Le jour avait toujours été son domaine de prédilection. Invisible parmi la neige, fantôme parmi les glaces, Nahualt était fier de son plumage blanc, qu’il assumait avec le sourire et le regard pétillant de malice. Oui, il n’était pas noir, mais il s’en fichait. Pour lui, cela restait un atout intéressant, qu’il pensait exploiter presque dans sa plénitude, et dont il savait plutôt bien se servir.

Le jour, donc, il aimait bien. La nuit aussi, et tant qu’il restait dans le Nord, cela ne lui avait jamais porté préjudice, notamment grâce au paysage uniformément blanc, ou presque.

Justement, cette-nuit, là, le jeune hagsmon avait chassé comme jamais. Pour une fois qu’il ne se concentrait uniquement sur le gibier… Ses serres étaient propres, il les avait nettoyées. Quant à certaines de ses rémiges, elles étaient encore rouges de sang. Il décida de les compter, juste pour faire passer le temps, alors qu’il volait en direction de son creux de glace.
Une, deux, trois… et demie.

Quatre de ses plumes avaient été plus ou moins rosies par le sang de ses proies, lui donnant un air désinvolte et menaçant. Il ferma un instant les yeux, se focalisant sur la douceur du vent qui lui chatouillait ses plumes lustrées, mais quelques peu en désordre. Il avait saigné un petit groupe de corbeaux, tout de même. Un combat facile, mais trépident.
Même ses plumes avaient toujours été très bien entretenues, Nahualt n’avait jamais pu trouver la combine pour avoir un vol moins bruyant. Il était pourtant convaincu que l’absence d’un peigne n’était un des multiples facteurs, et que s’il arrivait à annihiler ou du moins réduire les autres, il pourrait être un peu plus discret. Peut-être qu’il ne volait pas très bien non plus.

Le jeune hagmon était perdu dans les méandres de ses pensées, lorsque quelques-uns de ses mini-hags, partis d’eux-mêmes en éclaireur – il s’agissait une colonie particulièrement curieuse – revinrent vers lui, porteurs de nouvelles.
Un autre hagsmon trainait dans les parages. Apparemment une femelle. Sans mini-hags, puis les propres éclaireurs de Nahualt n’avaient rencontré aucune protection qui entourait l’inconnue.

Intrigué, Nahualt prit le cap en direction de l’étrange inconnue. D’abord, il ne vit, ni n’entendit rien. Puis, de la pénombre du crépuscule naissant, sorti une grande créature, semblable à tout hasmon qui se respecte. Nahualt fronça les sourcils, devant la parfaite discrétion dont faisait preuve la jeune femelle. Celle-ci s’approchait d’ailleurs de lui, aussi intriguée que lui l’était.

Le jeune hagsmon blanc se mit en vol stationnaire, à l’instar de la femelle qui lui faisait à présent face. Il l’observa un instant. Elle s'adressa soudain à lui
« Euh… bonjour, je m’appelle Eclipse. Je ne vous aie jamais vu par ici. Etes-vous de passage ? Et quel est votre nom je vous prie ? »

Hé bien, on pouvait dire qu’elle était directe. Nahualt paru un instant décontenancé par tant de franchise.
- C’est un passage de douane ? pensa-t-il avec étonnement.

Puis, il eut un petit sourire ce genre de mimique que l’on essaye de diminuer pour ne pas avoir l’air d’être quelqu’un qui se moque de l’autre. Faute de quoi, il eut un sacré sourire en coin.
C’était une jeune hagsmonne d’à peu près son âge, au plumage noir corbeau des plus lisses et soigné qu’il n’ait jamais vu. Lui qui passait pour un perfectionniste de lissage de plume, il se trouvait à présent bien négligé face à cette femelle.

Ses yeux, à l’instar des siens, se rapprochaient plus du doré que du puissant jaune de ceux qui utilisaient le fyngrot. Nahualt était presque sûr que cette femelle était pacifiste.
Il l’invita à venir se poser sur un vieil arbre, juste en dessous d’eux.

Il se posa donc sur une branche morte, et leva les yeux vers la jeune femelle. Un détail lui réapparut soudain en mémoire. Il lui demanda alors :

- Bonsoir… Eclipse… Comment se fait-il qu’une femelle hagsmonne reste seule, sans même de mini-hags pour la prévenir en cas de danger ?

Aussitôt qu’il eut posé sa question, il vit la femelle en, face de lui se tendre ; il avait touché un sujet sensible. Pour peu, il s’en voulu presque. Mais les regrets, Nahualt n’en n’avait jamais eu. De toute sa vie, il n’avait jamais eu un regard pour son passé, et vivait toujours de l’avant, dans un incroyable optimisme.
Aussi, lorsqu’il vit Éclipse hésiter à lui parler, le hagsmon blanc n’avait eut que la crainte de l’avoir effrayé. Il ne pouvait pas rattraper le passé, quand bien même il en aurait eu envie. Il avait compris depuis longtemps que cela ne servait à rien de pleurer sur des actes passés.

Il haussa simplement les épaules, attendant qu’elle daigne répondre. Elle le fit plus vite qu’il le pensait. Ses yeux reflétaient la tristesse lorsqu’elle se retourna vers lui. Il fronça les sourcils. Il n’aimait pas la tristesse, et faisait ce qu’il pouvait pour l’éloigner de lui. Aussi voyait-il d’un mauvais œil le sentiment qu’était en train exprimer Eclipse.

Sa voix même tremblait.
- Dis... tu veux vraiment le savoir ? Tu ne me jugeras pas que cela... hein ?

Il haussa un sourcil. Quoi ? Ce n’était que cela ? Nahualt faillit commenter, mais s’abstint. La hagsmonne devant lui ne devait pas avoir vu beaucoup de monde ces derniers temps, et il devait se montrer indulgent et patient
Avait-elle si honte de son passé ?

Voilà, notamment, pourquoi Nahualt n’aimait pas le passé. Il devenait très vite un poids à porter si on y prêtait trop attention. Oh, le jeune hagsmon blanc ne souhaitait pas oublier son passé, ou le renier, loin de là. Mais il avait depuis longtemps passé le cap des regrets, des rêves d’alternatives à ce qu’il s’était produit, à ce qui aurait pu se produire…

Aussi, calmement, presque d’un ton doux où perçait néanmoins la surprise, il répondit, perplexe :

- Parce que tu crois vraiment que je me moquerai de toi ? Sérieusement ?


Il déplia son aile gauche, exhibant ses plumes blanches.

- Tu crois que je suis le mieux placé pour me moquer des différences, ou des choix des autres ?


Il vit que le regard de son interlocutrice s’était fixé sur un point quelque peu mobile. Elle fixait quelque chose du regard, et ne semblait pas le lâcher. Nahualt regarda un instant derrière lui, vérifiant qu’un éventuel intrus ne soit à l’origine du trouble d’Eclipse. Car c’était exactement cela. La hagsmonne était troublée.

Il mit un peu de temps à comprendre que c’était ses mini-hags qui la frustraient. Il siffla un ordre en langue ancienne, et la plupart d’entre eux se cachèrent dans son plumage. Seuls une dizaine de mini-hags, tout au plus, continuaient leur travail de vigiles. Nahualt sentit sa colonie frissonner de plaisir, joie de prendre un petit moment de repos.
De temps à autre, un mini-hag venait en remplacer un autre, au dessus des deux hagsmons.

Après un long soupir, Eclipse se décida à raconter son passé. Nahualt admira un instant le courage qu’avait la jeune hagsmonne à se dévoiler ainsi, au premier inconnu qu’elle croisait. Elle devait être réellement désespérée, ou en mal de compagnie. Il eut presque de la peine pour elle. Presque.
Lorsqu’on est un hagsmon, c’est très difficile de ressentir les émotions. Nahualt n’y arrive pas souvent. Mais c’est toujours lorsqu’il est en compagnie des autres qu’il les ressent. Peut-être était-ce pour cela que le hagsmon blanc cherchait la compagnie des autres.

Eclipse entama finalement son récit :
- Bon, alors, je ne suis vraiment pas fière de mon passé, cela me dépasse même complètement parfois. Mais commençons par le commencement. Tout d’abord, je ne suis pas née ici, mais dans le glacier du H’ratgar. A l’âge de voler, quand j’étais enfin parvenue à prendre mon envol, j’ai commencée à avoir de sérieux problèmes avec mes mini-hags. Oui, en effet, j’arrivais de moins en moins à les contrôler.

Nahualt fronça les sourcils. Les mini-hags pouvaient certes devenir facilement difficile à dresser, mais cela demandait une éducation de tous les jours pour y remédier. Pour les premières générations tout du moins. Après, c’étaient aux plus vieux mini-hags d’apprendre comment se comporter aux plus jeunes générations. En cassant le pli d’une génération à une autre, la colonie pouvait radicalement changer de comportement.
Celle de Nahualt était plutôt agressive. Il lui fallu près de trois générations pour pouvoir les contrôler totalement. Plutôt sanguinaires, ils aiment la violence des massacres, et Nahualt adorait satisfaire leur goût du sang. Après tout, lui aussi aimait ça. Désormais, s’ils restaient une colonie particulièrement vigoureuse, curieuse et agressive, ses mini-hags avaient liés des liens très forts avec le hagmon blanc, et une véritable complicité s’était créée entre eux.

La hagsmonne noire d’ébène poursuivit :
- Un jour où je n’en pouvais plus, j’ai commis un acte affreux, sous leur influence, j’ai fais ce que je n’aurais jamais voulu faire pour rien au monde, oui, j’ai tuée mes parents, et je m’en voudrais jusqu’à la fin de mes jours. Ensuite, j’ai plongée dans l’eau salée, dans l’espoir de tuer tous mes mini-hags, sans réfléchir que je pouvais y laisser ma vie. Mes mini-hags ont bien été tués, et j’ai failli subir le même sort, mais je suis parvenu à atteindre une petite crevasse à l’abri juste à ma taille, dans laquelle j’ai pu m’y reposer et m’y ressourcer.

Là, le jeune mâle blanc reconnaissait qu’elle avait été audacieuse, sur ce coup-là. Il reconsidéra Eclipse quelques instants. Elle avait l’air plus fragile et sensible que son état de hagsmonne ne laissait le voir. Il sentit ses mini-hags frémir sous son plumage. Ils étaient loin d’être idiots, ceux là.
Nahualt fredonna une musique ancienne, à consonance nordique. Un chant qu’il avait apprit en écoutant des troubaplumes de passage dans la baie de Kiel. Destinées à apaiser les mini-hags, les notes étaient douces. Nahualt voulait éviter que sa colonie s’insurge contre Eclipse, qui avait tué tout ses mini-hags.

La femelle ne semblait pas l’avoir remarqué, et continua son histoire.
- Puis j’ai tenté de rejoindre la communauté des hagsmons, mais je me suis fait tout de suite rejetée à cause de tout ce qui m’était arrivée et tout ce que j’avais fait. J’ai donc tenté après de rejoindre et de me faire accepter par la communauté des chouettes et hiboux, toujours sans succès. J’ai décidé alors de me réfugier dans la baie de Kiel, et depuis je vis toute seule, et cela fait très longtemps que je n’ai pas entretenu une vraie conversation avec quelqu’un et je te remercie de m’accorder ce plaisir.

Elle s’arrêta un long moment. Nahualt n’avait pas pu s’empêcher de sourire, content d’avoir pu aider une jeune femelle de son espèce. Elle reprit son souffle, et le hagsmon blanc comprit qu’elle en avait fini de raconter son passé.

Une phrase qu’elle avait dite lui remonta en mémoire. J’ai commis un acte affreux, sous leur influence, j’ai tué mes parents. Nahualt tressaillit. Quelle sorte de colonie pouvait réussir à dominer son hagsmon hôte ? Pourquoi cette symbiose si parfaite entre les deux espèces devait elle être rompue chez certains d’entre eux ?
Nahualt se souvint de l’un de ses derniers meurtres, lorsqu’il avait été faire un raid chez les sang-purs. Quel beau massacre… Lui-même avait été emporté par la frénésie du sang et de la mort, et ses mini-hags s’en été délecté avec joie. Sa colonie et lui avaient les même passions, quelque part.

Eclipse ajouta soudain, comme pour casser le petit silence qui s’était installé entre eux :
- Bon, tu connais mon histoire maintenant. Mais je ne sais pratiquement rien sur toi. Alors, tout d’abord, quel est ton nom ?

Nahualt sourit de plus belle ? Il l’attendait au tournant, cette question. Le jeune mâle n’aimait pas du tout parler de lui. Mais la hagsmonne en face de lui s’était confiée, et il pouvait bien faire un petit effort aussi.


- Hé bien… Je m’appelle Nahualt. Et je suis un hagsmon blanc.

Non, bien sûr, il n’allait pas s’arrêter là. Il laissa cependant planer quelques secondes de silence, réfléchissant à ce qu’il pourrait bien lui dire de plus.


- Je suis quelqu’un de plutôt solitaire, bien que j’apprécie également d’avoir de la compagnie de temps à autre. J’habite plutôt loin d’ici, de l’autre côté de la mer. Dans une grotte creusée dans les Serres de Glace. Mais j’ai plusieurs habitations, dont une également dans les royaumes du Sud. Un endroit très sympathique à visiter… Et très peuplé de chouettes.

Nahualt eut un petit sourire rêveur, un brin sadique. Il ne comptait plus le nombre de chouettes qu’il avait saigné, le nombre de Sang-Purs qu’il avait massacré.Il se tourna vers le ciel, et regarda un instant les étoiles, réfléchissant à cet endroit que les chouettes appelaient Glaumora, un endroit où les bonnes personnes finissaient leur après-vie. Un endroit qui lui était interdit, à lui, le damné, le démon blanc.

Le jeune hagsmon porta à nouveau son attention sur Eclipse, cette jeune femelle au plumage noir d’encre, pourtant si différente des autres de part sa franchise et sa sensibilité.


- Et toi ? Es-tu déjà allée dans le Sud ? As-tu déjà eut le cran de voler au dessus de la mer d’Hoolemere pour rejoindre les terres gorgées de soleil, si diverses de paysages, et où la neige et la glace ne dictent leurs lois qu’un quart de l’année durant ?

Bon, certes, ce n’était pas du jeu. Lui, craignait beaucoup moins l’eau que les autres hagsmons. En même temps, il l’avait bien cherché aussi, quitte à y perdre la quasi-totalité de sa narchmagen. Mais Nahualt n’avait jamais de regret. Lui, il était content de l’instant présent, et puis c’était mieux ainsi.

Sur le visage sombre de la hagsmonne, Nahualt vit flotter un air pensif, presque confus. D’accord. Elle connaissait les royaumes du Sud, c’était déjà ça. Mais cependant, elle n’y avait jamais mis les serres. Son regard trahissait cette incompréhension qu’ont ces gens qui n’arrivent pas à s’imaginer un endroit.

Comme en écho à ses pensées, Eclipse répondit, presque gênée :
- Non, non je ne suis jamais allé dans le Sud. Et non je n'ai jamais osé traverser la mer d'Hoolemere, j'ai bien trop peur de l'eau. Et pourtant, j’adorerais, j'aimerais tellement aller jusqu'au Grand Arbre. Même si c'est impossible...

Ah, l’eau de mer… Un sacré problème pout presque tout hagsmon qui se respecte. Nahualt se contenta d’hocher la tête, lui aussi un peu pensif. Il faudrait qu’il retourne faire un raid chez les Sang-Purs, bientôt. Ses serres le démangeraient furieusement.

Le hagsmon blanc tiqua.

- Tu connais les Gardiens ? Les gardiens du Grand Arbre ?


Lui aussi connaissait leurs légendes, cependant, racontées du point de vue des vaincus, et ils perdaient un peu de leur superbe. La culture des Hagmons avaient visiblement très mal digéré leur défaite contre eux.
Mais qu’une hagsmonne, telle qu’Eclipse, veuille les rencontrer, peut-être même les rejoindre, ça, c’était inattendu. Perturbant, presque. Cette femelle était décidément très différente des autres représentants de leur espèce.

- Et… tu aimerais les rejoindre ?


Voilà, la question qui lui brûlait le bec venait de sortir. Nahualt attendit la réponse de son interlocutrice, alors que la neige commençait à tomber. Les petites particules blanches d’eau gelée virent se déposer sur le plumage assorti du jeune mâle. Il s’ébroua.

Elle demeura un instant pensif. Puis, brisant le silence, elle répondit enfin :
-Oui, oui je les connais, j’en ai entendu parler très souvent dans la région.

Eclipse regarda un instant la mer, comme si elle tentait de les percevoir à travers les vagues. Nahualt eut un petit sourire amusé. Évidemment. Les Gardiens étaient connus partout dans les royaumes, ayant réussit à marquer de leurs serres l’histoire de leur monde à travers les âges. Ils étaient connus, redoutés et défiés depuis toujours.La jeune femelle se retourna bientôt vers lui pour poursuivre, toute son attention à nouveau sur le mâle blanc.
- Eh oui, j’aimerais beaucoup les rejoindre. Peut-être que tu trouve cela étonnant pour un hagsmon ? Ca ne m’étonnerait pas, et je te comprendrais pour cela. Mais je n’aie vraiment que trop peu d’espoir d’y aller. C’est impossible malheureusement pour moi.

Etait ce de la tristesse que Nahualt percevait dans la voix de la jeune femelle en face de lui ? Si le jeune male avait en effet trouvé cette idée qu’un hagsmon rejoigne les rangs des gardiens, cet étonnement appartenait au passé. L’une d’entre eux avait réussit cet exploit. Lynchée par tous, admirée par lui, elle était entrée dans la légende, en bien comme en mal.

Sentant le regard d’Eclipse sur lui, Nahualt releva la tête, et la fixa de ses yeux dorés.
Il sentait que la jeune femelle souhaitait connaitre son avis sur le sujet. Le jeune mâle blanc s’en doutait, à la lueur de curiosité qui brillait dans les prunelles de la hagsmonne.
- Et toi ? Qu’est-ce que tu en pense de tout cela ?

Et Paf. Il avait gagné. Il eut un nouveau sourire en coin. Il assumait ses idées, et n’hésitait pas à dire le fond de sa pensée. Peut-être se trouvait-il en la présence d’une future gardienne en devenir, qui sait. Elle aura en tout cas bien plus de chance que lui d’intégrer leur faction.

- Moi ?


Il eut un vague soupire, à mi chemin entre un souffle las et une simple respiration. Il reprit néanmoins :

- Je suis plutôt quelqu’un de solitaire. D’indépendant. Seul maitre de mon destin. Non pas que je suis contre leurs idées, mais je ne suis pas celui qui les rejoindra en premier. Mais nous avons un ennemi commun, les Sang-Purs. J’adore les détester… Et surtout les tuer.


Il eut un petit rire sadique, alors que ses mini-hags frissonnaient parmi ses plumes de neige. Son ton se fit plus dur et froid, cassant comme de la glace. L’or qui faisait briller ses yeux s’était comme figé, glacé par la haine que ressentait Nahualt à ce moment-là.

- Une guilde de nombrilistes, juste bons à tuer.

Peu après ce qu’il venait de dire, Nahualt observa un long silence, passé à observer les réactions de la jeune femelle noire. Mais rien, elle ne semblait pas minoucher, stresser, ou même sourire. Rêveuse, elle était plongée dans son for intérieur. Dans les tréfonds de son imagination, de ses souvenirs, peut-être. Le hagsmon blanc se demanda un instant à quoi elle pouvait bien penser.

Les minutes passaient, et Eclipse restait enfermée dans un long mutisme, refusant de répondre quoique ce soit. Nahualt fronça les sourcils, se demandant que qui n’allait pas. Qu’avait-il dit de travers ? Etait-ce sa cruauté qui lui faisait peur ? Ses mini-hags qui la faisait frémir ?

Il n’allait pas changer d’éthique pour autant. Qu’elle n’aime pas sa colonie, ou qu’elle n’approuve pas son mode de vie et ses idéaux, Nahualt n’en avait fichtrement rien à faire. Point. Il n’était là que parce que cette hagsmonne n’était une femelle délurée, ne pensant qu’à tuer. Elle réfléchissait, et elle était capable de tenir une conversation variée et complexe. Un peu de civilité, chez leur espèce, ça ne faisait de mal à personne. Lui-même ne pensait pas qu’à la tuerie et au sang. C’était sa joie de vivre, certes, mais il était capable de se réjouir de tellement d’autres choses que le meurtre…

Lassé d’un tel mutisme de la part d’Eclipse, et décidé à ne pas rajouter quoique ce soit derrière ses dernières paroles, le jeune mâle blanc observa un silence forcé. Il n’était pas d’un naturel bavard, et détestait mener les conversations. La hagsmonne noire en face de lui de devait pas compter sur lui pour ce job. C’était quelqu’un de discret, pas un gros racontar. Le silence est d’or, et la parole est d’argent, disait-on.

Les paroles d’Eclipse le ramenèrent à la réalité.
"Ben, je pense que je vais y aller…"

Il la regarda étrangement, sans savoir trop quoi penser. La dérangerait-il à ce point que la jeune femelle voulait partir ? Voulait-elle le fuir, comme tant d’autres avant lui ? Nahualt soupira, soudainement très seul.  D’un coup d’œil il vit soudain l’aube arriver. Si le lever du jour lui était complètement égal, qu’en était-il pour les autres Hagsmons ? Nahualt ne s’était jamais posé la question.

Maladroitement, Eclipse le salua, avant de s’en aller. Il suivit la jeune femelle noire charbon des yeux, en conservant son silence. Elle ne lui avait même pas laissé le temps de lui dire au revoir. Il lui faisait définitivement peur, songea le jeune male, presque désolé.

Il s’envola donc, de son côté, pensant à cette curieuse rencontre qu’il venait d’avoir, avec une représentante de son espèce pourtant si atypique. Un cri déchira l’air, alors qu’il fendait l’air vers le Nord des royaumes. Un cri à la fois bref et râpeux, propre aux chouettes effraies. Nahualt fit immédiatement demi-tour. Il savait qu’il s’agissait de Sang-Purs, les Gardiens n’avaient pas un ton aussi agressif que celui-là.

Lorsqu’il vit la silhouette d’Eclipse se détacher des nuages, il vit qu’elle n’était pas seule, et qu’elle risquait d’avoir de sérieux ennuis. Il se rapprocha, en se dissimulant dans un nuage particulièrement touffu qui allait avec ses plumes, et attendit le bon moment pour sortir de sa cachette.