans sa Famille natale. Phylis était très gentille. Sans doute Rosa avait reçu sa réceptivité, car elle lui ressemblait énormément. Physiquement, Phylis semblait bien fragile, mais Sharon savait qu’une fennec forte se cachait sous cette apparente douceur. Néanmoins, elle ne put quitter la tanière sans appréhension pour la renarde. Un mauvais pressentiment l’envahi. Elle croyait de toutes ses forces que c’était encore les émotions de l’autre renard, mais elle savait que c’était elle, et elle seule, qui recevait cette angoisse. Enfin, ils entamèrent la longue progression dans le sable. Il était à peine minuit lorsqu’ils arrivèrent au lieu de rassemblement. Sharon, son frère et sa sœur observèrent l’immensité des animaux réunis, qui discutaient avec véhémence des prochaines épreuves. Une vaste cuvette servait de place pour toutes les Familles. Le sable tassé prouvait les nombreux passages des canidés à cet endroit. Aucun buisson décharné ou épineux, juste des rochers épars, servent de reposée ou d’ombre aux plus âgés des leurs. Toutes les Familles étaient là : la Famille des Canyons, reconnaissables avec le nombre important de membres qu’elle avait, la Famille des Oasis, discrète et réservée, la Famille des Pierres, aux muscles puissants et râblés, la Famille des Plaines, aux petits fennecs taillés pour la vitesse. Il ne restait plus que la Famille des Dunes, déjà arrivée, et la Famille des Cactus. Cette dernière se fit désirer. Des murmures vaguement désapprobateurs retentirent autour des membres de la Famille des Dunes lorsqu’ils se frayèrent un chemin à travers la cohue pour se trouver une place. La plupart des mauvaises langues médisaient sur le retard de la dernière troupe, mais Sharon n’y prêtait guère attention, tout comme ses camarades de portée. Ils étaient bien trop émerveillés par ce Tournoi de Chasse et tous les renards assemblés dans cette combe. En revanche, les adultes ne se firent pas prier pour en discuter. Une fois bien installer sur leur litière de fortune, faite à la va-vite avec du sable ramené sous eux, ils parlèrent vivement des raisons pour lesquelles la Famille des Cactus était à la traîne. — Peut-être qu’ils ont eu un empêchement de dernière minute, suggéra Marzel, songeur. — Mouais, fit Éléazar, méfiant. À mon avis, ils mijotent encore un sale coup… — Oh, Éléazar ! s’exclama Euryalée, indignée. Ils ont peut-être des problèmes… J’espère que Sheïla va bien ! Le grand-père grogna dans sa moustache. Sheïla, jeune fennec de la Famille des Cactus, était une grande amie d’Euryalée. Et il n’approuvait guère cette entente. Mais, sa fille étant aussi têtue, voir plus, que lui, elle avait su lui tenir tête alors qu’il s’opposait à cet amitié, selon lui ‘‘sans avenir’’. Ainsi, il avait laissé passer la proie, même s’il est toujours assez mécontent du résultat de ce conflit. ¬— Eh, les voilà ! s’écria soudain Zéphyr. Sharon le dévisagea, étonnée. Si Zéphyr semblait ne pas apprécier la conversation, elle avait mit sa contrariété sur son caractère difficile. Mais cette exclamation semblait empreinte de soulagement. C’était assez surprenant, voire même circonspect. En quoi le jeune animal serait-il inquiet du sort de renards n’appartenant même pas à sa Famille ? Mais les adultes ne firent pas attention au ton de sa remarque. Ils tournèrent de concert leurs visages vers les nouveaux venus, curieux de voir ce qu’il leur était arrivé. Sharon, Deïlf et Rosa, qui n’avait encore jamais vu les membres de la Famille des Cactus, se pressèrent les uns contre les autres pour mieux les regarder. En tête du groupe, un imposant mâle au pelage beige sombre et brun. Le chef, se dit la fennec. Ses prunelles vertes brillaient de fierté, et il considérait chacun des canidés présents avec un mélange de sentiments que Sharon ne réussit à démêler, mais qu’elle sentait que cela ne s’agissait ni de dédain ni de froideur. Il ne semblait pas avoir peur de l’assemblée, marchant avec majesté entre les corps serrés dans la cuvette. À son côté, une petite femelle avançait avec grâce. Ses yeux étaient d’ambre sombre, presque rouge. Sa longue fourrure mouchetée de crème avait la couleur du sable illuminé par le Soleil de l’aurore. Ensuite, venait leurs petits. Une portée de jeunes renardeaux, sans doute trop jeunes pour participer au Tournoi mais trop turbulents pour être restés sans surveillance dans leur tanière, se chamaillaient gentiment juste derrière eux. De plus grands renards, trois mâles et une femelle, accompagnaient une autre femelle qui semblait âgée, et une autre qui devait bien avoir l’âge d’Euryalée. Sharon supposa qu’il s’agissait de Sheïla, l’amie de sa mère. Supposition qui se confirma lorsqu’elle nota l’air soulagé de cette dernière. Enfin, un vieux mâle grincheux rampait presque à l’arrière de la petite troupe. Sa gueule ouverte signifiait sans doute qu’il parlait, ou plutôt qu’il se plaignait vu le regard agacé que la femelle qui trottinait à côté de Sheïla lui lança. Sharon connaissait ce renard, plein de rancœur envers la Famille des Dunes ; celui que son grand-père, Éléazar, avait combattu lors de leur guerre de territoire. Régulian ! Malgré elle, elle glissa un regard vers son aîné, qui se crispa. Ses yeux plissés luisaient d’une flamme de colère. Ah. Espérons qu’il ne va pas faire un carnage parce que son pire ennemi est venu lui aussi, songea la jeune renarde. Les retardataires s’assirent sous un rocher à l’opposé de celui où s’était installé la Famille des Dunes. Lorsque ils furent prêts, assis à leur place, quelques fennecs commencèrent à bouger tandis que les autres se figeaient. Un grand silence se fit dans la combe. Marzel s’agita. — Je dois y aller, lâcha-t-il en s’éloignant. Les chefs vont lancer le début des festivités, et je ne dois pas manquer à ma tâche. Et il disparut dans la marée des robes argentées par le clair de Lune. Sharon soupira. Son cœur battait la chamade et ses poils s’étaient hérissés. Aujourd’hui, elle allait disputer un concours de chasse avec toutes les autres Familles, pour la première fois de sa vie. Elle était terriblement excitée, et n’était pas la seule. Rosa et Deïlf se trémoussaient sur leur litière de sable, si bien qu’Euryalée dut les arrêter en passant sa patte sur leur épaule. Elle les foudroya du regard, et ils se turent, malgré les frissons de nervosité qui leur parcourait le corps. Sharon entendit un vague murmure, suivit d’un ‘‘Chut !’’ sévère. Un renard grondait doucement ses petits qui se disputaient, et tendit une patte vers une large pierre plate située au centre de la cuvette. En plissant les yeux, la jeune fennec vit des petites taches de fourrures : les chefs des Familles se rassemblaient afin de parler. — Familles ! Nous voici réunis à nouveau pour une autre réunion de Tournoi de Chasse ! lança l’un d’eux, le chef de la Famille des Pierres. — Pour l’instant, ce sont les membres de la Famille des Cactus qui détiennent la première place, renchérit son camarade des Plaines. Mais qui sait ? Peut-être que d’autres les détrôneront ? — J’ai entendu parler de jeunes prodiges dans différentes Familles, glissa le meneur de la Famille des Canyons. Mais l’un d’entre eux, notre favoris – pardon, notre favorite – mérite plus que tout notre considération, car ses talents sont incroyables pour son jeune âge. Que Sharon, de la Famille des Dunes, vienne donc prendre place parmi nous ! Sharon en fut stupéfaite. Gueule bée, elle sentait son pelage chauffer tandis que tous les regards, surpris et émerveillés, se posaient sur elle. Doucement, elle ressentit une petite pression dans son dos. C’était Euryalée, qui la poussait vers la pierre plate, l’œil brillant. ¬ Vas-y, souffla-t-elle. C’est ton heure de gloire, profite-en ! Rosa hocha imperceptiblement la tête, comme pour encourager sa sœur. Quant à Deïlf, jaloux, il se détourna. Lentement, la jeune femelle sortit de sa torpeur. Elle posa une patte devant l’autre, l’air toujours aussi ébahi, et les autres fennecs s’écartèrent de son chemin. Elle s’engagea aux côtés des chefs, qui la dévisageaient avec respect. Elle s’assit près d’eux, essayant en vain d’ignorer les clignements d’yeux admiratifs des autres animaux. — Sharon est l’unique fennec à réussir parfaitement les gestes de chasse lors de sa toute première leçon, continua le chef des Canyons. C’est pour cela que tous nos espoirs reposent sur elle. Fera-t-elle gagner sa Famille ? — Nous verrons cela, coupa le dirigeant de la Famille des Cactus, visiblement mécontent. Espérons juste que le chef Marzel ne nous a pas menti à son sujet. Et il décocha un regard assassin à ce dernier, qui lui répondit par un même éclat de défi. Les deux canidés s’affrontèrent longuement ainsi, puis Sharon décida de prendre la parole : — Mon père a dit la vérité. Pourquoi mentirait-il ? Cela ne l’avantagerait guère, car lors de la chasse, si je n’étais pas été aussi douée, je n’aurais pas attrapé autant de proies qu’il vous l’a rapporté. Alors, quel bien il en retirerait ? Les autres en eurent le souffle coupé. Rares étaient les renardeaux qui osaient braver le jugement d’un chef – et encore plus d’un chef d’une autre Famille. Mais son raisonnement était logique. Cela lui attira encore plus d’admiration, et elle s’en serait bien passé. — Comment… s’étrangla le meneur de la Famille des Cactus, mais celui des Canyons le fit taire d’un mouvement de queue. — Il suffit, chef Caely, dit-il d’un ton sec. Tu es très intelligente, Sharon continua-t-il, impressionné même s’il tentait de le dissimuler. Retourne donc à ta place. Elle ne se fit pas prier. Elle ferma les yeux une fois installée. Elle se souvenait encore de la force qui l’avait envahi alors qu’elle affrontait ledit chef Caely. Elle la sentait encore, là, sous sa peau, qui vibrait et courait dans ses veines. Celui qu’elle décida d’appeler son ‘‘récepteur’’ avait encore prêté ses sentiments. Mais cette fois, elle s’en était servie sans ménagement. Et cela avait payé. Elle était même plutôt contente du résultat. Satisfaite, elle écouta les dirigeants des Familles expliquer le programme de la nuit. — D’abord, nous commencerons par l’épreuve nommée : ‘‘la Chasse Classique’’, expliqua le chef de la Famille des Oasis. Dans un temps imparti, les participants devront retrouvés un maximum de proies de la même race et le rapporter aux examinateurs situé sous ce gros rocher (il tendit la queue vers un immense roc où était aligné des fennecs à la mine sévère). Les dix premiers qui auront trouvé le plus de spécimen intéressants, jugés chacun sur leur poids, leur santé et leur goût, gagneront. Sharon sursauta. Le goût ? Les examinateurs allaient donc goûter chacune des proies ? Eh bien, au moins, ils ne risquent pas d’avoir faim, ironisa-t-elle intérieurement. En entendant un bruit de déglutition près d’elle, elle vit que Deïlf bavait d’envie, en regardant les renards postés sous le surplomb rocheux. Ventre à pattes ! s’amusa-t-elle. — Ensuite, aura lieu l’épreuve dite ‘‘Caché-Traqué’’, poursuivit un autre chef. Un proie sera camoufler dans le désert, et les participants devront la pourchasser, suivre sa piste et nous la rapporter. Les cinq premiers qui la rapportent gagneront. — Puis, reprit Marzel, débutera l’épreuve appelée ‘‘Premier Arrivé, Premier Servi’’. Cette épreuve, est une question de rapidité autant que d’habileté. Les participants vont devoir attraper deux proies, et deux uniquement. En utilisant uniquement leurs muscles, en courant, car il est interdit de faire chuter leurs camarades, ou autres bêtises de ce genre. Un parcours d’obstacle est spécialement destiné pour cette épreuve. Les deux premiers gagneront. — Enfin, conclut son camarade des Plaines, viendra l’épreuve ‘‘Le Meilleur Chasseur’’. Les participants finalistes vont avoir un temps imparti, et devront rapporter un maximum de proies pendant ce temps. Elles seront jugées sur leur poids, leur santé, leur goût, mais aussi sur leur rareté et leur dangerosité. Le premier gagnera le Tournoi ! — Des pauses seront régulièrement faite entre les épreuves, dit un autre. Pour votre inscription, rendez-vous sous le rocher, et les examinateurs vous noteront. Il est formellement interdit, de tricher, de blesser, voire même de se disputer avec les autres concurrents. Quiconque ne respectant pas ce règlement sera sévèrement puni et banni du Tournoi. — Maintenant que vous savez tout… Que le Tournoi… COMMENCE ! clamèrent les chefs à l’unisson. Aussitôt, les fennecs se pressèrent vers la rangée de renards sous le roc. Sharon, Deïlf et Rosa furent bousculés dans tous les sens. — Qu’est-ce… qui… Aïe ! s’écria cette dernière lorsqu’un petit s’écrasa sur sa patte. Il bredouilla aussitôt une excuse avant d’aller rejoindre au galop ses parents qui le fixaient d’un air mécontent. Rosa soupira. — Ah ! ces renardeaux… Bon, on va s’inscrire ? demanda-t-elle en s’éloignant déjà pour rejoindre les examinateurs du Tournoi de Chasse. — Attends ! cria sa sœur, mais trop tard : elle était déjà hors de vue. Sharon sentit son cœur se serrer. Où retrouver Rosa ? La masse des corps formait un océan impossible un franchir. Elle appela son nom, sans succès. Avait-elle perdue sa camarade de portée ? — Arrêtes de t’inquiéter, rouspéta une voix de mâle près d’elle. Ca ne sert à rien. Sharon fut surprise en reconnaissant Deïlf. — Comment sais-tu que je suis inquiète ? demanda-t-elle, méfiante. Était-ce possible qu’il soit son récepteur ? Pourtant, il se contenta de dire : — Parce que tu tends tous tes muscles. Et que tu pues la peur. Arrêtes de poser des questions. Si Rosa a dit qu’elle allait s’inscrire, alors tu la retrouveras sous le rocher. Son raisonnement logique détendit un peu sa sœur, mais une légère angoisse subsistait quand même dans sa tête lorsqu’elle le suivit à travers les canidés. Deïlf et elle se retrouvèrent vite sous le surplomb rocheux, et elle fut soulagée de voir Rosa, occupée à parler de son inscription à un examinateur. — Nom ? Famille ? Âge ? Sexe ? — Rosa, Famille des Dunes, 7 Lunes, femelle. L’animal se retourna pour graver quelque chose sur une pierre plate avant de dire : — Inscription faite. Bonne participation. — Merci ! Elle scruta ensuite la foule et son regard s’éclaircit en voyant son frère et sa sœur. — Sharon ! Deïlf ! Par ici ! Elle se fraya un chemin jusqu’à eux, puis les guida de force vers un fennec où une jeune renarde attendait son enregistrement aux côtés de Zéphyr. Elle portait l’odeur de la Famille des Cactus, pourtant elle collait de près le mâle, qui semblait heureux de la voir. — Leïla, j’espère sincèrement que tu vas remporter une nouvelle fois ce Tournoi, disait-il en lui léchant l’oreille. — J’espère aussi, avoua-t-elle en baissant la tête d’un air gêné. Sharon trouvait les deux renards bien trop proches l’un de l’autre. Elle allait en faire la remarque au duo, mais Zéphyr la repéra aussitôt et dit, d’un ton joyeux et entraînant : — Sharon ! Je te présente Leïla, la fille de Sheïla, l’amie de ta mère. Leïla, voici Sharon, ma cousine. — Salutations, fit froidement Sharon. Leïla cligna des yeux, comme surprise du ton dédaigneux de la petite femelle. — Salutations, répéta-t-elle, mais Sharon était déjà partie s’enregistrer. Comment Zéphyr pouvait-il rester aussi proche d’une membre de la Famille des Cactus ? Certes, il n’avait aucune raison de le faire. Mais il risquait de s’attirer les foudres d’Éléazar, qui n’aimait guère cette Famille. Zéphyr était-il donc inconscient de ce qu’il faisait ? — Eh, oh ! J’ai demandé votre nom, lâcha soudain une voix, perçant la rêverie de Sharon. — Ah ! oui, désolée, je pensais… répondit-elle distraitement, confuse, en fixant toujours le drôle de couple formé par son cousin et Leïla. Je m’appelle Sharon. — Famille ? Âge ? Sexe ? — Famille des Dunes, 7 Lunes, femelle. Deïlf détailla lui aussi son âge, sa Famille et son sexe puis l’examinateur chargé de les inscrire dit enfin : — Inscription faite. Bonne participation. Les deux compères rejoignirent leur sœur qui les attendait impatiemment puis ils se dirigèrent tous les trois vers le premier terrain servant à l’épreuve de la ‘‘Chasse Classique’’. — Bien, fit le chef Caely, une fois tous les concurrents assemblés au début du parcours. Vous allez devoir chasser des gerbilles. Uniquement ce type de proie sera répertorié par nos examinateurs. Ensuite, les dix premiers seront nommés pour l’épreuve suivante, dite de ‘‘Caché-Traqué’’. Prêts ? — Oui ! rugirent tous les participants en chœur. — Alors… Que l’épreuve dite de la ‘‘Chasse Classique’’… COMMENCE ! Aussitôt, tous les fennecs foncèrent et s’éparpillèrent dans la zone de chasse. Ils étaient des dizaines et des dizaines ! Sharon eut peur en en voyant certains qui revenait déjà avec de grosses gerbilles dans la gueule. Puis se rassurant en observant les examinateurs qui hochaient négativement de la tête à chacune des prises, car ce n’était pas des gerbilles, mais des gerboises, espèces fortement proches les unes des autres. Sharon se demandait bien comment les gerbilles ne pouvaient pas être effrayées par autant de fennecs les pourchassant. Puis elle se rendit compte que le territoire était assez vaste, et bientôt, elle perdit de vue la plupart des concurrents. Son frère et sa sœur restaient collés à elle, si bien qu’elle leur souffla un sec : ‘‘Séparons-nous !’’ pour qu’ils hochent la tête en signe d’approbation et file chacun de leur direction. Enfin, après quelques minutes de traque appliquée, Sharon remarqua une odeur bien connue. Une gerbille ! Et une grosse, avec ça ! Elle se tapit, prête à bondir. Aussitôt, le savoir de son récepteur l’envahi et elle tua sa proie comme si elle savait le faire depuis toujours. Elle en repéra presque tout de suite une deuxième, puis encore une autre. Elle attrapa les deux camarades rongeurs qui farfouillaient tranquillement le sol à la recherche de nourriture, sans voir le danger qui les guettait. Elle ramena son chargement par leur queue, et les fit examiner. Très impressionnés, le jury la fit monter directement dans les premières places. Contente, elle se lança à la recherche d’autres cibles. Enfin, enfin ! Pour une fois, je vais pouvoir faire quelque chose de cet étrange don de sensibilité, se dit-elle. Elle plongea presque le museau dans le sable et suivi une piste faible. Mais soudain, une odeur inconnue étouffa ses narines, et elle perdit l’effluve de la gerbille. Scorpion et scarabée ! Comment je vais faire pour retrouver cet animal avec ce fumet qui me gâche l’odorat ? pesta-t-elle intérieurement. Elle ne doutait pas que cette odeur venait de son récepteur. — Évidemment, faut que cet abruti me gêne juste au moment où je trouve ce lien utile ! cracha-t-elle. — Qu’est-ce que tu as dit ? Surprise, elle tourna la tête… et se retrouva truffe à truffe avec Zéphyr et Leïla, qui la dévisageaient avec étonnement. Quoi ? T’es encore avec cette Leïla ? se retint de dire Sharon. Elle ne voulait pas faire mauvaise impression, même si elle trouvait que Zéphyr tournait un peu trop autour de la jeune femelle. — Rien, marmonna-t-elle. Allez, je dois y aller, le concours n’est pas encore fini. Et elle plongea derrière des buissons, laissant en plan le duo. Elle captura encore quelques gerbilles, même si elles étaient largement moins bonnes que ses trois premières prises. Néanmoins, elle resta dans les dix choisis du classement, avec Rosa. Deïlf, lui, n’était pas prit. Grincheux, il marmotta contre le jury pendant tout le reste du temps. La pause fut décrétée. Rosa et Sharon se rejoignirent, trop heureuses de se détendre et de discuter des épreuves à venir. — Tu savais que tu es en tête du classement ? lâcha aussitôt Rosa en apercevant sa sœur. — Ah bon ? répondit cette dernière, surprise. — Oui, même que tu as reçu les félicitations du jury… Moi, je ne suis que sixième, conclut tristement son interlocutrice, tête basse. — Allons, c’est très bien tout de même ! s’écria Sharon, peinée pour sa camarade de portée, mais ne voulant pas qu’elle se décourage. — Tu crois ? — Mais oui ! insista-t-elle. Si je pouvais, je te donnerai même ma première place, lui glissa-t-elle plus bas. Le regard de Rosa s’illumina. — Merci, mais non. Tu le mérites plus que moi. Tu te trompes ! pensa-t-elle. Elle, elle ne faisait que puiser dans la tête d’un autre. Rosa, elle, avait apprit à la sueur de son front, et donc, devait selon Sharon être à la première place. La deuxième épreuve, l’épreuve dite de ‘‘Caché-Traqué’’, fut décrétée. Les dix premiers fennecs se rassemblèrent sur leur parcours. Sharon repéra tout de suite l’odeur de sa proie, si forte qu’elle se demanda un instant si son récepteur ne lui prêtait aussi son odorat. Puis le chef chargé du lancement de l’épreuve lança le partez et elle se jeta sur la piste olfactive. Elle la suivit à toute allure, soucieuse de gagner. Est-ce moi, ou le récepteur, qui parle ? songea-t-elle soudain. Mais pas le temps de réfléchir. Elle bondit pour passer un rocher et dut ensuite esquiver un buisson d’épineux où elle serait restée coincée, des épines prises dans ses poils. Elle parcourut encore quelques longueurs en évitant sables mouvants, rochers et buissons et réussit enfin à trouver la cachette de sa proie. Dans la terre ! Elle se mit à creuser avec énergie, et ressortie sa tête avec le corps chaud dans sa gueule. Elle se précipita vers les examinateurs et arriva… première. Encore ! Mais elle ne dit rien, se contentant d’attendre le verdict et les autres participants. Enfin, les quatre autres sélectionnés arrivèrent. À son grand soulagement, Rosa était parmi eux. — Rosa ! — Sharon ! Sharon ! Tu avais raison de me dire de ne pas abandonner : je suis deuxième ! — Bravo ! s’écria-t-elle, rayonnante. Sa sœur se trémoussa, heureuse. Elles décidèrent de fêter cela ensemble, et Sharon demanda à Rosa si elles pouvaient manger quelque chose. — Oui, regarde : là-bas, lança celle-ci en tendant la queue vers un petit tas de gibier où les fennecs se servaient après leur effort. Elles se dirigèrent vers les prises et se servirent copieusement. En mordant dans la chair tendre et juteuse d’une gerbille, Sharon questionna sa sœur sur sa manière de traque. — J’ai flairé, c’est tout ! répondit-elle. J’ai vraiment eu de la chance. — Et un très bon museau ! s’exclama Sharon. Les deux camarades de portée rirent, profitant de cet instant pour décompresser et évacuer le stress accumulé durant l’épreuve. Enfin, l’avant-dernier défi démarra. En entendant l’appel de rassemblement, Sharon se sentit poussée dans tous les sens par les fennecs pressés de voir en spectateurs le prochain défi et séparée de sa sœur. — Rosa ? Rosaaa ! cria-t-elle en vain. À la place, elle vit une forme floue se glisser derrière un rocher. Curieuse, elle se fraya un chemin à travers la masse et vit… — Zéphyr ! Le jeune mâle sursauta. Il s’était caché pour parler tranquillement à Leïla. — Zéphyr, qu’est-ce que tu fais ? Je te signale que Leïla est l’une des sélectionnés, elle doit participer ! tempêta Sharon. — Je… bredouilla-t-il. Puis il se reprit, et fronça les sourcils. Tu n’as pas à me parler sur ce ton, Sharon. Je suis plus vieux que toi, j’ai le droit de faire ce que je veux sans avoir à me justifier devant toi. Puis il se plaça juste assez près de Sharon pour que leur truffe se touche. — Et j’encourageai juste Leïla, qui doit disputer cette manche avec toi et Rosa. — Tu sembles bien plus te soucier de sa Famille que de la tienne, Zéphyr, fit froidement la jeune fennec, sans même remarquer le timbre de sa voix. Glacial, dédaigneux, il ne ressemblait en rien à son inflexion mélodieuse et douce. Même Zéphyr en fut stupéfait. — Je… je dois y aller, balbutia Leïla. Elle fila avant que Sharon ne puisse lui dire quoi que se soit. — Voilà, bravo ! s’exclama le cousin de cette dernière. Tu es fière de toi ? Tu as eu ce que tu voulais ? — Ca suffit, cracha-t-elle. Tu ne prends même pas la peine de te demander ce qui se passera si Éléazar se rend compte que tu fréquentes une femelle de la Famille des Cactus. Il t’arrachera tous les poils du derrière avant que tu ais le temps de le dire ! — Je me fiche de ce que pense Éléazar ! s’emporta Zéphyr. Ce vieux croûton est toujours englué dans ses principes. J’aime Leïla, et je ne priverai pas de la voir juste parce qu’un fennec arriéré n’a pas encore oublié sa vieille querelle avec son rival de la Famille des Cactus. — Tu ne penses qu’à toi ! Moi, je m’inquiète pour ce que ce ‘‘vieux croûton’’ comme tu dis, risque de te faire après avoir découvert ta relation avec Leïla, et toi, égoïste comme tu es, tu répliques que tu t’en fiches ! Finalement, je me demande si tu as bien ancré les règles des Familles dans ton pauvre crâne de scorpion, toi qui n’es même pas né en son sein ! La dernière phrase de Sharon blessa Zéphyr au plus haut point. Une lueur terrifiée brilla dans ses yeux, chassant toute colère. — Comment… tu… bégaya-t-il. Puis il s’écarta, ne répondit pas lorsque Sharon, qui voulait s’excuser, l’appela, et fila rejoindre l’assemblée. Il disparut au milieu des fourrures collées les unes aux autres. — Non… murmura sa cousine. Ses mots avaient dépassés sa pensée. Le récepteur avait encore fait des siennes. Elle s’écroula, tête basse. — Je ne voulais pas… chuchota-t-elle. Mais c’était trop tard : l’expression fatidique qu’elle avait lu sur le visage de Zéphyr prouvait que sa gaffe avait fait des dégâts. — Pardonnes-moi… Elle se retint de gémir, de lâcher une plainte déchirante ; à la place, son cœur se brisa et, dans l’ombre, elle pleura.
*** *** ***
L’épreuve dite de ‘‘Premier Arrivé, Premier Servi’’ fut vite terminée. Elle avait esquivé sans mal les obstacles, et rattraper en premier sa proie. Encore une fois, elle fut classée en tête. Encore une fois, elle fut féliciter, notamment par sa sœur qui, elle n’avait pas réussi l’épreuve. Mais au fond d’elle, elle s’en fichait, car elle avait fait un terrible coup de griffe sur le cœur de Zéphyr, et les blessures morales étaient les plus longues à guérir… et les plus longues à pardonner. — Qu’y a-t-il ? questionna Rosa en voyant que sa camarade de portée ne réagissait pas, amorphe, en entendant les vivats que l’on criait pour elle. — Rien… rien. Enfin, la dernière manche arriva. À son grand désarroi, Leïla était l’autre renard sélectionnée. Et elle dévisageait Sharon d’un air dur, comme si Zéphyr lui avait tout rapporté. Ce regard signifiait : ‘‘Tu as fait mal à Zéphyr. C’est à mon tour de te faire souffrir.’’ Sharon frissonna. Une nouvelle guerre menaçait d’éclater entre les Familles des Dunes et des Cactus, juste parce qu’un mot de trop lui avait échappé. Elle s’en voulait tellement qu’elle aurait voulu disparaître sous terre. Elle entendit à peine le cri de lancement de la dernière épreuve que lâcha le chef chargé de l’arbitrage. Elle attrapa peu de rongeurs ; les trois quarts des lézards lui échappaient ; les serpents se glissaient entre ses pattes sans qu’elle ne tente quoi que se soit pour les en empêcher. Elle était trop triste, trop abattue, pour réfléchir. Ressaisis-toi ! dit soudain une voix inconnue dans sa tête. Le récepteur ? pensa-t-elle, surprise. Mais la voix s’était tue. Néanmoins, elle avait raison : rien ne servait de s’apitoyer sur son sort. Sharon sortit lentement de sa torpeur. Je peux le faire. Je dois le faire, pour ma Famille, pour mes parents, pour moi. Elle bondit et réussi enfin à capturer une vipère sans avoir peur de se faire mordre. Une nouvelle flamme luisait dans ses yeux. Une flamme déterminée à ne pas s’éteindre. Elle réunit bientôt assez de proies pour en rapporter aux examinateurs. La Lune se couchait. Les premières stries de l’aube rayèrent le ciel de rose, et le cri de la fin de l’épreuve retentit. Elle ramena toutes ses prises, et constata que Leïla en avait attrapé autant. Elle lança un regard de défi à Sharon. Maintenant, tout se jouait sur la rareté la dangerosité, le poids et les autres critères des examinateurs. Enfin, le résultat fut donné. Le chef de la Famille des Plaines bondit sur la pierre plate, accompagné de tous les autres. Les spectateurs tournèrent la tête vers eux, les prunelles luisantes. — Nous avons désigné le gagnant, annonça simplement le meneur. — Après une longue concertation, continua un autre, nous nous sommes décidés sur… Le suspens monta. Le stress aussi. Sharon déglutit, les poils hérissés. — Sharon, qui l’emporte de justesse avec une vipère, très dangereuse et très grosse. La Famille des Dunes est gagnante du Tournoi de Chasse ! Les hourras des autres fennecs emplissaient les oreilles de Sharon, qui n’en revenait pas. Un bourdonnement continu de félicitations, d’exclamations surprises ou d’autres heureuses montait dans son cerveau. C’est alors qu’elle se rendit compte qu’elle n’avait plus mal à sa blessure, et qu’elle ne l’avait nullement gênée lors du Tournoi. En tournant la tête, elle s’aperçu même que la légère trace rouge avait disparu. Finalement, tout aurait été parfait si elle ne s’était pas disputée avec Zéphyr. Celui-ci la fixait avec froideur, avant de murmurer une remarque désobligeante à Deïlf, qui hocha la tête. Attristée, la jeune femelle regardait le bout de ses pattes. Des festivités célébrèrent la gagnante. Enfin, lorsque le Soleil monta au-dessus de l’horizon, les Familles se rassemblèrent pour rentrer tranquillement chez elles. Elles se quittèrent avec divers ragots, au revoir et compliments. Enfin, le silence fut lorsque la Famille des Dunes partit de la combe. Ils marchèrent un long moment en parlant de tout et de rien, du succès qu’ils avaient eu et des critiques sur certains participants. Sharon, elle avançait sans rien dire, encore sonnée par sa victoire et affligée par sa querelle avec Zéphyr. Quand ils arrivèrent enfin à leur tanière, un cri terrible déchira l’air pur. Aussitôt, Marzel se précipita. — Phylis ! Tous les membres de la Famille des Dunes se crispèrent. L’attente sembla durer une éternité pour Sharon. Lorsque son père revint, elle sentit une odeur qui la pétrifia. Du sang ! — Nous avons un problème, haleta le chef. Il reprit son souffle et lâcha, apeuré : Phylis met bas. Et ça se passe mal.
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| | | Rune
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| Sujet: Re: Le Folklore des Royaumes-Renards: Les Prophéties Légendaires ~ La Légende du Destin ~ Livre I: Les Liens du Destin Jeu 24 Oct - 21:30 | |
| *** Chapitre IV ***
- O h-oh… Croc-des-Neiges résumait parfaitement la situation. Devant lui, une furie blanche le fixait de ses petits yeux glaciaux. Un ours polaire. Quel idiot ! pensa-t-il, furieux contre lui-même. Pourquoi n’avait-il pas flairé l’odeur de ces animaux, lourds et massifs, alors même qu’il se battait contre Croc-d’Ivoire ? L’ursidé lâcha un rugissement de colère qui retentit dans toute la taïga. Les oiseaux s’envolèrent dans des cris de terreur aigus. Les rongeurs et les lièvres filèrent se réfugier dans leur terrier. Les stalactites de glace se brisèrent sous le choc de l’écho puissant. — COURONS ! hurla Croc-d’Ivoire. Croc-des-Neiges ne se fit pas prier. Il bondit et fuit à toute allure la bête, qui le poursuivit dans un grognement de colère. Le sol tremblait sous ses pattes. L’ours était si gros qu’il ébranlait la terre plus fort encore qu’un séisme. Le pauvre canidé sentait tous ses membres se tendre nerveusement dès que le carnivore gagnait du terrain. À côté de lui, suintant de peur, Croc-d’Ivoire cavalait, une expression de pure terreur plaquée sur le visage. Les mâchoires garnies de dents acérées se rapprochaient dangereusement. Elles claquaient avec avidité, telles des ossements qui s’entrechoquent. C’était un bruit à glacer le sang. Croc-des-Neiges n’en pouvait plus. Il accusait le coup. L’effondrement du tunnel de glace, le combat avec son rival, et maintenant, ça. Cette course qui n’en finissait plus. Il sentait que ses pattes menaçaient de se dérober sous lui. Il haletait, la respiration pantelante, les poils hérissés. Un vent glacial lui transperçait la peau. Ses yeux se plissèrent tandis qu’au-dessus de lui, les flocons de neige tombèrent en redoublant d’intensité. À croire que les nuages se donnaient un malin plaisir à le torturer. — Ne lâches pas ! lui hurla Croc-d’Ivoire. Facile à dire, pour toi ! s’emporta intérieurement le jeune mâle. Ce n’est pas toi qui as subi l’avalanche du tunnel, hein ! Des griffes longues et droites lui éraflèrent la queue. Il retint un cri et, à la place, allonge sa foulée. Stop ! Je suis trop épuisé. Je vais m’arrêter. Je suis plus habile que ce gros lourdaud, de toute façon. Je pourrai le semer sans problème. Croc-des-Neiges plongea en avant et disparu dans un buisson feuillu. Il sentit le courant d’air dégagé par la course de l’animal sur lui lorsqu’il passa à toute allure devant sa cachette. Puis, plus rien. L’odeur de l’ours commença à s’estomper, et avec elle, le bruit de ses pas. Le canidé soupira de soulagement. C’est alors qu’une patte musclée s’abattit sur lui dans un rugissement impétueux. Il brailla et se débattit, mais rien à faire : il était prit au piège. Le museau carré de l’ours s’imposa dans son champ de vision. Le carnivore le fixait de ses petits yeux marron. Il grogna quelque chose et attrapa Croc-des-Neiges par les épaules. — Qu-qu-quoi ? balbutia ce dernier. Ce n’était pas parce qu’il avait peur qu’il bégayait, mais parce qu’il était secoué dans tous les sens par l’ursidé, et ses dents s’entrechoquaient sous le choc. — Que faire toi sur mon territoire ? gronda l’animal de sa voix grave et sourde. Il jeta à terre le renard et le menaça de sa large patte. — On ne faisait rien de mal ! s’écria le fautif en se redressant aussitôt pour foudroyer du regard son adversaire. On faisait que passer. Relâchez-nous ! — ‘‘On’’ ? releva tout de suite la bête. Croc-des-Neiges se mordit la langue. Idiot ! Mais trop tard. La faute était faite. L’ours renifla. — Autre renard. Peuh, cracha-t-il. Vous lâches, vous fuir comme souris. Vous affronter plutôt ennemis de face. Et il reposa sa patte sur le sol. D’un signe de tête, il lui demanda de le suivre et disparut dans les buissons. Enfin, ‘‘disparut’’, façon de parler. Il était tellement imposant qu’il était encore visible à des longueurs de là. Croc-des-Neiges lui emboîta le pas, les oreilles couchées en arrière, inquiet. La créature toute de blanc vêtue se frayait un chemin parmi les buissons épineux et les troncs noueux avec une facilité déconcertante, offrant un passage libre au jeune mâle. Bientôt, l’ours polaire rejoignit une vaste clairière dégagée et s’assit en son milieu. — Attendre, grogna-t-il avec un râle caverneux. Attendre et voir, renard impertinent. Tremblant de rage, Croc-des-Neiges finit par obéir et s’assit en face de son geôlier – car il était clair qu’il allait être fait prisonnier. Les ours, fougueux et combattifs, n’hésiteraient pas une seconde à l’enfermer pour toujours, voire même à l’exécuter si jamais il faisait quelque chose de mal pour leur société. Ils attendirent longtemps. Le canidé songeait à divers solutions pour s’échapper en toute discrétion. Soudain, un long rugissement perça le silence lourd de la forêt. Un autre ours, plus petit que le premier – sans doute une femelle – tenait dans sa large gueule une tache de fourrure qui se débattait avec des cris pitoyables. Croc-des-Neiges se figea. Croc-d’Ivoire ! Le renard gigotait dans tous les sens en gémissant comme un lapereau désemparé en essayant vainement de griffer les joues poilues de l’ourse. Celle-ci grommela quelque chose et jeta le corps frêle à l’autre bout de la clairière. Croc-d’Ivoire atterrit sur le flanc, le souffle coupé sous le choc. Le couple d’ursidés se regardèrent, marmonnant des mots dans leur langue que Croc-des-Neiges ne réussit à comprendre. Croc-d’Ivoire ne bougeait pas. Hésitant, le jeune renard posa une patte devant l’autre, d’un pas lent, pour rejoindre à toute allure l’animal immobile. Les deux colosses ne se préoccupèrent pas du manège de leur prisonnier valide. Celui-ci, jetant par moment des coups d’œil discrets pour surveiller ses gardiens, tâtait du bout d’une griffe le museau de son camarade d’infortune, le renifla, plaqua son oreille contre sa poitrine pour entendre ses battements de cœur. La terre trembla légèrement. Il n’y fit pas attention, mais quand un souffle chaud et nauséabond souleva sa fourrure, il sursauta. — Aargh, vous renards pas très résistants, râla l’ours mâle. Sa compagne se rapprocha elle aussi et secoua mollement le corps évanoui de Croc-d’Ivoire. Croc-des-Neiges redoutait le pire, pensant à la future réprimande qui allait lui tomber sur le coin du museau si il devait avouer que Croc-d’Ivoire était mort par sa faute. Les deux ours recommencèrent à discuter à voix basse dans leur langage toute en s’affairant autour du malheureux. Mais bientôt, dans un hoquet de douleur, celui-ci prit une grande inspiration et remua les oreilles. — Ca… fait mal, lâcha-t-il d’une voix brisée. — Pauvre abruti, se contenta de dire Croc-des-Neiges. Il se releva et tituba vers le centre de la clairière. Heureusement que cet imbécile n’est pas mort, songea-t-il. Déjà qu’on va avoir de sacrés soucis… En effet, en s’étant introduit par mégarde sur le territoire des ours polaires, ils avaient déclenchés une séries de problèmes qui allaient être très dur de résoudre… Croc-des-Neiges n’osait pas imaginer la colère de Croc-des-Blizzards lorsqu’il allait entendre la nouvelle. Il voyait déjà son père, furibond, les poils hérissés comme autant d’épines sur un porc-épique, les yeux flamboyants de rage. Croc-d’Ivoire resta allongé un moment, la respiration saccadée et bruyante. Puis, avec force de couinements pathétiques, il se remit sur ses pattes et rejoignit son rival d’un pas trébuchant. Les deux ours le regardaient avec amusement. Sinistre crétin ! Tu ne vois pas que tu te ridiculises ? Croc-des-Neiges secoua la tête d’un air exaspéré et considéra son camarade avec dédain. — Bravo, t’es content ? râla-t-il une fois l’autre à portée de voix. Maintenant, les ours vont croire que tous les renards sont aussi douillets et fragiles que toi ! Croc-d’Ivoire lui lança une œillade glaciale, mais ne répondit pas. L’ours mâle, après avoir échangé quelques grognements avec sa compagne, approcha des deux canidés et lâcha : — Renards suivre nous. Paraître au Camp Ours Polaires. Ils frissonnèrent. Le… Camp des Ours Polaires ? Mais dans quelle crotte de lemming je me suis fourré, moi ! tempêta intérieurement Croc-des-Neiges. L’ursidé leur tourna le dos en marmottant : — Venez. La femelle attendit que le trio atteigne la lisière de la clairière avant de leur emboîter le pas. Ils empruntèrent un sentier de terre battue mêlée à des galets ronds et lisses. Au vue des nombreuses empreintes de patte larges, ce chemin était souvent utilisé par d’autres ours polaires. Il doit mener droit au Camp, songea avec amertume Croc-des-Neiges. Les Ours Polaires vivaient eux aussi dans une sorte de Tribu ; leur lieu de vie principal se situait dans le Camp des Ours Polaires. Ils étaient depuis toujours les alliés de la Tribu des Crocs. Un appui de taille qui les avait bien aidé lors des centaines de guerres de territoire qu’ils avaient dû essuyer. Mais, avec l’intrusion des deux compères sur les terres des Ours, qui sait si cette alliance précieuse ne serait rompue ? C’est ce qui inquiétait particulièrement Croc-des-Neiges. Croc-des-Blizzards risquait de ne pas aimer du tout de voir ses plus puissants affiliés briser leur entente. Mais qu’est-ce que j’ai fait ? se disait-il pour la dixième fois au moins. Soudain, la sente s’agrandit et ses galets devinrent plus présents et gros. Ils arrivèrent au pied d’une pente qui menait droit dans une épaisse barrière de ronces. Un ours gardait l’entrée. Le vigile leva soudain le museau et renifla bruyamment. — Intrus ! Il descendit de son poste et rejoignit le couple d’ursidés. — Que ce passer ? tonna-t-il en langue renard, tout en fixant les deux prisonniers d’un œil mauvais. D’un léger signe de tête, l’ours mâle fit comprendre à Croc-des-Neiges qu’il devait parler. Le canidé prit une grande inspiration s’avança d’un pas et, tout en essayant de masquer les tremblements de sa voix, il annonça : — Je m’appelle Croc-des-Neiges et voici Croc-d’Ivoire. Nous venons de la Tribu des Crocs et je suis le fils… le fils du chef. Nous chassions pour nos camarades lorsque je me suis rendu dans un tunnel de glace (Il évita de préciser qu’il était tombé dans le tunnel, pour ne pas passer pour un maladroit devant des ours polaires) pour poursuivre un lièvre… Alors je n’ai pas vu que j’étais sur votre territoire, et Croc-d’Ivoire non plus. Nous sommes désolés et nous allons repartir chez nous… À ces mots, son interlocuteur fronça ce qui lui servait de sourcils. — Non, vous pas partir. Vous rester, vous juger. Il se tourna vers ses congénères et entama une discussion avec eux dans le langage ours. Croc-des-Neiges et Croc-d’Ivoire, leur différent oublié sous la peur, se regardèrent avec angoisse. Au final, le vigile grommela et riva ses prunelles brunes dans celles, noyées par la terreur, des deux renards. — Suivre moi ! Il s’engouffra dans la barrière d’épineux. Le couple d’ours poussa leurs deux prisonniers vers un étroit passage dans les buissons, où ils pouvaient se frayer un chemin sans y laisser la moitié de leur fourrure. Ils obéirent en silence avançant prudemment entre les branches couvertes d’épines aussi acérées que des griffes de loup. Ils débouchèrent sur une vaste clairière de terre tassée, où plus un seul brin d’herbe ne poussait. Le Camp se trouvait sur une sorte de colline au sommet plat et aux flancs recouverts d’arbres et de ronces qui rendaient les pourtours de la trouée impénétrable. Le seul accès possible était en passant sur le sentier de galets. Croc-des-Neiges écarquillait les yeux, stupéfait par l’organisation des ours polaires, qu’on lui avait décrit comme braillards et désordonnés. Au contraire, le Camp offrait une toute autre vision de cette race. De larges gueules sombres s’ouvraient sur des tanières garnies de mousse et de poils. Des cris et des piaulements d’oursons joueurs retentissaient, et une petite foule de jeunes se massa devant les deux étrangers, ouvrant des mirettes illuminées par la curiosité. Ils grognaient avec excitation, posant sans doute des questions sur les renards à leurs parents, qui s’étaient approchés eux aussi. Les ursidés dévisageaient Croc-des-Neiges et Croc-d’Ivoire avec insistance, mi-étonné, mi-hostile. Leurs geôliers les guidèrent vers le centre du Camp. Puis l’ours mâle se détacha du groupe et s’engagea dans une large tanière creusée juste au pied d’un large rocher. Un instant plus tard, il ressortait avec un animal si imposant qu’il faisait tout frêle à côté. Croc-des-Neiges frissonna. L’Ours Polaire Chef. Le mastodonte rugit, et aussitôt tous les habitants du Camp accoururent. Ceux qui n’avaient pas encore vu les canidés murmuraient entre eux, surpris. L’Ours Polaire Chef se tourna vers Croc-des-Neiges et commença, dans un renard parfait : — Croc-des-Neiges, fils du chef de notre alliée, la Tribu des Crocs, on m’a rapporté que tu t’étais ‘‘égaré’’ sur notre territoire avec ton camarade ici présent, Croc-d’Ivoire. Cependant, j’ai peine à te croire. Redis-nous donc ta version de l’histoire, pour que tous l’entendent, et que le Camp puisse juger. À son côté, un de ses congénères traduisait en ours pour ceux qui ne comprenait pas la langue des intrus. Alors, Croc-des-Neiges se lança. Il s’avança un peu et déclama le récit qu’il avait tenu un moment plus tôt, devant le vigile. Il crut comprendre des marmonnements désapprobateurs, et sa fourrure se hérissa. Je ne dois pas avoir peur, je ne dois pas avoir peur. Il respira à fond, et se calma peu à peu. Son pelage retomba en place. Il planta alors un regard résolu dans celui, impassible, du Chef. Ainsi, ils s’affrontèrent, dans une tension palpable. Croc-des-Neiges ne cilla pas. Une vague de courage inattendue l’avait envahie. Un autre signe de mon échangeur d’émotion, peut-être ? En tout cas, autant en profiter. Finalement, le Chef soupira. L’autre se détendit. L’électricité dans l’air se dissolue aussi vite qu’elle était apparut. — Tu es courageux, Croc-des-Neiges, fils de Croc-des-Blizzards, se contenta-t-il de dire. Mais, tu penses trop par toi-même. Et si Croc-d’Ivoire nous racontait sa version ? Croc-d’Ivoire frémit en entendant son nom. Mais il se reprit et se plaça près de son compagnon d’infortune. Au passage, il lui glissa : — Belle intervention. Mais c’était présomptueux de ta part de défier ainsi le Chef. — La ferme ! jeta Croc-des-Neiges. Une brève lueur réprobatrice brilla dans les yeux du Chef, mais il garda son visage imperturbable. Si Croc-des-Neiges se doutait de quelque chose, il n’eut pas le temps d’y songer car Croc-d’Ivoire narra une histoire… bien différente de la sienne. — Croc-des-Neiges et moi étions partis pour chasser. Mais, mon camarade étant très distrait ces derniers temps, nous n’avions attrapé que peu de proies. Alors, Croc-des-Neiges a eut une réaction que je n’ai guère apprécié : d’aller se rendre sur les terres des ours polaires pour leur voler du gibier. Croc-des-Neiges fulminait. Sale traître ! — C’est faux ! Tu mens ! hurla-t-il en se précipitant sur Croc-d’Ivoire. L’autre ne put parer le coup et ils roulèrent ensemble dans la poussière. Croc-des-Neiges se débattit et griffa le flanc de son rival. Ce dernier cria et mordit sa cuisse. Enlacés, ils auraient continué à se battre si le Chef ne les avait pas séparé d’une violente gifle de sa patte. — Assez ! gronda-t-il. Je ne tolère pas les bagarres ici. Vraiment ? se retint de cracher Croc-des-Neiges, imaginant les têtes brûlées qu’étaient les ours luttant à la moindre occasion les uns envers les autres. L’odeur du sang et de la peur flottait dans l’air. Croc-des-Neiges boitait avec sa morsure, tandis que Croc-d’Ivoire léchait son flanc endolori. — Ici, chacun a le droit de s’exprimer librement, continua de les réprimander le Chef. Laisse Croc-d’Ivoire finir, Croc-des-Neiges. Ou sinon, je devrais sévir. Il prit une expression furieuse, sans doute pour intimider les deux renards et les retenir de faire d’autres bêtises. De quel droit tu me donnes des ordres ? persifla Croc-des-Neiges en son for intérieur. Tu n’es ni mon père, ni mon chef, il me semble ! Je n’ai pas peur de toi ! — Je disais, fit Croc-d’Ivoire en s’écartant de son rival afin de se rapprocher du Chef, qu’il voulait chasser sur vos terres. ‘‘Ces animaux sont trop lourd et patauds pour être dangereux !’’ m’avait-il dit. Je n’aurai pas dû le suivre, je reconnais. Mais il avait déjà disparut à la frontière et je devais le suivre… Des hochements de tête compréhensifs suivirent ses propos hypocrites. Ah, si je pouvais… bouillonnait l’autre. Il n’écouta pas les mensonges de Croc-d’Ivoire, tant sa colère était grande. Cette sale face de lemming mériterait que… —… Et il avait même commencé à chasser ! s’écria son ennemi. Je lui disais ‘‘Arrêtes, tu vas nous attirer des ennuis’’ mais il continuait, en me traitant de trouillard ! Et puis, nous sommes tombés sur les ours… Il s’inclina devant le couple d’ursidés qui les avaient piégés. Lèche-patte, pensa Croc-des-Neiges avec amertume. — Et voilà maintenant, alors que vous nous demandez la vérité, ce… cet animal se complaît dans le mensonge. C’est odieux ! Jamais je n’aurais cru ça du fils du chef. Et il planta ses yeux luisants d’une sombre joie dans les prunelles enflammées de son pire ennemi. — Tu oses prétendre raconter la vérité ? siffla celui-ci, hors de lui. — Silence ! tonitrua le Chef. Pour l’instant, vous resterez prisonniers, chacun au même titre que l’autre. Nous jugerons pour savoir quelle version est la plus plausible. Et il se retira dans sa tanière, suivi par une file d’ours qui grognaient entre eux des syllabes incompréhensibles. Les autres colosses quittèrent un à un le centre de la clairière pour se rendre dans leur gîte respectif, en lançant des œillades inquiètes ou furieuse aux deux intrus. Le couple qui les avait capturé encadrèrent les renardeaux et les poussèrent du bout du museau vers le fond du Camp, dans un endroit obscur et reculé, où aucun ourson n’allait s’amuser. — La prison, devina Croc-d’Ivoire. Croc-des-Neiges, encore dégoûté par le comportement de ce dernier, ne prit même pas la peine de le regarder. Las, les pattes lourdes, le poil sale et collé en bourres inélégantes, les griffes en sang, il ne demandait plus qu’une chose : dormir. La morsure infligée par Croc-d’Ivoire le lançait avec tant de puissance qu’il se retenait de gémir. Il espérait qu’elle ne s’était pas infectée. Le mâle gronda quelques indications, et pointa de sa large patte un trou béant à flanc de rocher. Son pourtour était jonché de restes d’os et de charognes, où des mouches tournoyaient avec force de bourdonnements. Des ronces plus épaisses encore que la queue d’un castor et dont les épines ressemblaient plus à des piquants de hérisson qu’à autre chose en gardait l’entrée. Ce lieu répugnant ne donnait guère envie d’y vivre, pourtant les ursidés ne laissèrent pas le choix aux deux captifs. Ils durent s’engouffrer dans le boyau plein d’insectes et de fumets peu ragoûtants. — Beurk ! fit Croc-d’Ivoire en évitant un tas d’immondices. Des os à charognes ! C’est vraiment dégoûtant. Croc-des-Neiges regarda les yeux des ours trouant la pénombre, puis ils disparurent en plaçant un gros rocher devant le tunnel pour en bloquer la sortie. — Bon ! lâcha-t-il après s’être tourné vers Croc-d’Ivoire – ou du moins, il pensait être devant Croc-d’Ivoire, étant dans le noir complet. Nous sommes fixés : on est pas les bienvenus. — Sans blague ? ironisa l’autre. Son commentaire s’éteignit lorsqu’il se cogna contre le front de son rival. — Aïe ! Fais gaffe ! — Ben voyons, on y vois rien ! Comment veux-tu que je puisse d’esquiver, gros lourdaud ? Croc-des-Neiges ne releva pas l’insulte. Il soupira puis poursuivis d’un ton sec : — Ta tirade hypocrite de tout à l’heure était vraiment la chose à ne pas faire. Bon sang, mais qu’est-ce qui t’es passé par la tête ? — Y m’est passé que je ne voulais pas croupir ici ! riposta Croc-d’Ivoire en montrant inutilement les crocs. — Je vois pas le rapport. Arrêtes de te chercher des excuses ! — Je ne me cherche pas d’excuses, je dis la vérité ! — Tu dis ça, après avoir menti devant tous les ours ! — Je ne voulais pas que l’on reste ici pour toujours en attendant que ces longs à la détente comprennent que l’on a pas fait exprès d’arriver ici. Ils voulaient entendre que l’on s’était rendu volontairement sur leur territoire ? Eh bien, je leur ai dit. — Et pourquoi tu m’as accusé, moi, et pas toi ? Croc-d’Ivoire ne répondit pas. Il gratta le sol rocailleux. — Et de toute manière, qu’est-ce que cela aurait changé ? insista Croc-des-Neiges. Toujours pas de réponse. Un frottement de fourrure se fit entendre, puis plus rien. Croc-des-Neiges remua les oreilles, contrarié. Tu pourrais au moins faire l’effort de dire quelque chose, songea-t-il. Un léger soupir perça le lourd silence de la prison. Puis un autre, et encore un autre. Croc-d’Ivoire dormait. Croc-des-Neiges souffla. Il s’écroula à un endroit où la terre était à peu près propre et commença à se toiletter. Un goût horrible de boue et de sang imprégna sa langue. Il grimaça, mais continua à se lécher jusqu’à ce que son pelage brille. Enfin, brillerait s’il était illuminé par les rayons du Soleil. Ses blessures le faisant encore souffrir, Croc-des-Neiges ferma les yeux et tenta d’oublier la douleur et l’affreuse puanteur du boyau pour se reposer. Il laissa son esprit vagabonder, sans plus se soucier, pour un temps du moins, de ses problèmes.
*** *** ***
Un maigre filet de lumière de lune chatouilla les côtes du renardeau. Il leva son fin museau, admirant le ciel nocturne à travers une épaisse couche de feuillage. Cependant, ce n’était pas les longues épines des sapins de la taïga qu’il voyait, mais des feuilles aux centaines de formes différentes : des grandes, des petites, des dentelées, des poilues, des lisses… Où suis-je ? Il baissa sa tête vers le sol herbeux, et retint un hoquet de surprise. Ses pattes étaient rousses. Elles avaient la teinte vive des flammes, et leur bout était d’un brun couleur de terre. Qu’est-ce que c’est que cette mascarade ? Qu’est-ce que je fais là ? Il tourna à nouveau son regard vers le firmament, comme pour questionner les étoiles. Un bruit de pas le tira de ses pensées. Il fit volte-face, le poil hérissé, prêt à se battre. Une boule rousse en furie surgit d’un buisson frémissant et faillit le percuter. Il esquiva de justesse et s’apprêta à lui voler dans les plumes, lorsqu’il rencontra un œil d’ambre flamboyant noyé par la peur. — Croc des Neiges, ils sont là ! Ils sont là ! Il faut fuir, vite ! Quoi ? Qui sont là ? Il n’eut pas le temps de poser ces interrogations, car la jeune renarde – c’était en effet un autre canidé roux, dont la voix rappelait une femelle – le poussa du museau vers une rangée de ronces entremêlées. Croc-des-Neiges cligna des yeux. Il mit un moment à réagir, tant il était surpris. Je peux avancer tout seul ! voulut-il dire. Mais aucun son ne sortit de sa gueule. Il n’arborait même pas de mine mécontente, comme il en avait l’habitude. Il sentait que ses traits étaient tirés par la frayeur de… quelque chose. À croire qu’un autre contrôlait son corps. Il s’élança à la suite de la renarde, qui haletait et lui murmurait des encouragements. — On va y arriver, Croc des Neiges ! On peut le faire ! Ils sont moins rapides que nous. Nous connaissons ces bois, pas eux ! Mais de quoi elle parle ? Il hocha la tête, encore une fois sans le vouloir, et allongea sa foulée. Croc-des-Neiges luttait avec son corps pour en reprendre le fonctionnement, en vain. Alors, il se laissa aller et réfléchit sur les évènements, tandis que ses pattes frappaient le sol en cadence pour le faire accélérer. La femelle à côté de lui le collait de si près que leurs deux pelages se frôlaient. Elle me rappelle quelqu’un, se dit le mâle. Sa posture, son timbre de voix, l’étincelle de son regard… Elle m’est terriblement familière, comme si je la connaissais depuis toujours… Il repassa ses connaissances dans sa tête, mais aucune ne ressemblait de près ou de loin à une jeune renarde de son âge avec un poil roux touffue et des yeux ambrés si intense qu’ils jetaient des reflets oranges sur l’herbe. Un grognement rauque résonna à son oreille. — Il arrive, souffla sa camarade avec inquiétude. Il ne doit pas nous rattraper ! s’écria intérieurement Croc-des-Neiges. Puis il se reprit : Mais qu’est-ce que je raconte, moi ? Les arbres noirs défilaient à toute allure autour de lui. Les astres furent masqués par des nuages d’encre. La silhouette rassurante de la jeune renarde à son côté commença à se dissiper dans l’air. Non… ne pars pas ! Ne pars pas ! Croc-des-Neiges perdit le contrôle. Le grognement rauque se rapprochait dangereusement. Le renard essaya désespérément de se souvenir du nom de sa camarade. Comment t’appelles-tu ? songea-t-il assez fort pour qu’elle puisse l’entendre. Elle tourna ses yeux vers lui, et il fit de même. L’angoisse faisait luire ses pupilles. — Croc des Neiges… chuchota-t-elle, avant de disparaître dans une brume étincelante. Soudain, le prénom de sa congénère se révéla dans l’esprit de Croc-des-Neiges, comme un éclair illuminant une nuit d’orage. — Sharon ! hurla-t-il en fixant les dernières volutes de brouillard où l’autre s’était dématérialisée. Il se réveilla en sursaut, le cœur battant et les oreilles bourdonnantes. Les yeux piquants, il resta allonger, revoyant encore et encore Sharon qui était engloutie par des rubans de brume voraces. À côte de lui, Croc-d’Ivoire se retourna en grommelant. Encore tremblant, les visions de son cauchemar se succédant dans son crâne, Croc-des-Neiges se blottit un peu plus dans sa litière de fortune et ferma ses paupières pour se rendormir.
*** *** ***
À son réveil, Croc-des-Neiges se sentit bien plus reposé. Il s’étira, faisant craquer ses os. Puis le souvenir de sa course-poursuite entre cette étrange taïga revint le hanter. Il plissa les yeux en tentant de se remémorer les évènements de son rêve, mais les scènes qu’il avait vécu étaient devenues floues et intangibles, insaisissables. Il essaya vainement de s’en rappeler avec plus de précision. Non… non ! Il sentait au fond de lui que ce cauchemar revêtait une importance capitale, même s’il n’était pas encore capable de la comprendre. Je ne me souviens même plus du nom de la renarde… Etait-ce bien une renarde d’ailleurs ? Il secoua la tête. Pas le temps de se préoccuper de ça pour l’instant. Il s’approcha du corps endormi de Croc-d’Ivoire et le remua doucement du bout de la patte. — Allez, gros flemmard ! Debout. L’autre marmonna quelque chose dans son sommeil avant de se retourner. Croc-des-Neiges soupira, las, et alla se poster en tâtonnant dans l’ombre devant l’entrée de la prison. L’obscurité, l’étroit goulot empestant la chair pas fraîche, tout commençait à lui taper sur le système. Il bâilla à s’en décrocher la mâchoire, et attendit. Son ventre gargouilla. Il se demandait si on allait leur apporter à manger ou si la seule source de nourriture disponible ici était les carcasses ensanglantées gisant sur le sol, quand le rocher qui bouchait l’entrée bougea. Un fin rayon de Soleil caressa sa fourrure et réchauffa le froid boyau. Longtemps enfermé dans les ténèbres, les yeux de Croc-des-Neiges n’étaient plus habitués à la lumière et il cilla plusieurs fois avant de pouvoir regarder la lueur de jour en face. L’ours femelle qui les avait capturés la veille entra sa petite tête dans le tunnel. Elle tenait dans sa gueule le corps chaud d’un lièvre polaire. Elle le jeta aux pattes de Croc-des-Neiges. — Manger vous, grogna-t-elle. Après, parler Chef. Sur ces mots, elle repartit en replaçant en passant le bloc de pierre devant l’entrée. [...]
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