Gorol releva d'un coup la tête avant de se retourner avec la même énergie pour apercevoir une nouvelle chouette. Il n'était pas certain de la connaître, mais au moins, elle ne ressemblait pas à un gros oiseau aux plumes noires. Tant mieux ! Voyant bien que cette nouvelle venue n'était pas venue pour l'embêter, la chouette des terriers replongea sa tête dans son travail. Depuis quelques jours, après son retour au Grand Arbre de son "entraînement" de charbonnier avec la ryb Arald, l'apprenti forgeron piaillait intérieurement de bonheur non parce que la sortie fut très divertissante, mais parce qu'il apprit pleins de nouveaux trucs qu'il ne connaissait pas. Son imagination, ravie de ces découvertes, ne put s'empêcher de tourner à plein moteur. Le temps défilant, une idée finit par germer dans la tête de la petite chouette, puis donna naissance à quelque chose de nouveau.

Lâchés comme ça, ces mots n'avaient pas énormément de sens, cependant, ils servaient simplement à répondre à la question de l'inconnue qui avait gentiment demandé ce qu'il faisait. Rien de bien dangereux, pour une fois ! Uniquement une invention qui révolutionnera le métier de charbonnier, rien de plus, rien de moins ! Se rappelant qu'il n'avait aucune feuille sur laquelle écrire, il se retourna toujours aussi vivement pour faire face à la chouette effraie et, dans un élan de bonne humeur, se dirigea vers elle.

Il ne prit pas le temps de s'élancer dans davantage d'explications qu'il enchaîna un fou rire. Étrangement, ça lui faisait énormément de bien quand il réfléchissait et qu'il inventait de nouveaux objets. Le travail était toujours aussi laborieux, mais le résultat restait le même, un pur bonheur que d'avoir façonner un outil qui changera le lendemain de tout le monde. Certes, son tireur à corde n'était pas une merveille, mais peu importe ! Après avoir terminé sa petite danse de la joie, il se retourna à nouveau vers cette chouette qu'il ne connaissait pas et plongea son regard dans le sien.

Dans sa bonne humeur, Gorol ne cessait de danser et de se pavaner sur place. L'idée qui lui avait traversé l'esprit et sur laquelle il dédiait son temps depuis un bon moment, il sentait qu'elle pouvait révolutionner le métier ! Incapable d'oublier le goût âcre qui persistait à lui donner envie de vomir, la chouette des terriers avait exprès l'envie de mettre au point cette invention pour ne plus être contraint à becqueter. Le processus devrait non seulement sauver les nouvelles recrues et les anciennes d'avaler les cendres, mais en plus, si ça fonctionnait à merveille, à en rapporter beaucoup plus et bien plus vite et aisément !

Il bondit à sa place d'origine, là où il se tenait avant d'être "interrompu", et farfouilla entre des feuilles de papiers qui s'envolaient. Si on ignorait d'où elles venaient, on s'en doutait qu'ils s'agissaient de feuilles neuves qui auraient dû servir aux anciens à écrire des livres ou rédiger des constats. Impossible de savoir comment il les a eu, le plus important, c'est qu'il en a un sacré paquet en stock. Beaucoup ne contenait que des gribouillis, mais elles cachaient derrière les traits forcés et noirs des images et des schémas que seul l'apprenti forgeron saurait concrétiser convenablement.

Aveuglé par sa joie, il ignorait s'il l'avait effrayé, mais à la voir, la chouette effraie elle-même semblait quelque peu... "Ravie", peut-être simplement en le voyant si heureux. En y songeant... Il reprit un air qui paraissait naturel, mais garda tout de même cette étincelle de bonheur au fond des yeux, avant de se présenter.

Shawn ? Un nom plutôt original selon lui, cependant, il ne pouvait s'empêcher d'être interpeller par ce prénom. Shawn, Shawn... La chouette des terriers répétait entre son bec ce mot à plusieurs reprises, comme s'il essayait de se rappeler où il l'aurait déjà entendu. Après un moment, il croisa le regard de l'effraie puis hocha ses ailes, lui expliquant qu'il pensait déjà avoir entendu parlé d'elle quelque part, mais qu'il ne s'en souvient pas.

Il lui tourna lentement autours, sa tête faisant des bons dans différents sens, penchant une fois à droite, une fois à gauche avant de se redresser vivement avant de retourner dans ses travaux, cherchant une feuille en particulier. Dans sa maladresse, il trébucha sur le tas de papiers, les faisant voltiger dans les airs. Observant la catastrophe qu'il avait provoqué par accident, il tenta de rattraper ses dessins avec son bec ou ses serres, se mangeant plusieurs fois le sol dans la précipitation de ses gestes. Relevant ses yeux, il vit une feuille passer sous son bec. D'un mouvement vif, il sauta et planta ses griffes dedans, les enfonçant en même temps dans l'écorce de la grosse branche qui se situait juste derrière. Malgré quelques efforts, il fut incapable de de tirer de là. Sa deuxième réaction, après celle d'essayer de réparer son erreur ? Faire avec, se tenant droit contre la branche, bien qu'un peu penché d'environ quatre-vingt dix degrés.

Ça devait paraître invraisemblable, mais Gorol tenait bel et bien fermement sur cette branche, ou plutôt sur le côté. Avec sa patte libre, il s'arc-bouta pour retirer ses serres de là, mais toujours sans résultat. Sans oublier qu'il avait volontairement et sans réfléchir transpercer une de ses feuilles, autant dire que la situation était ridiculement amusante à voir.

Interrompu au milieu de sa phrase par la branche qui céda à force de le soutenir, la chouette des terriers retomba finalement au sol, bien qu'un peu sonnée par le choc. Se relevant d'un coup, Gorol se secoua dans tous les sens pour rapidement reprendre ses esprits, et aussi pour se dépoussiérer par la même occasion. Jetant un coup d'oeil à ses pattes, il remarqua que seules quelques écorces étaient encore accrochées à ses serres, la feuille qu'il avait voulu récupérer l'était aussi. Gigotant vite fait sa patte, il dégagea les bouts de bois et put récupérer sa feuille. La dépliant devant ses yeux, il scruta les schémas qui étaient encore visibles avant de hausser les ailes et de jeter la feuille.

En regardant autours de lui, il vit que sa petite cachette était sans dessus dessous. Il ramassa les papiers pour les reposer à leur légitime place avant de se tourner vivement vers Shawn, la détaillant une nouvelle fois. L'apprenti forgeron pencha la tête de côté puis, toujours avec des gestes hâtifs, bondit sur une branche sur laquelle il pouvait faire confiance.

Tout de suite après l'avoir questionner, Gorol sauta à côté de l'effraie pour ensuite lui sourire gaiement.

Gorol fut enchanté de savoir que l'effraie ne racontera pas à Otulissa toute cette histoire. La chouette des terriers se doutait bien qu'un jour où l'autre, quelqu'un finira par tomber sur sa petite cachette secrète, qui ne l'est plus tellement d'ailleurs. Il me manquera plus qu'on apprenne ce qu'il y fabrique pour qu'on commence à lui faire des reproches ou des leçons. Au fond, c'était jamais vraiment méchant, il ne s'agissait après tout que de dessins sur des feuilles blanches... Dérobées à la bibliothèque ! Enfin, le plus important était que tant qu'il ne se faisait pas remarquer, personne ne saura jamais rien de ses idées qu'il peaufinait dans son coin. Il faudrait qu'il en parle un jour avec Bubo, mais il ne savait jamais quand ni comment s'y prendre.

Sans doute devrait-il simplement lui en parler ? Mais si jamais le ryb lui en voulait d'avoir sournoisement subtilisé ces feuilles, il risquait le moxilex ! Et en général, il s'agissait de faire le travail du squad de Ga'hoologie, c'est-à-dire... Sous la garde d'Otulissa. Brrrr ! Rien que de penser à cette chouette tâchetée refroidissait le gésier de Gorol. Il avait fait bien plus de cauchemar qu'il ne l'aurait désiré à propos d'elle, et s'il pouvait les oublier, ça l'arrangerait ! Il pourrait toujours tenter le coup... Malgré le risque. Au fond, il savait que Bubo était une chouette assez flexible dans son caractère, peut-être le laissera-t-il filer pour cette fois. Dans tous les cas, il faudra bien qu'un jour il révèle toutes ses petites idées, car elles seraient certainement entre de meilleures serres que les siennes.

Cependant, pour l'instant, l'apprenti forgeron se contentait de ranger tout ce bazar, reposant les feuilles dans leur petite cachette, à l'intérieur d'un creux à peine assez large pour les contenir toutes. Elles débordaient grossièrement, mais il fallait connaître l'emplacement de la cache pour s'en apercevoir, ou alors le faire exprès, à force d'être poussé par la curiosité de savoir ce qu'on pourrait découvrir en passant par là. On y trouve pas grand chose, à part le trésor de la chouette des terriers. Juste au cas où, Gorol déposa une large feuille verte par-dessus, si jamais quelqu'un d'autre passait par là. Il se retourna ensuite pour faire face à Shawn, penchant la tête de côté avant de la relever d'un coup et de s'approcher d'elle pour lui poser une question.

Enfilant un air plutôt ravi, la chouette des terriers prit un court instant de réflexion après avoir percuté qu'elle faisait partie du squad des charbonniers. Si elle était une charbonnière, même apprentie, peut-être pourrait-elle l'aider dans son projet. C'était une question qui traversa son esprit, mais il ne savait pas s'il pouvait le lui demander sans y réfléchir consciemment, après tout, elle a déjà vu pas mal de secrets que personne ne devait découvrir. Finalement, le jeune apprenti forgeron se contenta de hocher la tête pour répondre à la question de l'effraie.
Il commença à lui raconter sa première expérience sur le terrain, au beau milieu d'un incendie qui ravageait une forêt. Au début, on pouvait croire qu'il s'agissait d'une acrobatie amusante, même s'il était au courant des dangers et des risques de plonger dans cet enfer. En réalité, il était terrifié, avoua-t-il à Shawn, quand il devait aller chercher un charbon. Suivant le geste à la parole, il déployait ses ailes en décrivant à quel point il avait chaud au milieu des flammes, gesticulant pour rappeler les courants d'air qui le guidaient entre les troncs d'arbre. Gorol continuait jusqu'à arriver au passage où il fit une rencontre fortuite.

Gonflant fièrement sa poitrine, il évita tout de même de détailler l'instant où ledit charbon lui avait en vérité couper sa course, et que Arald avait dû précipitamment venir à son secours pour le tirer de la couronne de feu qui s'était formée. Au final, il avait pu rapporter son butin, préférant oublier ce moment plutôt terrifiant à son goût. C'était à cet instant qu'il se remémora du goût âcre de la becquetée de cendre qu'il avait dû effectuer pour couvrir les charbons. C'était d'ailleurs à cause de cette horreur, lâcha-t-il, que l'idée du «Ramasse-cendre» lui état venue. De cette manière, répéta Gorol, plus besoin de s'étouffer bêtement !