Pour Zinia, le silence était l’une des plus belles qualités des bibliothèques. Cela conférait à ces lieux une atmosphère propice à la réflexion et surtout, se taire dans une bibliothèque n’était pas considérée comme anormal. Alors que dans n’importe quel autre endroit, il fallait parler si l’on voulait exister. C’était du moins l’opinion de la chouette tachetée. D’un point de vue scientifique et objectif, ce n’est certainement pas la parole qui définit l’existence d’une chouette ou de toutes autre animal ou objet. Si vous voulez un exemple, les tabourets du réfectoire existent, mais il est souhaitable pour votre santé mentale que vous ne les ayez jamais entendus parler.

Cependant, la science et l’objectivité n’étaient pas les rayons favoris de Zinia. Les métaphores tirées par les plumes lui plaisaient infiniment mieux. Et dans un lieu autre que sa chère bibliothèque, elle se sentait comme une chenille dans un cocon qu’une entité maléfique tentait de défiler. On alors, sortir de sa bibliothèque c’était comme plonger en apnée – chose qu’elle ne ferait certainement pas, être timide ne signifiant être suicidaire, mais qu’elle avait lu dans un livre. Elle ne pouvait rester trop longtemps dehors, sous peine d’étouffer. En exagérant à peine.

En parlant d’étouffer, ou plutôt, parler d’étouffement évoque une situation d’inconfort, ce qui amène à la situation de Zinia, la chouette tachetée se demandait si pour quelqu’un détestant autant qu’elle le vacarme, le réfectoire du Grand Arbre était un endroit conseillé. Evidemment non. Bruyant, rempli de monde, bruyant… Brrr… Plutôt devoir parler à un hagsmon que de passer plus d’une demi-heure dans ce genre d’endroit ! Enfin, d’habitude.

Mais cette mission qu’elle s’était elle même confiée – et que son gésier manquant de courage commençait à trouver stupide – l’obligeait à aller là ou se trouvaient le plus grand nombre de chouettes et de hiboux. Puisqu’elle ne connaissait pas suffisamment de contes ou de légendes pour en remplir un recueil, il fallait bien qu’elle réussisse à en remplir un avec les légendes des autres. Mais pour les connaître, il fallait qu’ils viennent les lui raconter à la bibliothèque (qu’elle avait bien l’attention de ne plus quitter pendant au moins une semaine après avoir rempli sa tâche). Dans ce but, Zinia avait préparé une petite affiche invitant quiconque le souhaiterait à venir lui rendre visite afin de lui raconter ses histoires d’enfance. La chouette tachetée espérait que ce serait suffisant. Aller parler directement aux oiseaux connaissant des histoires aurait certainement été plus efficace, mais elle ne se sentait pas de taille à cela.

Elle ne se sentait pas de taille à grand chose, d’ailleurs, et elle commençait à envisager sérieusement de faire demi-tour.
“Du courage Zinia !”, se morigéna-t’elle. ”C’est bien beau de se faire des promesses, mais encore faut-il faut savoir les tenir !”
Elle raffermit sa prise sur l’affiche qu’elle tenait serrée dans une serre, et se remit en marche le long de la branche menant au réfectoire, avec – du moins elle l’espérait – une expression décidée. Cette promesse – remplir un recueil du plus grand nombre de contes possible – elle se l'était surtout faite afin de s'occuper, et de ne pas paraître totalement inutile. Si gribouiller toute la journée lui permettait de ne pas avoir à sortir de son antre pour faire autre chose de plus dangereux, elle gribouillerait.

Le bruit. Le bruit d’habitude l’avertissait de son arrivée imminente dans la salle du réfectoire. Pourquoi cette salle était-elle aujourd’hui aussi silencieuse ? La pseudo-expression décidée de la chouette tacheté disparut et laissa place à un étonnement plus véridique. En plus d'être silencieuse, ce qui ne pouvait être considérée que comme une amélioration, le réfectoire était vide de chouettes. Ce qui pouvait difficilement être considéré comme un mieux pour une salle censée servir de cantines aux gardiens du Grand Arbre. La seule explication plausible que Zinia put trouver à cette absence de vie était qu'elle avait encore du rater une information cruciale. Comme d'habitude, aurait-on envie d'ajouter.

Ceci dit la salle n'était pas entièrment vide. Dans un coin, un groupe de chouettes discutaient autour de ce qui semblait être une affiche. Qui devait certainement apporter l'information qui manquait à Zinia. Celle-ci se rapprocha du groupe, et se hissa sur la pointes de ses serres afin de lire par dessus la tête d’un hibou. L’affiche fournissait bien une explication au vide du réfectoire. Celui-ci devait être remis en ordre, décoré... Bon. Si elle déclarait n'être venu que pour poser une affiche, elle risquait de n'être pas très bien accueillie. Et puis peut être qu'une affiche pourrait être considéré comme de la "décoration". Quoique, sans image... Enfin, sans évoquer la décoration, une paire de serres supplémentaire serait certainement la bienvenue. Elle poserait son affiche l'air de rien à la fin, après avoir aidé.

Oui, c'est ce qu'elle ferait. Et si les volontaires ne se bousculaient pas, elle n'aurait pas à parler à grand monde. Et de plus, on ne pourrait pas dire d'elle qu'elle vivait – totalement – aux crochets du Grand Arbre. Maintenant, il lui restait juste à savoir qui étaient les autres volontaires.

C'est en tournant la tête que Zinia aperçut la hagsmonne. Corone, sauf erreur de sa part. Zinia l'avait déjà aperçu, mais ne lui avait jamais parlé. Il faut dire qu'un oiseau de près de trois mètres d'envergure, c'était largement suffisant pour l'intimider. Et puis un hagsmon, même accueilli dans le Grand Arbre, ça restait un hagsmon : une créature de légnde, censé appartenir au royaume des enfers. De quoi vous faire cauchemarder. Ou bien un sujet de livre épatant : "La vie avec une hagsmonne".

Zinia n'avait pas détaché son regard de l'oiseau noir. C'est sans doute pour cela que, après être resté un moment à fixer l'affiche comme pour lui arracher ses indormations, celui-ci se tourna vers elle et un hibou des Mrais, lui aussi en train de l'observer.

« Que s'est-il passé pour que le réfectoire soit aussi vide ? Il n'y aura pas de service aujourd'hui ? »

Se rendant compte que la hagsmonne attendait une réponse, et si possible de sa part, Zinia ouvrit et referma plusieurs fois le bec, sans réussir à prononcer un mot. Observer, d'accord, mais parler à une hagsmonne... Elle songea un instant à se laisser sombrer dans son brouillard qui atténuait si bien ce genre de tracas. Mais l'idée de tomber dans un état proche du coma en public ne l'enchantait guère. Tout le monde la remarquerait.

"J... Vous...", réussit-elle à croasser."Pour le service je ne sais pas.", lacha-t-elle finalement. En fait de réponse, on avait vu mieux.

"Ils disent sur l'affiche que le réfectoire doit être remis en ordre"

Au moins la phrase avait du sens. Elle se sentait incapable de développer de façon plus nette.