Perché dans le recoin le plus sombre de son creux, Ezylryb contemplait les quelques ouvrages qui s'empilaient à quelques mètres de lui. La pile était telle qu'elle cachait un pan entier de mur, dépassant sans peine le propriétaire des lieux. Cette pile avait une signification bien triste pour le petit duc : sans dessus dessous, sans ordre et à l'abandon. Il retrouvait un peu dans cette définition sa situation actuelle. Cela faisait presque un demi-cycle que les seules visites dont il avait jouit se résumaient à son travail de gardien. A l'abandon... oui, il se sentait abandonné, et il s'abandonnait aussi, ne laissant vivre en lui que la tristesse, le tourment, l'incompréhension ou même, l'envie d'en finir.

Ces amis n'étaient plus ou l'avaient délaissés, et lui même n'était plus que l'ombre de ce qu'il fut. Ezylryb ne cachait pas qu'il avait longuement hésité à faire l'acte de déshonneur ultime. Comment ? lui, le plus respectable et le plus respecté des gardiens, ne pouvait ne serait-ce qu'imaginer se suicider ? Mais pris entre la pression d'Ethyl et Achlys et sa position au conseil, le vieux gardien ne pouvait en subir d'avantage.

Sans même s'annoncer, un gardien fit irruption dans son creux et alla se percher sur la pile de livre, manquant de faire effondrer cette montagne de savoir. Pour Ezylryb, c'était un manque de respect sans équivalent, ce symbole même qui distinguait les chouettes de toute autre espèce, utilisé comme un vulgaire perchoir ? Non, il n'en était pas question !!!

« A qui je dois cette entrée en grande pompe ? » lui dit-il avant même qu'il puisse reprendre son souffle. « Non, je ne veux pas savoir... enfin, pas tant que tu ne montreras pas un tant soit peut de respect pour un ryb et ses connaissances » continua-t-il avec un regard fort déplaisant, tout en pointant de son aile les livres qu'il avait lui même écrit.

Loin d'être impressionné, ce grand gardien de facilement deux fois la taille d'Ezylryb, répondit avec le même dédain qu'il avait récolté par sa venue peu délicate.

« Je ne pense pas avoir à faire à un ryb ! Sauf si cette définition correspond à une chouette qui laisse ses élèves à leur propre sort, ou qui ne rend plus de comptes au conseils alors même que Boron en personne vient aux nouvelles ».

Cette tirade était lancée avec tant de froideur que le petit duc se mit à minoucher. Ce n'était qu'un acte bien faiblard pour montrer son mécontentement, mais il était au niveau de sa détermination à se défendre. Presque comme si il avait été fier d'avoir tenu tête à un supérieur, la grande chouette continua.

« Tu as sûrement été informé de la mission qui t'attend. Et pour tout dire, le squad est prêt, il attend. »

Sans en ajouter d'avantage, et sachant pertinemment que sa présence dérangeait, le gardien téméraire fit demi-tour et pris son envol dans un silence pesant. Le calme revenu dans son creux, le vieux ryb se prépara donc mécaniquement, sans réfléchir aux risques que cette sortie représentait. C'était ainsi, le combattant d'autrefois s'était envolé et rien ne semblait pouvoir lui faire retrouver sa joie de vivre.


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En quelques coups d'ailes et sans dire un mot, Ezylryb rejoignit le grand réfectoire. L'effervescence liée à cette mission pourtant si secrète sonna comme une gène aux yeux du petit duc. Transformer cette mission de sauvetage en un voyage de groupe en petit comité, avec confettis de feuilles pour fêter un départ pour Glaucis... quelle idée ! Et pour couronner le tout, le chef de squad n'était autre qu'un sang pur repenti. Enfin, repenti de ses propres dires.

C'était comme si les gardiens n’apprenaient pas de leur erreurs et confiaient leurs vies au premier des inconnus. Comme si les espions qui avaient coûtés la vie à de si nombreuses chouettes au sein même du grand arbre n'avaient laissé aucune trace. Car au plus profond de son gésier, le vieux ryb n'avait aucune confiance en cet Arcturus.

Serres de combat affûtées et déterminé à mener à bien sa mission, Ezylryb se plaça juste derrière la chouette rayée. Toutes les spécialités du grand arbre étaient représentées dans ce squad. Du navigateur aux sauveteurs, personne ne manquait à l'appel, ce qui prouvait à quel point cette mission était prise au sérieux.

Le petit-duc vit Arcturus se retourner, le fixant droit dans les yeux. Un court instant, il fut capable de soutenir ce regard qui semblait déchiffrer la moindre émotion. C'était un regard froid, appuyé qui semblait traduire une grande peur du moment présent, comme une inquiétude qu'on ne peut cacher. De son côté, et bien qu'il était toujours la proie de ce mal invisible, Ezylryb fit tout pour cacher ses émotions. Cet échange sans paroles, bien qu'il fut d'une courte durée, permis de comprendre qu'il n'était pas le seul à appréhender cette mission.

« Si ça tourne mal, tu pourras compter sur moi » hulula-t-il d'une voix forte qui contrastait avec l'état dans lequel il se trouvait. C'était après tout sa mission, et bien qu'Ezylryb ne se réjouissait pas de cette mission, il comprenait tout de même la peur qui animait Arcturus.

Le regard soutenu d’Ezylryb en avait dit long sur la confiance qui régnait entre les deux hiboux les plus expérimentés du squad. Mais finalement tout ceci était bien égal pour Arcturus, ce regard était le même que celui dont il avait été la cible de la part des habitants de l’Arbre, encore aujourd’hui il était considéré comme un être à part par la plupart d’entre eux. Lyze de Kiel ne faisait pas exception.

« Si ça tourne mal, tu pourras compter sur moi »

Arcturus fixa un peu plus le vieux hibou du regard mais se retourna à nouveau vers la mer.

« Nous devons bien être les seuls à savoir ce qui nous attend vraiment dans cette mission… Ce sont les autres qui devront compter sur nous. » répondit-il calmement et sérieusement. Puis il avança vers le bord de la branche avant de regarder une dernière fois les membres du squad, tout le monde était prêt.

« Nous partons, mais avant je vous rappelle quelques consignes capitales pour cette mission de sauvetage et sa réussite : Discrétion et obéissance. Je ne veux aucune intervention « héroïque », nous n’avons pas de temps pour les actes isolés et irresponsables, il en va de la survie des rescapés et de notre groupe. Nous devons également éviter tout affrontement direct dans la mesure du possible. Vous ne devez vous en tenir qu’au plan. Si toutefois la situation devait se retourner contre nous, Ezylryb et moi-même vous donnerons les ordres qui s’imposent.»

Il avait prononcé ces mots avec une intonation propre à un leader, néanmoins beaucoup moins autoritaire et agressif que pouvait l’être un autre chef de squad. C’était la façon de faire d’Arcturus, calme et posé, mais chacun pouvait sentir l’expérience du hibou strié, certes pas sans se remémorer le fait qu’il avait été un leader aussi dans le camp des Sang-Purs. Mais doucement le groupe acquiesça et quelques hululements d’approbation se firent entendre.

« Bien… Allons-y… »

Puis finalement Arcturus pris son envol, suivi par le groupe. La mer était calme encore, le voyage n’allait certainement pas être le plus fatigant dans cette mission. Toutefois une certaine appréhension se faisait sentir toujours. Arcturus continuait de mener le groupe mais se rapprocha silencieusement du côté d’Ezylryb, s’assurant qu’il ne pouvait être entendu que de lui.

« Je ne suis peut-être pas de ton camp à l’origine, mais il va falloir que tu me fasses confiance. Si ce n’est pas le cas, cette mission pourrait bien être notre dernière. Je n’ai pas de leçon à te donner, tu sais certainement mieux que moi à quel point la cohésion est importante dans une situation de ce type… n’est-ce pas ? » demanda-t-il en regardant le hibou du coin de l'oeil, ses yeux clairs étaient toujours aussi froids.

« Nous devons bien être les seuls à savoir ce qui nous attend vraiment dans cette mission… Ce sont les autres qui devront compter sur nous. »

La réponse d'Arcturus n'était pas vraiment celle qu'il espérait mais il ne pu qu'acquiescer. C'était tellement inquiétant de voir ce groupe qui partait ainsi pour une mort certaine, le sourire au bec, comme si de rien n'était. La grande chouette rayée semblait avoir vécu le pire chez les sangs purs pour annoncer une telle vérité. Mais peut-être craignait-elle simplement les représailles de son ancien camp. Malgré la sagesse dont le chef de squad faisait preuve, Ezylryb ne pu montrer un quelconque signe qu'il approuvait les propos. En fait, il ne lui faisait toujours pas confiance et comptait bien épier chaque mouvement ou ordre suspect. Peut-être même que si le souverain Boron ne l'avait pas placé aux commandement, c'était qu'il espérait tester Arcturus.

Une fois que le grand gardien détourna son regard vers les autres chouettes, Ezylryb l'observa attentivement. Une petite cicatrice semblait émerger de son torse aux plumes rayées, les dernières lueurs du soleil changeait son plumage marron comme par magie, lui donnait un aspect plus proche du hibou des marais que de la chouette rayée. Mais une chose frappât plus que tout le petit duc bien qu'Arcturus semblait tout faire pour le cacher : il tremblait. Ezylryb n'osa pas imaginer ce qui pouvait bien mettre la chouette rayée dans cet état : une profonde peur de décevoir ou l'envie de mener à bien sa mission d'infiltration au grand arbre ?

« Nous partons, mais avant je vous rappelle quelques consignes capitales pour cette mission de sauvetage et sa réussite : Discrétion et obéissance. Je ne veux aucune intervention « héroïque », nous n’avons pas de temps pour les actes isolés et irresponsables, il en va de la survie des rescapés et de notre groupe. Nous devons également éviter tout affrontement direct dans la mesure du possible. Vous ne devez vous en tenir qu’au plan. "

Il n'y avait rien de mieux que les ordres sécuritaires comme les gardiens savaient si bien les prononcer. C'était comme si pour être un bon et valeureux gardien, il fallait savoir suivre la troupe et ne jamais rien entreprendre. Rien de mieux pour apporter un groupe entier à la mort, sous les ordres mêmes de leur chef.

Si toutefois la situation devait se retourner contre nous, Ezylryb et moi-même vous donnerons les ordres qui s’imposent.»

En entendant son nom, Ezylryb failli sursauter car c'était quelque chose dont il ne s'attendait pas du tout. Qu'il épaule Arcturus dans cette mission, jusqu'à donner des ordres, montrait à quel point le jeune lieutenant croyait en son second. Ils échangèrent un regard un bref instant, qui fut suffisant pour que le vieux ryb acquiesce ce nouveau statut par un hochement de tête.

« Bien… Allons-y… »

Et sans plus attendre, Ezylryb décolla sans un bruit, poursuivant le leader dans une chute vers la mer d'hoolemere vertigineuse. Le vent commençait à siffler dans ses oreilles, faisant plier ses aigrettes sous son casques. Puis, comme si de rien était, Arcturus repris une trajectoire horizontale, à quelques mètres seulement de la cime des vagues. Ezylryb jeta un regard rapide derrière lui et fut rassuré de voir qu'une simple manœuvre furtive aussi basique qu'un vol à raz d'eau ne posait pas le moindre problème au groupe. C'était tout juste si Arcturus et lui avaient pris une légère avance.

Le vieux petit duc observa le grand arbre s'éloigner progressivement, éclairé par d’innombrables lampions. Que Gahoole était beau aux dernières lueurs du jour ! Il aurait pu voler en le contemplant des heures durant s'il n'avait pas entendu Arcturus s'approcher de lui calmement. Lyze tourna donc sa tête vers la chouette striée et garda le regard neutre dont il avait le secret... ce regard alliant froideur et la preuve qu'il était quelqu'un dont on pouvait avoir confiance.

« Je ne suis peut-être pas de ton camp à l’origine, mais il va falloir que tu me fasses confiance. Si ce n’est pas le cas, cette mission pourrait bien être notre dernière. Je n’ai pas de leçon à te donner, tu sais certainement mieux que moi à quel point la cohésion est importante dans une situation de ce type… n’est-ce pas ? »

La grande chouette semblait avoir compris qu'Ezylryb n'allait pas être d'un grand soutient pour elle, c'était une certitude. Mais pourtant, la réalité était tout autre. Bien sûr qu'il allait faire tout son possible pour mener à bien cette mission, mais la cohésion de l'équipe n'avait rien à voir avec la confiance qu'il portait à son supérieur de mission. Voulait-il vraiment savoir ce qu'il avait dans le cœur ?

"Bien, je ne peux qu'approuver tes propos. Tu n'as pas de leçons à me donner."

Sa phrase était dite avec une telle froideur qu'elle ne pu qu'offusquer la chouette striée, mais Lyze ne pouvait cacher une seconde de plus la raison de ce mal être.

"Mais si tu veux tout savoir, rien qui est en ton pouvoir pourra faire revenir la confiance que j'ai envers les "reconvertis". T'a ton parlé d'Euknumis ? Ou même Apoptéros ? C'était deux gardiens qui avaient rien à prouver. Nés ici et les meilleurs porteurs du serment de liberté dans tout le royaume des chouettes..."

Puis Ezylryb se tut quelques secondes. Il ne pouvait contenir la tristesse qui emplissait son gésier, celle qui avait détruit la joie de vivre qui le caractérisait avant. Mais ses amis étaient partis et il vivait chaque instant avec le remord de ne pas avoir été assez vigilent par rapport à cette sang pure, Achlys... celle à l'origine de ces meurtres. C'est alors que Lyze explosa, faisant enfin exploser sa douleur à la face de cet ancien sang pur. Que les autres gardiens l'entende, ça lui était bien égal ! Et si la mort de ces deux gardiens pouvait servir à ce qu'aucun autre membre de cette grande famille ne perde la vie aussi bêtement, alors leur mémoire ne serait pas entaché par le sang d'autres vies.

"Ces deux gardiens, ils sont morts. Mort des serres d'un sang pur, tout comme toi. Ils sont mort de l'abus de confiance que nous, gardiens, sommes capables d'offrir au monde des chouettes. Et quelle sentence cette traitre infiltrée a reçu en retour ? Dis toujours !... Elle a été graciée et est devenue gardienne ! Alors oui, je vais te faire confiance. Après tout, ai-je le choix ? Mais ne crois pas que c'est par choix... Si un jour... un seul jour, tu te montres digne des chouettes qui ont été sacrifiées pour voir l'arrivée de repentis comme toi ou même Corone, alors à ce moment... seulement... tu auras toute ma confiance."

Sans qu'il s'en rende compte, Ezylryb avait les larmes aux yeux. Mais c'était fait, il avait donné à Arcturus ce qu'il avait au plus profond de son gésier.

Arcturus garda le silence tout au long du discours d’Ezylryb, il ne comprenait que trop bien la douleur que pouvait ressentir son « allié » quoique quelques temps auparavant ce sentiment lui aurait été totalement inconnu. Les Sang-purs étaient doués pour transformer des justes en monstres et imposer leur idéologie à leurs jeunes recrues, sans même que celles-ci ne s’en rendent véritablement compte. Il était extrêmement difficile de sortir d’un cercle aussi vicieux que celui instauré par Bec d’Acier.

Le hibou jeta un petit regard derrière lui, les autres membres du groupe avaient évidemment entendu tout le monologue de Lyze et regardaient maintenant Arcturus d’une manière gênée mais aussi fort déplaisante.

« … Tu as sans doute raison. Les gardiens donnent leur confiance trop facilement… » finit-il par dire calmement. « Mais si par confiance tu comprends le fait d’être constamment surveillé et d’être l’objet de tous les mauvais commérages… nous ne devons pas avoir la même conception de la confiance. »

Il continua de voler aux côtés de Lyze.

« Je vais certainement m’attirer tes foudres en te disant cela, mais il faut bien que quelqu’un te le fasse remarquer… Peut-être qu’une Sang-pure a tué tes camarades, mais si elle a pu le faire, c’est bien que les gardiens n’ont pas réussi à détecter le risque qu’elle représentait à ce moment-là également. Il faut toujours se méfier, l’influence de Bec d’Acier dans le cœur de ces chouettes est comme un poison, elle est profondément ancrée. Je ne cherche pas à justifier ce qu’elle a fait, mais pour la défense de ceux qui ont été les proies de la folie des Sang-Purs, je dois dire qu’ils n’ont rien connu d’autre. Toute leur vie, leur esprit a été corrompu, leur vision troublée par le sang des innocents. … Moi-même, j’ai eu des difficultés à m’en défaire. … J’ai une part de responsabilité, mais je tiens à faire en sorte que cela ne se reproduise plus, même si cela devait me coûter plus que des plumes. »

Arcturus repris ensuite un vol plus centré pour pouvoir avoir l’attention des autres membres et hulula assez fort pour que tous l’écoutent.

« Si vous pensez tous que je ne suis toujours qu’un Sang-Pur et que je ne mérite pas votre confiance, que je vous mène à la mort… eh bien rien de vous empêche de repartir à l’arbre. Je n’en dirai rien… Si toutefois vous acceptez de me laisser vous guider, je jure sur ma vie de tout faire pour mener à bien cette mission avec votre aide.»

Les autres chouettes furent assez choquées et surprises sur le coup, ne s’attendant pas à une telle prise de position. Mais elles ne pouvaient que reconnaître que faire demi-tour maintenant pouvait s’avérer bien plus mortel pour les jeunes chouettes en détresse, que pour les gardiens menés par un repenti…

Sa tirade faite, Ezylryb fixa de nouveau le pseudo gardien avec avec tristesse. Il s'en voulait un peu d'avoir laissé exploser sa colère dans une telle situation, à la veille d'une mission parmi les plus graves qu'il avait eu à endurer. Arcturus sembla un peu gêné et tenta tant bien que mal d'éviter le regard du petit duc en jetant un œil aux autres membres du squad. Il n'y avait pas de doutes qu'il avait été entendu par tous et cela mettait la mission en péril.

« … Tu as sans doute raison. Les gardiens donnent leur confiance trop facilement… Mais si par confiance tu comprends le fait d’être constamment surveillé et d’être l’objet de tous les mauvais commérages… nous ne devons pas avoir la même conception de la confiance. »

Le ton que pris la chouette rayée eu de quoi l'étonner. Il n'était ni hargneux, ni dédaigneux... juste posé et calme, digne d'un chef après tout. Mais la réponse qu'il lui lui fit ne l'étonna pas que pas la façon de le dire... elle était surprenante aussi de par les propos. Ce n'était un secret pour personne et Arcturus semblait bien l'avoir compris, mais l'arbre avait de longues aigrettes, amplifiant les rumeurs et scellant les réputations à jamais. Il avait compris que même si il était toléré, c'était à lui de gagner la confiance des autres, et que cette tâche n'allait pas être toute simple.

« Je vais certainement m’attirer tes foudres en te disant cela, mais il faut bien que quelqu’un te le fasse remarquer… Peut-être qu’une Sang-pure a tué tes camarades, mais si elle a pu le faire, c’est bien que les gardiens n’ont pas réussi à détecter le risque qu’elle représentait à ce moment-là également. »

Pour lancer de telles remarques, Lyze comprenait bien que l'effraie rayée était au grand arbre que depuis une courte période, et que les coutumes ne l'avait pas encore forgée. L'hospitalité était de ces règle de vie qu'il fallait respecter coûte que coûte, aussi risquée la situation puisse-t-elle être. Malgré tout, la vieille chouette ne pouvait que donner raison à Arcturus, et c'est bien ce qui le blessait profondément. Les gardiens étaient incapable de prendre conscience de ce qu'une période de guerre sous-entendait. Plus que jamais, la confiance envers les inconnus se devait d'être remise en cause.

Et c'est pourquoi il jouait fièrement le mauvais rôle : celui de la chouette qui n'avait confiance en personne, le garde fou qui tentait par tous les moyens d'éviter que les autres gardiens ne soient tués en respectant la tradition d'hospitalité du grand arbre. Peut de gardiens l'avaient compris et respectaient son choix... lui aussi était sujet à un manque de respect qui le blessait profondément.

« Il faut toujours se méfier, l’influence de Bec d’Acier dans le cœur de ces chouettes est comme un poison, elle est profondément ancrée. Je ne cherche pas à justifier ce qu’elle a fait, mais pour la défense de ceux qui ont été les proies de la folie des Sang-Purs, je dois dire qu’ils n’ont rien connu d’autre. Toute leur vie, leur esprit a été corrompu, leur vision troublée par le sang des innocents. … Moi-même, j’ai eu des difficultés à m’en défaire. … J’ai une part de responsabilité, mais je tiens à faire en sorte que cela ne se reproduise plus, même si cela devait me coûter plus que des plumes. »

L'histoire qu'Arcturus lui dit ne l'étonna guerre, mais pourtant, elle lui bloqua le gésier. Ezylryb n'avait jamais connu le mal en le vivant de l'intérieur. Il s'était contenté de le combattre depuis son plus jeune âge. Alors la vision de ses ennemis, il l'avait déjà bien assez contemplée. Ces monstres vivaient que pour faire le mal, pour dominer ou même simplement par jalousie.

Mais le vieux ryb ne s'était jamais demandé ce que les sangs purs enrôlés par centaines pouvaient trouver de bien dans le mal qu'ils desservaient. Vivre sans connaître d'autres issues que le meurtre des innocents, cet acte mécanique perpétré dans le seul but d'appartenir à une famille, un groupe, une entité... tel était le voile qui noircissait les esprits des meilleurs. Malgré le manque de respect qu'elle pouvait lui montrer, Corone était le symbole même de cette rédemption aussi difficile qu'improbable. Rejeter une éducation sans en connaître une autre, perdre ses seules attaches et la certitude d'un avenir, c'était par ses mots que la grande hag avait intégrée les gardiens. Et après cela, Corone l'avait-elle déçu ?

Alors bien qu'il n'avait pas encore confiance en Arcuturus, il pouvait peut-être lui donner le bénéfice du doute. Il n'était sûr de rien après tout. Ezylryb entendit la grande chouette en armure s'adresser à ses poursuivants mais il ne prêta pas attention à ses propos. C'était plutôt la situation qui l'embêtait : Cette chouette se prétendait être un des leurs, alors qu'il n'avait aucun moyen pour en être certain.

Le vieux ryb tentait de trouver et comprendre les motivations d'Arcturus, les émotions qui planaient au plus profond de son gésier... ce qu'il était vraiment. Alors une fois qu'il eut fini ses indications, Ezylryb lui adressa la parole avec un ton une brin plus courtois, contrastant avec son humeur du moment.

« Vivre dans l'ignorance n'est en aucun cas une excuse pour de telles atrocités. Mais je dois te donner raison sur un point : bec d'acier est un manipulateur né. »

Ezylryb n'eut pas la motivation suffisante pour voir la réaction d'Arcturus et continua à fixer l'horizon. Adresser la parole à cet ancien meurtrier était un acte qui contrastait avec son statut de combattant, lui demandant une force mentale dont il ne se serait jamais cru capable. Il se tut quelques secondes, laissant le bruit des vagues l'envahir un court instant. Ce bruit était si familier et si apaisant : il lui remémorait ses longues excursions scientifiques à la recherches des balises à vent. C'était un temps de paix, de bonheur qui lui manquait tellement. Puis il tourna la tête vers Arcturus et le fixa droit dans les yeux.

« Mais dire des sangs purs qu'ils représentent l'innocence pervertie par un seul esprits maléfique... autant dire que les chouettes sont des mouettes (en language humain : des moutons... pour l'idée d'animal grégaire) dénuées de sens critique et uniquement apte à suivre la foule. Tu t'en es sorti, c'est tout à ton honneur, mais n'excuse pas les actes de tes anciens compagnons d'arme. »

Cette échange, Ezylryb voulait le garder pour lui et Arcturus. Il tourna donc la tête vers les autres membres du squad pour vérifier si ils étaient hors de portée de leur discussion. Le groupe, toujours au complet, n'avait pas quitté des yeux leurs deux chefs, sans doute trop surpris pas la dispute qui venait de se passer. Mais personne n'avait l'audace pour s'immiscer dans un échange qui ne les concernait pas. Le vieux ryb, même détesté de tous, avait sut garder ce qui avait fait sa légende : son humeur qu'il ne fallait à tout prix ne pas contrarier. Il repris donc :

« Et bien, comme nous avons une longue route devant nous et que tu as envie de me prouver ta noblesse et ton grand cœur, je t'écoute. Racontes moi ta vie chez les sangs purs, prouves moi que j'ai tors, et dis moi quel fut ton moteur pour espérer une vie meilleure chez ton ennemie. »

Ezylryb reconnu dans le discours de l'ancien sang pur la façon de penser de son ennemi : des chouettes comme de vulgaires pions que l'on sacrifie, les espèces digne de servir et ce goût pour le sang si prédominant. Le petit duc écouta donc avec beaucoup d'attention l'histoire que lui conta le grand hibou. Pour ainsi dire, il avait été bien éduqué le pauvre...

Enfin, la venue d'Arcturus au grand arbre mettait sa nouvelle famille en danger, et Ezylryb avait de grand doutes qu'il s'en rende compte. Ce n'était pas vraiment dans ses habitudes de penser ainsi, mais qu'aurait-il fait à sa place ? Laisser son côté sombre le dominer, ou sa raison aurait-elle été capable de prendre le dessus ? C'est pour cela qu'Ezylryb n'osa pas répondre de suite au grand hibou strié. Après tout, qu'avait-il à répondre à quelqu'un qui avait pris goût à la vie ?

Pensif, Lyze continua son vol sans un mot, se laissant envahir par les mots du hibou volant à ses côtés. « Mais je comprends que tu ne veuilles pas accorder ta confiance si facilement, je respecte cela. Je réussirai à te prouver que je suis déterminé à réparer mes erreurs. » Prouver sa valeur, réparer ses tors, voilà des points qu'il avait depuis longtemps perdu. En cachant son passé de guerrier, il avait oublié que lui aussi, en son temps, il avait trouvé refuge au grand arbre.

Après la bataille des griffes de glace, c'était bien la seule forteresse qui pouvait le protéger du courroux de son ancien ami comme il osait si souvent l'appeler. Car oui, quoi d'autre Bec d'Acier pouvait-il être ? Les deux ennemis avaient été rongés par la soif d'en finir une bonne fois pour toute, les actes de l'un se répercutant sur l'autre.

Ezylryb avait pourtant perdu cet esprit vengeur dès son arrivée à l'arbre. Son âme de combattant s'en était allée en même temps que son vrai nom, Lyze. C'était bien le seul moyen qu'il avait trouvé pour fuir son passé... alors que pouvait-il juger de l'acte d'Arcturus. Avait-il été plus courageux en son temps ?

Le Hibou strié ne devait pas savoir qu'ils étaient deux victimes de la folie de Bec d'Acier, l'un se cachant, l'autre cachant son passé. Ils étaient en fait plus proche qu'Ezylryb avait cru au premier regard.

Pour la première fois, le manque de confiance dont le petit duc avait du mal à sortir semblait s'effacer pour laisser place à une pointe de curiosité. Comment avait-il vécu sa fuite ? Pourquoi avait-il décidé de combattre auprès de ses anciens ennemis ? Autant de questions qui allaient sûrement lui permettre de connaître un peu plus de fond de son compagnon de route.

« Pas facile de vivre avec la mort aux trousses, hein ? »

Une simple question qui résumait à elle seule le foutoir dans lequel les deux hiboux semblaient s'être mis sur les plumes. Ezylryb ajouta un fébrile sourire pour montrer que sa question n'avait rien d'un reproche ou d'une attaque sournoise. Il ne voulait que prouver qu'il était prêt à discuter plus librement, et sans cette animosité du premier regard.

[Je te laisse faire le timeskip pendant ta réponse ? Sinon... la conversation sera encore très très longue :) ]